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Daniel Raunet
On connaît presque tous l’explication qu’on nous a donnée à l’école. Fermez votre poing, les enfants. Les bosses font 31 jours et les creux 30. Sauf le premier creux, février, qui en fait 28 ou 29 selon les années. On y va. Janvier 31, février 28, mars 31, avril 30, mai 31, juin 30, juillet 31 … Juillet, on est arrivé au bout du poing, donc on recommence au début. Première bosse, août, 31 jours, septembre 30, etc.
Eh bien, c’est une jolie image, mais la vérité n’a rien à voir avec tout ça. Le calendrier n’est pas un jeu d’enfant, c’est du sérieux. Demandez-le aux moines vieux-calendaristes du mont Athos, en Grèce.
Des moines prêts à mourir pour le calendrier
La nouvelle n’a pas franchi nos rivages, mais au mois de juillet, les autorités grecques s’apprêtaient à expulser manu militari 118 moines rebelles du monastère d’Esphigmenou. Le mont Athos, c’est une sorte de république monastique perchée sur une péninsule de la mer Égée qui relève, comme toutes les églises orthodoxes du nord de la Grèce ex-ottomane, du patriarche de Constantinople (on ne dit pas Istamboul dans ces milieux-là). Tout comme d’ailleurs l’île de Crète, longtemps dominée par les Turcs. Le reste du pays, en gros la Grèce indépendante d’avant 1913, est le domaine de l’Église de Grèce et de l’archevêque d’Athènes. Tout ceci est inscrit noir sur blanc dans la constitution de la Grèce, pays où l’orthodoxie est religion d’État.
Mais voilà, au milieu des 20 monastères du mont Athos, il y a un noyau d’irréductibles cénobites, les Vieux-calendaristes (on dit aussi Vétéro-calendaristes, ça fait plus grec), qui considèrent que le patriarche de Constantinople est un horrible hérétique. Et ce, depuis qu’une conférence de prélats réunis à Constantinople en 1923 a osé toucher au calendrier liturgique orthodoxe et déplacer le jour de Pâques vers la date des catholiques. Vous avez sûrement remarqué, comme tout le monde, que les orthodoxes russes célèbrent Noël vers le 7 janvier. C’est à cause d’une lente dérive inexorable des dates loin du solstice, deux millénaires après la naissance, la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La querelle du jour de Pâques
Pour Pâques, c’est le même phénomène. Au siècle dernier, le patriarche de Constantinople s’était ému du fait que la date de Pâques, symbole de la victoire de Notre Sauveur contre la mort et du réveil de la nature, s’était éloignée dangereusement de l’équinoxe du printemps en direction de l’été. La conférence de Constantinople fit donc marche arrière. Grâce à un pieux bidouillage, on enleva 13 jours du « calendrier julien », le calendrier en vigueur chez les orthodoxes.
Ce « calendrier julien révisé » permet depuis de fêter Pâques le même jour que les catholiques, qui eux suivent un autre calendrier, le « calendrier grégorien ». Et de fêter ensemble Noël le 25 décembre. La méthode de calcul des deux branches de la chrétienté n’est pas exactement la même, mais ça sera le cas jusqu’en février 2800. Pour après, on verra, du moins si la fin du monde n’est pas encore arrivée d’ici là.
Les églises orthodoxes sont « autocéphales », un terme grec qui veut dire qu’elles ont leur propre tête, elles se gèrent toutes seules sans avoir un pape pour leur dire quoi faire. La réforme de 1923 n’a donc été suivie que par la moitié des églises nationales. Aujourd’hui, subtilités géopolitiques aidant, le 25 décembre est la date de Noël dans les patriarcats de Constantinople, d’Alexandrie et Antioche, dans les églises orthodoxes de Grèce, de Chypre, de Roumanie, de Pologne, de Bulgarie et d’Ukraine (sauf celles restées fidèles à Moscou).
Les Églises de Russie, de Jérusalem, de Serbie et de Géorgie ont conservé l’ancien calendrier julien. Pour Pâques, c’est encore plus compliqué, seuls les Finlandais et les Estoniens se sont ralliés à la décision du patriarche de Constantinople. Pour les catholiques, le dimanche de Pâques 2024 a eu lieu le 31 mars, mais pour la plupart des orthodoxes, c’était le 5 mai.
La bataille d’Esphigmenou
Ce n’est pas la première fois qu’on essaie d’expulser les moines d’Esphigmenou [1]. En 1974, les autorités du mont Athos leur avaient coupé l’eau et l’électricité. En vain. En 2002, les rebelles avaient perdu une bataille juridique auprès de la Cour suprême administrative de Grèce, mais ils n’avaient pas évacué les lieux. En 2011, des moines, dont leur leader, le père abbé Methodios, avaient lancé des cocktails Molotov contre des bulldozers de la police qui tentaient de les déloger. En 2020, une nouvelle injonction avait permis de les évincer d’une partie du domaine, dont l’hospice des pèlerins, sans plus. L’endroit est une véritable forteresse au bord de la mer, inscrite par ailleurs au Patrimoine de l’UNESCO.
