À propos de l'auteur : Pierre Deschamps

Catégories : Livres

Partagez cet article

Qu’ont compris de leur présence dans l’univers les premiers humains qui, en levant les yeux vers le ciel, se sont imaginé faire partie d’un espace plus grand que ce que leurs yeux apercevaient ? Qu’ont été leurs premières pensées sur l’étendue que leur regard ne parvenait pas à épuiser ? Se sont-ils mis à célébrer les étoiles, la Lune, le Soleil ? Leur est-il apparu même furtivement que la solitude dans ce vaste monde et leurs tentatives d’en saisir l’essence allaient conduire leur descendance à inventer des mots, des rites, des croyances pour exprimer le partage entre le visible et l’invisible ?

Pierre Deschamps

Dans le cerveau de Terriens hantés par on ne sait trop quelle épouvante, est née un beau jour l’idée d’un être supérieur. Sans doute née à la suite de l’effroi que causait l’observation du lointain, de l’infini. Inquiets aussi d’imaginer l’existence de créatures d’ailleurs qui seraient semblables ou hostiles aux êtres d’ici. Ou de penser au final qu’ils étaient seuls au monde.

Les orphelins du Big bang

Dans un récent interview donné dans la foulée de la publication de Seuls dans l’univers (Odile Jacob, Paris 2022, 236 pages), l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring, spécialiste du système solaire, fait ce constat : « Quand on réalise la séquence d’événements particuliers qui ont façonné sur Terre des conditions favorables au développement de la vie, avec les bons ingrédients, dans le bon timing, la raison devrait nous pousser à envisager qu’il s’agit d’un chemin parfaitement unique parmi d’innombrables autres chemins d’évolution possible ; chacun, et celui de la Terre spécifiquement, n’a probablement été emprunté qu’une seule fois. »

Prix Nobel de médecine (1965), François Jacob n’en dit pas moins, dans La souris, la mouche et l’homme (Odile Jacob, Paris 1965, 236 pages), avec les mots du biologiste qu’il était : « Quand on considère l’origine de la vie il faut admettre que, en quelques huit ou neuf millions d’années, des milliers d’événements, chacun fortement improbable, se sont succédé pour permettre le passage d’une Terre sans vie à la vie d’un monde à ARN, puis à un monde à ADN […] si certains de ces événements n’étaient survenus, la vie telle que nous la connaissons n’existerait pas. »

Ce qui fait dire à Jean-Pierre Bibring que : « Ce hasard ne requiert ni dessein ni architecte. »

À l’opposé, dans le monde des mystères divins, l’opinion est radicalement autre : « l’Univers n’est pas né du hasard. L’existence d’un dieu créateur est incontournable », affirme le duo Bolloré et Bonnassies (BB, pour les intimes) dans un ouvrage récent (voir ci-après) dans lequel la science est mise au service de l’existence de Dieu.

La divine déferlante

Comme une poussée de champignons après une pluie l’automne, voilà qu’une nuée d’ouvrages (le mot nuée est symbole de la présence de Dieu dans la Bible) surgissent en librairie. Des ouvrages dont le propos vise à établir « irréfutablement » l’existence de Dieu. Le genre d’ouvrages qu’affectionne tout particulièrement la maison Figaro, quoi d’étonnant, laquelle ouvre toutes grandes les pages de ses différents titres à la primauté du divin sur le scientifique.

Se succèdent depuis peu dans ce cénacle de toutes les droites des articles aux titres qui ne trompent pas : La postérité de Stephen Hawking, ou les mésaventures de l’athéisme ; La science et la religion nous font prendre une même route ; La science peut-elle prouver Dieu ? ; Quand la science croit en Dieu.

Ce prosélytisme journalistique se poursuit avec la recension d’une flopée d’ouvrages de même eau : Dieu n’a pas besoin de « preuves »(Jacques Arnould, Albin Michel) ; La science, l´épreuve de Dieu ? (François Euvé, Salvator) ; Imiter Dieu (Anthony Feneuil, Mariel Mazzacco, Ghislain Waterlot, Cerf) ; et puis l’ouvrage des BB : Dieu, la science, les preuves (Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies, Guy Trédaniel éditeur). Oui, oui, Bolloré, Michel-Yves, le bien nommé frère de Vincent, connu pour sa piété, sa personnalité abrasive et son côté serial killer en affaires.

