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NASA
L’équipage de la mission Artemis II présenté à Houston le 3 avril dernier : le Canadien Jeremy Hansen et les Américains Victor Glover, Reid Wiseman et Christina Hammock Koch.
Dominique Lapointe
On a présenté en grande pompe le premier équipage qui s’envolera pour la Lune fin 2024. Dans le quatuor spatial, on retrouve l’Ontarien Jeremy Hansen, un pilote de CF-18 qui a une formation en physique. Le voyage de dix jours sera en fait une reconstitution moderne de la mission Apollo 8 de 1968, une orbite lunaire sans s’y poser afin de vérifier le rendement des systèmes du vaisseau spatial Orion. Une des nombreuses et encore nébuleuses étapes vers un ultime voyage habité vers la planète Mars. Mais faut-il y croire ?
Se changer les idées
Pour faire oublier la guerre en Ukraine, les tornades et les inondations aux États-Unis, quoi de mieux que de parler d’autres mondes ?
À la mi-mars, la NASA dévoilait devant la presse la collection mode des astronautes qui fouleront la Lune dans les années à venir. De nouvelles combinaisons moins volumineuses et plus souples. Visiblement noires, donc, rien pour aider les images dans la grisaille lunaire. Faudra voir…
Quelques jours plus tard, en visite à Ottawa, le président américain annonçait que la NASA invitait un Canadien à rejoindre l’équipe d’astronautes pour le premier retour à la Lune. Une vieille nouvelle dévoilée par l’Agence spatiale canadienne il y a deux ans. Du réchauffé sans doute pour préparer le terrain au dévoilement des quatre élus le 3 avril, dont heureusement une femme, Christina Hammock Koch, une astronaute d’expérience qui a passé 328 jours consécutifs dans la station spatiale internationale en 2019-2020. Elle sera l’autre spécialiste de mission avec le Canadien Hansen.
Toutes ces annonces n’avaient cependant qu’un but, insister sur le fait qu’on n’assiste pas à une reprise du programme Apollo, mais qu’on se dirige vers la planète rouge.
Objectif Mars
Il y a cinquante ans, la mission Apollo 17 se terminait dans l’océan Pacifique après un voyage de 13 jours. Une dernière mission du programme riche en échantillons et données à analyser, grâce entre autres au premier véritable scientifique astronaute américain, Harrisson Schmitt qui, malheureusement, finira climatosceptique comme certains de ses semblables géologues.
On avait mis le paquet à l’époque, car le congrès avait coupé le financement des trois dernières missions Apollo 18, 19 et 20, faute d’intérêt du public et, par conséquent, des élus.
Nul besoin d’insister sur le fait que malgré sa beauté, et surtout sa nécessité à la vie sur Terre, notre lune n’a pas repris la cote dans l’aventure humaine. On présente donc le programme Artémis comme le passage obligé vers la conquête de Mars.
Pour ce faire, on prévoit construire une station orbitale lunaire vers 2027, Lunar Gateway, une sorte de laboratoire et de centre opérationnel pour la construction d’une base à la surface de la Lune. Notre satellite naturel deviendrait en quelque sorte la gare d’assemblage et de transit grâce à sa gravité six fois moindre que celle de la Terre. Car l’éternel problème des voyages spatiaux c’est l’énergie. Il faut toujours plus de carburant pour transporter du carburant qui transporte du carburant, etc.. On espère même trouver de l’hydrogène ou en convertir à partir de la glace au fond de cratères pour se propulser vers Mars. Rien de moins.
Et vous savez quand? Au cours de la prochaine décennie. On aura mis plus de 30 ans pour planifier et réaliser un retour vers la Lune et on prétend poser le pied sur Mars dans une quinzaine d’années. Et c’est là qu’on décroche (de) la Lune. Parce qu’envoyer des humains sur Mars et les ramener vivant, pour paraphraser JFK (1962), c’est cent fois plus compliqué.
