À propos de l'auteur : Pierre Deschamps

Catégories : Livres

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Le chocolat, produit emblématique de la mondialisation.

Dans un Mexique devenu un véritable abattoir [1], le conquistador Hermãn Cortés reçoit en audience l’ambassadeur de l’empereur aztèque Montezuma. À cette occasion, pour éviter tout incident diplomatique, il se voit forcé de porter à ses lèvres un vase rempli de xocoatl, une boisson amère et pimentée que les Aztèques associaient à Xochiquetzal, la déesse de l’amour et de la beauté. Ainsi commence l’histoire du chocolat. Une aventure qui sous la plume de Frédéric Amiel se mue en histoire de la mondialisation, par tranches de périodes historiques différenciées.

Pierre Deschamps

Observons que, dès les premiers temps de la présence espagnole sur les côtes d’Amérique centrale et dans les îles des Caraïbes, une boisson au chocolat est servie lors de réceptions et de fêtes organisées par le vice-roi ou par des personnes de haut rang. Avant de traverser l’Atlantique, le sucre y est ajouté, la rendant plus agréable au goût. Bientôt, on la servira chaude dans certains palais royaux du Vieux-Continent.

Un marqueur de classe

Introduite à la cour d’Espagne, qui en gardera la quasi-exclusivité pendant près d’un siècle, cette boisson des rois donnera lieu peu à peu à la mise en place de l’arantèle du premier réseau commercial de cabosses de cacao à destination des cours d’Europe [2].

Le chocolat fait écho dès cette époque au « pouvoir de l’aristocratie qui s’appuie autant matériellement que symboliquement sur les ressources des colonies [signe d’une] profonde rupture dans les sociétés européennes entre le peuple et son aristocratie ». Le chocolat acquiert alors le titre de marqueur de classe !

Un soutien d’empire

En 1648, le traité de Westphalie sonne le glas des féodalités. À sa suite vont émerger les grands États-nations européens et le concept moderne de souveraineté.

Consécutivement, les monarques ne peuvent plus se contenter de vivre sur les ressources de l’impôt et les revenus de leurs domaines. Il leur faut des réserves de trésorerie permanentes et croissantes pour disposer d’une armée et d’une flotte à la hauteur de leurs ambitions géopolitiques.

Naît alors le mercantilisme qui en Angleterre, en France et en Hollande verra la création de grandes compagnies de commerce. Il devient de ce fait capital de contrôler la production de marchandises de plus en plus prisées. Sucre, tabac, indigo, chocolat assurent tout au long du 18e siècle des revenus conséquents à certaines économies européennes, en raison d’un esclavage persistant. Le chocolat s’avère alors une composante essentielle de l’équilibre budgétaire d’empires tentaculaires.

Un embryon consumériste

Au début du 19e siècle, la production artisanale cède peu à peu sa place à une mécanisation assurée par des équipements performants, ce qui conduit à une baisse de la valeur marchande de chaque unité de chocolat.

Le chocolat devient plus accessible, les quantités de marchandises produites s’accroissent, de nouveaux marchés s’ouvrent. Pour élargir sans cesse leur assise commerciale, les producteurs de chocolat deviennent des pionniers : sous leur impulsion naît la publicité de masse, embryon de la future société de consommation.

Une saveur paternaliste

Puis surgit Émile-Justin Menier, qui devient rapidement le plus important producteur de chocolat d’Europe, donc du monde à l’époque. Ce grand industriel, qui se nourrit des pensées positivistes et socialistes en vogue, « considère que sa mission est de faire bénéficier les travailleurs de ses ateliers et leurs familles de tout ce que les progrès modernes ont à apporter ».

Outre-Manche, deux industriels chocolatiers, les quakers John Cadbury et Henry Isaac Rowntree, vont jouer un rôle déterminant dans le développement de nombreuses avancées sociales dans le monde anglo-saxon. Aux États-Unis, Milton S. Hershey fonde une ville à son nom où banque, hôpital, églises, bibliothèque, écoles, hôtel, zoo et terrain de golf doivent à sa fortune de sortir de terre. L’avènement de telles entreprises « philanthropiques » donne conséquemment naissance à ce que l’on qualifiera plus tard de paternalisme industriel.

Un storytelling cacaoté

Au début du 20e siècle, les îles de Sao Tomé-et-Principe sont un véritable réservoir de main-d’œuvre servile. Elles sont pendant plusieurs années le premier producteur mondial de cacao. Mais l’opinion publique européenne s’émouvant de savoir que le chocolat est issu de plantations où se pratique un quasi-esclavagisme, les grands producteurs de chocolat délaissent Sao Tomé-et-Principe dont les revenus vont dépérir irrémédiablement.