Une vague impression

Ce dernier ouvrage, qui a beaucoup retenu l’attention de la maison Figaro (mais elle n’est pas la seule), est publié par un éditeur que l’encyclopédie en ligne Wikipédia présente comme suit : « La ligne éditoriale de cette maison d’édition, qualifiée de “fourmilière à charlatans”, se focalise dans les domaines des pseudosciences, de l’ésotérisme, des croyances, de la divination, de la médecine non conventionnelle et d’autres domaines. »

Un propos sans ossature

Que font souvent les auteurs voulant convaincre sans être certains d’y arriver : ils deviennent des adeptes de l’accumulation à outrance. Des suites sans véritable lien logique, comme c’est le cas avec l’ouvrage des BB. En voici quelques échantillons.

Ici, une centaine de citations dites essentielles de grands savants qui témoigneraient de leur questionnement métaphysique. Ailleurs, une suite de découvertes scientifiques très brièvement décrites qui prouveraient que : « L’existence d’un dieu créateur est incontournable. » Dont, dans ce fatras, deux chapitres aux titres déconcertants : Hitler déclare la guerre à Dieu et La machine de guerre nazie contre le Big Bang.

Plus loin, un chapitre sur « Les vérités humainement inatteignables de la Bible  auquel succède celui sur “Les ‘erreurs’ de la Bible qui, en réalité, n’en sont pas”. Suivis de chapitres sur Jésus, « dont l’existence ne saurait être mis en doute », sur le destin du peuple juif comme preuve de l’existence de Dieu, sur le miracle de Fatima, sur ce que croyait Einstein…

C’est avec un tel amoncellement d’informations disparates que les auteurs affirment « offrir un panorama rigoureux des nouvelles preuves de l’existence de Dieu ».

Des failles méthodologiques

Or en matière de rigueur scientifique, il ne suffit pas de consacrer un chapitre d’une douzaine de pages à ce qu’est une preuve ou de citer à tout vent des scientifiques pour faire œuvre de science. Citons à ce propos le CEA (un centre de recherche scientifique, technologique et industrielle dont le siège social est situé à Paris) : « La marque distinctive des sciences est l’objectivation du vécu, soutenue par tous les processus de formalisation, d’élaboration de modèles calculables et révisables, qui lui sont nécessaires .»

Autrement dit et pour faire court : l’on peut citer Marx sans être marxiste, comme on peut citer la science comme le font les BB sans pour autant tenir un discours à la rigueur toute scientifique.

Que de distance aussi avec une argumentation ouverte, une démarche explique Michel Meyer (Qu’est-ce que l’argumentation, Vrin, Paris, 2005, 122 pages) qui consiste « à théoriser cette interrogativité, explicite ou implicite, qui est à l’œuvre quand on argumente, c’est-à-dire quand une question se pose et que la réponse ne s’est pas encore imposée ou ne peut s’imposer ».

La raison étouffée

L’extrait qui suit illustre à lui seul les continuels glissements de sens qu’opèrent les BB : « Face aux implications [scientifiques et divines] que nous avons passées en revue, un matérialiste cohérent ne pourra pas se contenter de croire à la seule matérialité de l’Univers, c’est-à-dire à l’inexistence d’un dieu, d’un diable et des âmes, croyances qui sont finalement faciles à soutenir. »

À cette affirmation apparemment catégorique, il n’est pas vain de rappeler ce qu’avançait le philosophe Alfred North Whitehead, dans son essai de cosmologie Procès et réalité (Gallimard, Paris, 1995, 592 pages) : « Il est aussi vrai de dire que Dieu a créé le Monde que de dire que le Monde a créé Dieu ».

Tout ça pour ça

En clôture de leur ouvrage, les BB résument leur aventure à bien peu de choses : les croyants vont continuer de croire, ceux qui s’interrogent vont continuer de s’interroger, ceux qui réfutent vont continuer de réfuter.

Fallait-il 577 pages de prêchi-prêcha pour en arriver-là ?

Pour ne pas sombrer dans une profonde désespérance intellectuelle, il peut s’avérer salutaire de méditer sur cet apophtegme du penseur grec Protagoras (cinquième siècle avant notre ère) : « À propos des dieux, je n’ai rien à dire, ni s’ils sont, ni s’ils ne sont pas, ni quelle est leur forme ; car de nombreux obstacles m’empêchent de le savoir : leur obscurité et la brièveté de la vie de l’homme. »

Laisser un commentaire