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Serge Truffaut
Le 18 mai, les gouvernements de la Finlande et de la Suède déposaient leurs demandes d’adhésion à l’OTAN. Il n’en fallait pas moins pour que ce geste soit qualifié d’historique des deux côtés de l’Atlantique et qu’il aiguise simultanément les aigreurs de Poutine et des siens. Aigreurs qui se sont traduites illico, via le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, en menaces.
Le geste évoqué était et reste d’autant plus historique qu’il se distingue des adhésions de la Pologne, Hongrie, Lituanie et autres par une rupture particulièrement spectaculaire, car dans les cas de la Suède et de la Finlande, leurs gouvernements ont coupé le cordon ombilical qui les liait avec la stricte neutralité depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Au passage on retiendra que la neutralité en question a toujours été désignée par les initiés en choses militaires de neutralité armée. En effet, tant la Suède et la Finlande ont veillé depuis des décennies à se doter et entretenir une défense digne de ce nom.
On retiendra également, qu’antérieurement à la demande d’adhésion ces deux pays avaient la statut de partenaires de l’OTAN. En d’autres termes, les uns et les autres se connaissent passablement.
Du non au oui
Spectaculaire, le geste l’est également par la transformation en quelques semaines seulement d’une négation en une affirmation, une confirmation. Par un retournement non exempt d’éclats. On s’explique. Le 7 novembre 2021, le ministre suédois de la Défense Peter Hultqvist assurait…
Assurait « qu’il n’y aura pas de demande d’adhésion tant que nous aurons un gouvernement social-démocrate. Je ne serai certainement jamais impliqué dans un tel processus tant que je serai ministre de la Défense. Je peux vous le garantir à tous ! » Tous ? Les membres de son parti réunis alors en congrès.
Mais voilà que trois semaines plus tard, le gouvernement américain d’abord, le britannique ensuite dévoilaient des clichés révélant une imposante concentration de troupes russes à la frontière avec l’Ukraine. Puis, le 17 décembre 2021 Poutine lançait un ultimatum : il n’y aura pas de retrait militaire tant et aussi longtemps que l’OTAN et les États-Unis n’auront pas pris l’engagement de mettre un terme à l’élargissement de l’alliance Atlantique.
Le 1er janvier, le président finlandais Sauli Niinistö formulait à l’endroit de Poutine une réponse à l’enseigne du muscle : « La liberté de manoeuvre et de choix de la Finlande inclut également la possibilité d’un alignement militaire et d’une demande à devenir membre de l’OTAN, si nous en décidons ainsi .»
« Devenir membre de l’OTAN », le « gros » mot était laché. Il obligeait surtout les autorités suédoises à sortir du bois. Le 6 janvier, la première ministre de Suède Magdalena Andersson faisait une intervention à ranger à la rubrique du « peut-être ben que oui, peut-être ben que non » qui provoqua une réaction en chaîne au sein des partis de l’opposition qui, eux, voulaient imiter la Finlande.
Le 24 février, les troupes russes attaquaient l’Ukraine. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, Janne Kuusela, directeur général du ministère finlandais de la Défense, confia alors que « les masques sont tombés. Jusque-là nous pensions que la meilleure façon de maximiser notre sécurité était d’avoir une forte capacité de défense, d’être un partenaire très proche de l’OTAN et de maintenir une relation de travail efficace avec la Russie. Le 24 février a bouleversé notre façon de penser ».
La Finlande en pointe
L’opinion publique se mit au diapason. En janvier 28 % seulement des Finlandais étaient favorables à l’adhésion. Dans les jours qui suivent le 24 février, ils étaient 53 %. Début mars, ils sont 62 % et 76 % début mai. Ce souhait marqué des Finlandais pour l’adhésion à l’OTAN va avoir un effet considérable au royaume de Suède : forcer les autorités ainsi que la population à se brancher.
Chercheur finlandais à l’université suédois de défense, Tomas Ries a souligné dans un entretien au Monde, « les Finlandais avaient un plan pour ce genre de situation et ils l’ont activé » alors que « les Suédois n’étaient pas du tout préparés et ont dû rapidement changer de politique ».
En effet, le 6 mars Stockholm a formé un groupe de travail sur la question qu’a dirigée la ministre des Affaires étrangères Ann Linde. Le 13 mai, il remettait son rapport final. La principale conclusion ? Il faut imiter la Finlande. Évidemment, cette conclusion a heurté particulièrement les tenants de la social-démocratie à la suédoise et donc de la neutralité qui l’a toujours singularisée.
Mais le 16 mai, six des huit formations politiques approuvaient la demande d’adhésion alors que 188 députés finlandais sur 200 en faisaient autant. Si la Turquie ne joue pas les rabat-joie, ces deux pays devraient devenir membres de l’OTAN d’ici quelques mois.
Constats militaires
Dans une longue opinion rédigée ces jours-ci pour la revue Foreign Affairs, Carl Bildt, ex-premier ministre de la Suède, propose un inventaire des réalités politiques et militaires très riche en enseignement. Un, qu’en rejoignant l’Union européenne en 1995 ces deux pays avaient passablement ébranlé le principe de stricte neutralité. Deux, depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie tant la Finlande que la Suède ont amplifié leur coopération militaire avec les États-Unis, le Royaume-Uni et l’OTAN.
Trois, depuis une dizaine d’années les forces aériennes de ces deux nations mènent des exercices hebdomadaires avec la Norvège, membre de l’OTAN depuis des lunes. Quoi d’autre ? Bildt prend soin de rappeler que les additions militaires de la Finlande et de la Suède, imposantes en nombre et en qualité, vont établir à 250 avions le nombre de jets de combat présents dans la sphère Baltique.
Rappelons au passage que la Suède a conçu et fabriqué un des meilleurs avions qui soit: le Gripen.
Cela précisé, il est fort probable que lors du sommet de l’OTAN qui se tiendra à la fin du mois à Madrid, ses membres vont modifier pour la huitième fois dans l’histoire de cette institution son Concept stratégique. Comme dirait La Palice : à suivre.