Mars, la lointaine voisine
Mars fait le tour du Soleil en 687 jours terrestres. La Terre, comme on sait, en 365 jours. Cela signifie que tous les deux ans, Mars se trouve au plus près de la Terre, en opposition dit-on, à quelque 55 millions de kilomètres. Par contre, l’année suivante, quand elle nous nargue de l’autre côté du Soleil, en conjonction, elle peut dépasser les 400 millions de kilomètres de la Terre.
À moins de découvrir un mode de propulsion encore inconnu et qui permettrait un aller-retour en quelques semaines pendant l’opposition (la rencontre orbitale des astres), nous n’avons pas le choix. Il faut calculer entre 600 et 900 jours de mission, selon qu’on désire y rester quelques jours ou attendre un nouveau passage de la Terre à “proximité“ pour le voyage de retour qui dure au minimum six mois.
Rien à voir avec le record mondial du Russe Valeri Poliakov qui a séjourné pendant quatorze mois dans la station spatiale Mir dans les années 1990, constamment ravitaillé en nourriture, eau, oxygène, et matériel de toutes sortes.
En plus de la masse des produits de première nécessité à propulser, conserver et trimbaler pendant plus de deux ans, il faudra protéger les cinq astronautes prévus des radiations solaires, établir des programmes de maintien de la forme. Donc un habitacle assez volumineux, et encore de la masse maudite à propulser. On n’a aucune idée de l’impact d’un si long voyage en apesanteur sur les systèmes biologiques du corps et, non négligeable, la santé mentale, malgré quelques expériences terrestres de survie en isolement.
Les connaissances acquises par les Russes et les Américains jusqu’ici dans l’espace restent fragmentaires en regard des contraintes d’un tel voyage beaucoup plus exigeant qu’un séjour même prolongé en orbite basse.
Qui opérera si un astronaute fait une péritonite à 200 millions de kilomètres du CHUM? Pas question de se faire guider la main si les directives du chirurgien prennent 15 minutes et plus avant d’atteindre le vaisseau spatial, et un autre quart d’heure avant qu’il puisse voir l’action sur l’écran.
Homo viator
Lorsqu’on a présenté le futur astronaute canadien qui s’envolera vers la Lune, on a eu droit à des incantations médiatiques sur la soif insatiable de l’homme pour la découverte de Nouveaux Mondes, Christophe Colomb en Amérique, et même, pourquoi pas, Homo erectus quittant l’Afrique il y a plus d’un million d’années, par pulsion touristique. Que d’enthousiasme anthropologique!
En fait, l’homme voyageur, homo viator, a constamment migré pour assurer sa survie, améliorer son sort, faciliter son quotidien à la faveur des changements du climat, des conflits, à la recherche de nouvelles ressources. Essentiellement par utilité.
Paradoxalement, c’est exactement ce qu’essaie de nous faire croire Elon Musk avec son délire sur la colonisation prochaine de Mars pour sauver l’espèce humaine. À côté de lui, la NASA a l’air d’un curé invoquant la bible pour convertir les impies. C’est peut-être ce qui confère à l’agence américaine plus de crédibilité.
Quoiqu’il en soit, si l’humain ne fait pas sauter la planète dans les prochaines décennies et qu’il parvient à surmonter le tsunami climatique qui menace, il est presque certain que nous irons un jour sur Mars, mais ce serait très surprenant que l’aventure ait lieu avant la moitié du siècle. Et rien ne dit que lorsqu’il y aura les connaissances et un plan précis, celui-ci transitera inévitablement par la Lune.
D’ici là, des missions robotisées avec retours d’échantillons de Mars seraient beaucoup plus utiles à la connaissance de notre voisine que des missions habitées vers la Lune pour un éventuel scénario encore très hypothétique.
Mais comme Chinois et Russes prétendent eux aussi à la Lune, difficile de passer son tour.. en tant qu’homo politicus.
Excellent article. Bon développement des faits et éditorial bien tourné. J’apprécie la réflexion que tu suscites ici. Merci et bonne continuation.
Toujours intéressant, merci de partager avec nous !