Pour se refaire une vertu, les grands chocolatiers vont donner une nouvelle image à leurs activités. Terminées les grandes plantations, place à la production familiale et aux petits producteurs du Nigeria et du Ghana, principalement. Ainsi jaillit le “storytelling” chocolatier.

Un croque-forêt

Dans l’après-Seconde-guerre, les grands groupes se lancent dans des publicités qui associent souvent douceur coloniale et domesticité noire, la marque Banania en étant l’illustration parfaite. Mais bientôt, la chute des grands empires et les luttes d’indépendance vont mettre fin à la valorisation des pays d’origine pour laisser place au seul chocolat manufacturé.

Pour satisfaire les besoins toujours grandissants de l’industrie chocolatière, il faut planter de plus en plus de cacaoyers. Plus, toujours plus. Au détriment de la forêt naturelle. À tel point que le cacao serait à l’origine de plus de 8 % de la destruction des forêts tropicales entre 1990 et 2010. Ce qui lui vaut en 2013 d’être classé au troisième rang des produits agricoles responsables de la déforestation, tout juste derrière le soja et l’huile de palme.

Un choco-libéralisme

Puis vint la crise de la dette intérieure et extérieure des pays en voie de développement qui verra s’instaurer « les règles d’une économie “bien gérée” et les recettes de la croissance ». C’est ce qu’on va appeler le “consensus de Washington”. À sa suite, les artisans producteurs de cacao vont rapidement se retrouver à la merci des cours mondiaux du cacao et des manœuvres spéculatives du marché financier et des exportateurs. Quand les prix sont bas, les firmes de négoce du cacao stockent. Quand ils remontent, elles déstockent. Au point qu’on évalue à 40 % d’une récolte annuelle les stocks conservés certaines années pour jouer sur les prix.

Et que serait la mondialisation sans le travail des enfants ! Selon les données de l’UNICEF (2018), « plus de deux millions d’enfants travaillent […] dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, dont plusieurs milliers […] en situation de travail forcé ».

Au royaume de la poudre de cacao, le travail des enfants confirmerait, s’il fallait encore en douter, tout le poids de la mondialisation, cette denrée amère de première nécessité du libéralisme économique.

Cap sur l’Orient

Le chocolat se marie à bien des produits, dont la dinde, un mets dont raffolaient les Aztèques. Mais on peut préférer associer chocolat et saké, comme le propose le site https://fr.maboroshinosake.com/sake/blog/sake-and-chocolate/ où l’on trouve un dossier fort intéressant qui révèle que le saké est parfaitement compatible avec le chocolat.

Sur le saké japonais (ou nihonshu), on recommandera la lecture de “Le saké de A à Z” (Yoko Yamamoto, éditions IMHO, Paris 2021, 199 pages). On lira avec intérêt les chapitres consacrés au choix du (bon) verre pour relever le goût du saké, à l’importance de boire de l’eau en le dégustant, aux subtilités de le consommer chaud, frais, froid, gelé. De belles pages sont consacrées à la fabrication du saké, à la différence entre fermentation et distillation, à la liste des brasseries à visiter par régions, le tout complété par un dictionnaire du saké japonais et une liste de 63 crus (d’exception) sur les quelque mille produits au Japon.

Des fiches sur lesquelles noter les ressentis et les sensations qui affleurent à la dégustation d’un saké complètent l’ouvrage. Elles comportent une roue de seize saveurs que l’on peut reconnaître ou non dans un saké ainsi que les six goûts (sucré, umami, astringence, acidité amer, sec) à identifier ou pas à cette occasion.

À boire avec modération ; à lire sans réserve. Kanpai !

  1. « Des 25 millions de personnes qui habitaient les plateaux du Mexique à l’arrivée de Cortés, il n’en restait plus que 6 millions à sa mort, et seulement un million à la fin de XVIe siècle », indique Frédéric Amiel.
  2. L’introduction du chocolat au sein de l’aristocratie européenne donnera lieu à de cocasses rumeurs, dont la plus célèbre veut que Marie-Thérèse d’Autriche, reine de France, ait accouché d’une enfant noire en 1664, une surprise expliquée par la passion de l’épouse de Louis XIV pour le chocolat ! Les ragots de son entourage mettant plutôt cette naissance sur « la présence de plusieurs serviteurs noirs dans l’entourage de la souveraine », dont le nain Nabo.

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