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Capture d’écran
Mark Robinson, fidèle parmi les fidèles de Donald Trump, a décroché la nomination républicaine au poste de gouverneur de la Caroline du Nord lors du Super Tuesday du 5 mars.
Antoine Char
Il a le verbe haut. Un peu trop. Mais cela plaît à Donald Trump qui le compare à « Martin Luther King sous stéroïdes ». Mark Robinson a beau encenser l’ex-président, il n’aime pas la comparaison. Pour lui, le champion des droits civiques est un « communiste ». Il préfère, de loin, être qualifié de «Trump afro-américain».
Ancien fabricant de meubles ayant fait faillite à trois reprises, il s’est rallié au milliardaire de l’immobilier, dont la fortune est difficile à estimer, lors de la campagne présidentielle de 2016. Depuis, « Trump l’inclut dans tous ses rassemblements en Caroline du Nord », rappelle Richard Mahoney, professeur de science politique à l’Université de Caroline du Nord (échange de courriels).
Entre les deux, les atomes crochus sont nombreux. Insultes et quolibets sont de mise, le tout trempé à la sauce complotiste. Cela n’a aucunement empêché Robinson, 55 ans, de décrocher la nomination républicaine au poste de gouverneur lors du Super Tuesday du 5 mars.
Mardi 5 novembre
La Caroline du Nord fait partie de ces swing states, ces États clés qui auront un impact sur le scrutin du mardi 5 novembre. Depuis 2008, les démocrates mordent la poussière dans cet État, mais ils s’accrochent au fait que Biden a perdu avec moins de deux pour cent en 2020.
Biden et Trump doivent s’assurer des votes afro-américains —25 % de l’électorat de l’État qui, comme la Georgie, compte 16 grands électeurs sur un total de 538. C’est, ne l’oublions pas, le Collège électoral qui est chargé d’élire le président et le vice-président.
C’est là que Trump compte sur Robinson pour remporter haut la main la Caroline du Nord. Mais voilà il y a sa rhétorique. Pour l’actuel lieutenant-gouverneur, l’avortement est « un meurtre », un « génocide ». Il est bien sûr « pro life ». Si la Cour suprême a légalisé l’avortement en 1973, par l’arrêt Roe contre Wade, en juin 2022 elle a infirmé cette décision, permettant ainsi aux États de définir leur propre politique en la matière.
Quant à l’homosexualité c’est une « saleté » et il la compare à la pédophilie. S’il fait preuve d’antisémitisme et d’islamophobie, pour les évangéliques c’est un bon « chrétien ».
Ces protestants à la foi et aux valeurs morales chevillées au corps, représenteraient au moins 35 % des quelque 12 millions d’habitants de la Caroline du Nord et un quart de la population américaine. Ils ont pesé lourd dans l’élection de Trump il y a huit ans, même si le multi-divorcé n’est pas connu pour son « zèle chrétien ».
Ils sont prêts à absoudre tous ses pêchés, mais son procès pénal qui s’ouvre le 15 avril à New York dans l’affaire Stormy Daniels doit sûrement les embarrasser. Voilà une actrice de films pornographiques qui depuis des années crie sur tous les toits avoir eu une relation sexuelle avant que l’ex-vedette de The Apprentice se lance à la course à la Maison Blanche en 2016. Trump est bien sûr innocent comme l’agneau qui vient de naître et nie avoir falsifié des documents dans le but de lui verser 130 000 $ pour qu’elle ne dise mot. Plutôt embarrassant pour les évangéliques qui, comme Robinson, évitent d’en parler.
Dans tous les cas, s’il reprend possession de la Maison-Blanche, il a promis aux évangéliques qu’ils
« utiliseraient » leur pouvoir « à un niveau que vous ne l’avez jamais utilisé auparavant » (1). Robinson, qui entre dans une église pour en sortir par une autre, a le même message pour son État.
En les courtisant, les deux suivent les traces de nombreux républicains engagés depuis une trentaine d’années dans la « révolution conservatrice » si chère notamment à Billy Graham (1918-2018), ce pasteur de Caroline du Nord, conseiller auprès de plusieurs présidents et longtemps l’homme le plus admiré du pays.