Les dissidents ont perché une bannière sur l’édifice avec le slogan « orthodoxia i thanatos », l’orthodoxie ou la mort [2]. Les moines arrivent à tenir le coup grâce à leur jardin et un approvisionnement clandestin par des bateaux de pêche. Certains d’entre eux auraient une formation paramilitaire. Bien que leurs comptes en banque aient été gelés en Grèce, ils jouiraient également d’un certain financement de la part de fidèles et d’entités hostiles au patriarche de Constantinople, dont le Patriarcat de Moscou.
Les dissidents d’Esphigmenou considèrent comme hérétique le patriarche de Constantinople. Bartholomée 1er, depuis ses efforts pour dialoguer avec l’Église Catholique romaine. Récemment, une nouvelle pomme de discorde a surgi, la possibilité d’une présence imminente de femmes sur le territoire du mont Athos, une mesure réclamée par certains députés de l’Union européenne et supposément appuyée par le patriarche honni. En effet, les femmes, et plus largement les femelles animales, sont bannies du mont Athos depuis plus de mille ans, à l’exception des chattes (pour chasser les rats) et des poules (pour pondre des œufs dont le contenu est essentiel pour la peinture des icônes) [3].
Jules contre Grégoire
Et le 31 août dans tout ça ? Patience, on va y arriver. Donc, les moines d’Esphigmenou défendent bec et ongles le bon vieux calendrier julien, hérité de l’Empire romain. Dans l’Antiquité, à l’époque de la République, le calendrier était dans un état lamentable. On tentait de concilier les cycles du soleil et ceux de la lune, sans y arriver vraiment. On rajoutait des jours, des mois de temps en temps, il y avait des années de 355 jours, d’autres de 378. Quelques décennies avant la naissance du Christ, l’année avait même pris 90 jours d’avance sur le soleil. Chaque ville, chaque région, avait son calendrier, c’était, permettez l’expression, le bordel.
Arrive un grand général qui avait vaincu les Gaulois et soudoyé le petit peuple de Rome avec des dépenses somptuaires et des jeux. Au premier siècle avant Jésus-Christ, Jules César franchit le Rubicon. Il abolit la République et établit sa dictature. En 46 av. J.-C. il décide de mettre de l’ordre dans le fouillis du calendrier et il crée le fameux « calendrier julien », toujours en usage dans les églises orthodoxes.
D’abord, César place le début de l’année au 1er janvier et non pas au mois de mars, comme auparavant. Il stabilise la durée de l’année à 365 jours, avec une année bissextile tous les quatre ans avec un jour de plus pour février pour compenser le fait que l’année solaire dure 365 jours et quart. À un poil près, un petit poil qui s’avérera fort gênant au fil des siècles. En effet, la réforme du brave Jules était imparfaite, les jours dérivaient de 12 minutes par an, 20 heures par siècle, 8 jours par millénaire !
D’où la réforme grégorienne seize siècles plus tard. Notre calendrier à nous remonte à une décision du pape Grégoire XIII. La réforme de 1582 tient compte de la véritable durée de l’année solaire et précise le calcul des années bissextiles. D’où son nom, le « calendrier grégorien ». Mais ce calendrier n’a pas aboli l’héritage de l’Antiquité. Nous traînons aussi des vieilleries encore plus vieilles que Jules César. Quand on dit septembre, octobre, novembre, décembre, on dit en fait sept, huit, neuf et dix en latin : septem, octo, novem, decem. Septième, huitième, neuvième, dixième mois. Par rapport à quoi ? Par rapport au mois de mars, qui était considéré sous la République romaine comme le premier d’une nouvelle année avec le réveil de la nature.
Pourquoi un 31 juillet et un 31 août ?
Maintenant, nous en arrivons au vif du sujet : pourquoi 31 jours en juillet et 31 en août, alors que Jules César avait gardé la vieille alternance de 31 et 30 jours entre chaque mois (sauf pour février) ? Juillet et août s’appelaient alors le cinquième et le sixième mois, Quintilis et Sextilis en latin. Pourtant nous ne disons plus « quintembre » et « sextembre » pour juillet et août. Voici pourquoi. Quand César est mort, les Romains en ont fait un dieu. Et pour le célébrer dignement, ils ont rebaptisé Quintilis « Julius mensis », le mois de Jules, notre « juillet ». Puis est venu l’empereur Auguste, successeur de Jules César.
À sa mort, on l’a lui aussi divinisé et on lui a donné un mois, Sextilis, le sixième, qu’on a rebaptisé « Augustus », August en allemand et en anglais, agosto en italien et en espagnol, août en français moderne, etc.
Mais, catastrophe, les Romains se sont rendu compte que le dieu César avait eu droit à un mois de 31 jours alors que le dieu Auguste n’en avait que 30. Cela voulait-il dire qu’Auguste était un dieu inférieur à César ? Pour régler le problème et ne pas faire de jaloux, on a alors donné 31 jours au mois d’août.
Remercions donc ce dieu Auguste, c’est grâce à lui que nous pouvons bronzer un jour de plus en été.
[1] Malo Tresca, « Nouvelle opération pour expulser les moines rebelles du Mont Athos », La Croix, Paris, 29 juillet 20234.
[2] Archpriest Geoffrey Korz, « Orthodoxy or Death”, Pravmir.com Orthodox Christianity and the World, Moscou, 5 décembre 2015. https://www.pravmir.com/orthodoxy-or-death/
[3] Simon Legros, « Ce territoire aux règles très spéciales est le seul de l’Union européenne interdit aux femmes », La Libre Belgique, Bruxelles, 23 avril 2023.