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Christian Tiffet
Jean-Claude Bürger
Qu’est-ce que le populisme ? Il y a des notions dont on connaît empiriquement l’existence, mais dont les contours restent trop flous pour être définis.
Lorsqu’en 1964 le film Les Amants de Louis Malle fut accusé d’obscénité, le juge Potter Stewart avouant son incapacité de donner une définition de la pornographie se contenta d’affirmer « I know it when I see it ! ». (Par bonheur, Il n’en avait pas vu dans ce film…).
Cette phrase, demeure une des plus connue dans l’histoire des jugements de la Cour suprême américaine. On conçoit cependant qu’en matière de justice cette porte explicitement ouverte à la subjectivité puisse représenter un danger.
L’observateur plus ou moins candide de la chose politique qu’il soit journaliste ou universitaire connaît le même genre d’écueil ; fort heureusement, ses jugements sont plus faciles à contester que ceux des magistrats.
Concepts mouvants
Les concepts de droite, de centre et de gauche sont mouvants tout comme le sens des mots qui les désignent. Ils varient avec le temps et changent selon les pays. Tel sera considéré comme étant de droite dans une université nord-américaine à tendance woke, qui sera vu comme un communiste dans une université de l’Opus Dei en Amérique latine.
Flous sont les contours du populisme et de la démagogie, imprécis ceux de l’autoritarisme. La notion de démocratie qui est le plus souvent censée fonder la légitimité des attitudes politiques est elle-même loin de faire consensus.
Tous ces mots aux étymologies souvent identiques qu’ils viennent du grec ou du latin semblent qualifier des notions différentes, parfois opposées. On se souvient de ce que l’on a appelé les démocraties populaires, qui étaient pourtant très loin d’être populaires et n’étaient pas des démocraties.
Bref, si les engrenages étaient forgés avec le même degré d’imprécision que les mots de la politique, les moteurs ne nous emmèneraient pas bien loin.
Contrôler les médias
Cependant les dictatures, les fascismes, et les totalitarismes qu’ils soient de droite ou de gauche sont eux, plus faciles à caractériser. Les journalistes, et les opposants les reconnaissent lorsqu’ils les voient ou les subissent. Ils en font d’ailleurs bien souvent les frais.
Un des premiers soucis des régimes totalitaires est de contrôler les médias. On ferme les journaux, on musèle les journalistes, seuls survivent professionnellement ceux qui consentent à devenir des outils de propagande.
Dans le même temps on bride les contestations et on enferme les opposants. Les polices, l’armée et les tribunaux sont mis au service du dictateur et de ses partisans, ils assurent l’ordre par la menace, et garantissent la pérennité de son pouvoir. Lorsqu’il y a des élections seuls sont admis les candidats adoubés par les gouvernants.
Le consensus est large pour admettre qu’il s’agit là de régime antidémocratique.
Discours stéréotypé
Les partis qui accèdent au pouvoir totalitaire, que ce soit ou non par la voie des élections, doivent tous leurs premiers succès à un discours stéréotypé : il en appelle à la colère du peuple contre les institutions, dénonce la trahison des politiques, la domination et l’arrogance des élites qui selon les cas peuvent être intellectuelles, médiatiques, financières, scientifiques etc., il dénonce le plus souvent l’autre : l’étranger, le noir, le juif, le musulman, l’immigrant… qui face aux problèmes du moment sont tour à tour présentés comme boucs émissaires.
Ce type de discours évoque également volontiers des complots étayés par de fausses informations qui ne font d’ailleurs pas toujours grand cas de la vraisemblance (voir le texte d’Antoine Char). Les crises économiques et sociales (voir le texte de Rudy Le Cours) sont des terreaux fertiles pour des politiciens qui proposent des solutions simples à des problèmes compliqués.
On s’accorde à qualifier ce discours de populiste. Des éléments de populisme peuvent émailler à des degrés divers les propos de la gauche extrême comme ceux de l’extrême droite. Chez nous comme ailleurs, on les décèle aussi parfois chez les formations politiques (voir les textes de Louiselle Lévesque et de Jean Dussault). Mais c’est la répétition constante d’un ensemble de ces éléments qui constitue le populisme.
De plus, comme on a pu le constater au cours de la pandémie, la science peut être malmenée par les idées populistes circulant dans le public (voir le texte de Dominique Lapointe).
Première marche
Si le populisme n’aboutit pas toujours au totalitarisme, il en est toujours la première marche.
Lorsque les populistes s’adonnent au culte d’un chef, qu’ils prêchent la brutalité et qu’ils l’exercent, le populisme change de nature. Il cesse de n’être qu’un discours et devient une pratique insurrectionnelle.
Lorsque les violences sont exercées par des milices ou des groupes organisés, on parle alors de fascisme en référence au fascisme mussolinien (voir le texte de Serge Truffaut) 1.
L’histoire récente a vu l’avènement d’un président américain dont le populisme semblait avoir pour objectif de transformer les institutions et le système électoral pour le mettre à son service. Jamais, même à l’époque du maccartysme (1950-54) on a senti les États-Unis aussi proches de basculer dans le camp des systèmes de gouvernance totalitaires. Et le danger à l’approche des élections des midterms (mardi 8 novembre) est loin d’être conjuré.
Dans la grande tradition, les journalistes se considèrent volontiers comme les chiens de garde de la démocratie. Ils sont donc prompts à flairer le moindre relent de populisme et à débusquer autocrates et dictateurs en devenir.
Ils sont motivés certes par le sens du service public, mais certainement aussi par leur instinct de conservation. Alors en ce mois, qui voit l’accession au pouvoir en Italie d’une coalition au sein de laquelle siège un parti qui revendique l’héritage du Duce (voir le texte de Marie-Josée Boucher) mois qui se trouve également marquer le centième anniversaire de la marche des fascistes sur Rome, parlons populisme et fascisme puisque l’époque nous donne des os à ronger.
1) Le national-socialisme allemand est lui aussi un fascisme bien qu’il soit plus souvent évoqué à cause de son caractère génocidaire. Contrairement aux nazis qui avaient Mein Kampf, les Italiens n’avaient pas d’idéologie très élaborée. Ils prônaient néanmoins une esthétique de l’action et pratiquaient une mise en scène de la puissance qui laisse encore des traces spectaculaires dans l’architecture de la capitale italienne.