Les évangéliques, faut-il le rappeler, en plus de croire en l’autorité suprême de la Bible, estiment qu’il n’existe aucune différence entre la sphère privée et la sphère publique. (2)
Trump, qui avant Pâques s’est mis à vendre des bibles — son livre préféré jure-t-il — pour renflouer ses caisses, ne va pas aussi loin. Robinson lui, croit fermement qu’un État religieusement neutre est un anathème. Après tout, les États-Unis, c’est bien connu, sont le « pays de Dieu » … « Make America pray again » dit à présent l’ex-président.
« Une secte »
Mais voilà, le « couple Trump-Robinson » n’est-il pas électoralement risqué pour l’ex-locataire de la Maison-Blanche ?
Peter Francia, professeur de science politique à la East Carolina University, ne le croit pas. « Robinson et ses commentaires n’auront aucun impact sur les chances de Trump de remporter la Caroline du Nord. Les effets dits « coattail » (effets d’entraînement) fonctionnent du haut du ticket vers le bas. Autrement dit, une forte présence de Trump en Caroline du Nord aidera Robinson. Mais l’inverse ne fonctionne presque jamais […] Une solide performance de Trump pourrait suffire à propulser Robinson vers la victoire. » (échanges de courriel)
Richard Mahoney se fait l’écho de son collègue. « Le Parti républicain est en réalité le parti de Trump. C’est une secte. Comme Nikki Haley [qui s’est retirée de la course républicaine à la présidence le 6 mars] l’a montré, une grande minorité de républicains ne soutient pas Trump, mais ils sont habitués à voter contre les démocrates. »
Tous pour Trump
L’ex-président, première personne sans expérience politique ou militaire à être élue à la tête des États-Unis, ne cesse d’ailleurs de répéter qu’au final les membres du Grand Old Party voteront tous pour lui. Plus de 74 millions d’Américains l’ont fait aux élections de 2020.
Et le Pew Research Center, think-tank basé à Washington, rappelle ceci : « En moyenne, 86 % des républicains ont approuvé la façon dont Trump a géré le poste au cours de son mandat, contre une moyenne de seulement 6 % des démocrates – l’écart partisan le plus important pour un président dans l’ère moderne des sondages. » (3)
« Le vrai problème de Trump, cependant, pourrait bien être celui des femmes républicaines ayant fait des études universitaires », note encore Mahoney.
Et le cercle d’électrices de Robinson n’a pas grandi en déclarant ceci : « Je veux absolument retourner dans une Amérique où les femmes ne pouvaient pas voter. » (4)
Trump compte donc sur Mark Robinson pour remporter le vote afro-américain en Caroline du Nord qui après la Californie, le Texas, la Floride, l’Illinois, New York et l’Ohio, est l’État le plus important dans la marche de tout candidat vers la Maison-Blanche.
Ce n’est pas parce que Trump a jeté son dévolu sur Mark Robinson que ce dernier — il cite Adolf Hitler en renfort de ses idées — est assuré de l’emporter.
Un exemple ? En 2022 Kari Lake a été défaite au poste de gouverneure de l’Arizona, malgré la bénédiction de Trump. L’ancienne journaliste connue pour ses idées d’extrême-droite conteste toujours avoir mordu la poussière et se présente cette année au Sénat contrôlé par les démocrates.
À l’instar de Robinson, Lake est une denier — une négationniste rejetant encore et toujours la victoire de Joe Biden il y a bientôt quatre ans. Et quand Trump clame que s’il n’est pas élu « ce sera un bain de sang » ses deux « protégés » ne sont pas le moins du monde émus.
Apocalypse after.
- 1 ) https://www.nytimes.com/2024/03/18/us/politics/mark-robinson-north-carolina.html
- 2) https://www.cairn.info/revue-herodote-2005-4-page-9.htm
- 3) https://www.pewresearch.org/2021/01/29/how-america-changed-during-donald-trumps-presidency/
- 4) https://www.vanityfair.com/news/mark-robinson-north-carolina-women-voting