À propos de l'auteur : Michel Bélair

Catégories : Polar & Société

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Il est toujours un peu bizarre de se faire rappeler la violence qui sévissait partout — en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie et bien sûr aux USA — durant ce que l’on a appelé « les années de plomb ». Surtout celles qui ravagèrent l’Italie des années 1970. Les extrémismes de droite (Loge P2 pour Propaganda Due) puis de gauche (BR, Brigate Rosse – Brigades rouges) s’y traduisaient presque quotidiennement en enlèvements, en colis piégés, en attentats à la bombe sanglants, et en assassinats ciblés … Avec le recul, tout cela prend des airs d’avertissement. Comme si la radicalisation qui semble de mise aujourd’hui avait trouvé là ses premières incarnations dans la vie ordinaire d’un peu tout le monde. Et lorsque tout cela remonte à la surface, comme dans ce remarquable Sans collier de Michèle Pedinielli qui sort ce mois-ci en version livre de poche … on se surprend presque à désespérer.

Michel Bélair

Pourtant, les histoires de Michèle Pedinielli — celle-ci est la quatrième de cinq enquêtes à ce jour — n’ont rien de désespérant, bien au contraire. Elles mettent en scène un personnage coloré comme ce n’est presque pas permis quand on est la tête d’affiche d’une série de polars : Ghjulia «Diou» Boccanera, ancienne journaliste et détective privée de son état. Forte en gueule, Corse par sa mère et Italienne par son père, elle vit avec un coloc gai, propriétaire d’une galerie d’art, et entourée d’improbables amis — dont son ex, le commandant Joseph Santucci de la PJ de Nice — plantés au milieu de la vieille ville. Pas le Nice de la Promenade, des grands hôtels et des palaces, mais plutôt celui des gens vivant de petits métiers aux abords de terrasses et de minuscules places ombrées auxquelles on accède par des petites rues laissant à peine passer la Vespa rouge de Diou. Un monde en soi.

On la retrouve ici alors qu’un vieil ami, Ferdi, la ramène à son appart après avoir mis en fuite l’assaillant qui venait de l’assommer au moment où elle rentrait chez elle après avoir couru toute la journée à travers la ville pour une enquête. C’est d’ailleurs ce Ferdi qui fera remonter le douloureux souvenir des « années de plomb » en lui demandant de retrouver une femme qu’il a vue dans le centre-ville au volant d’une Fiat 500. Il croyait jusque-là ce « fantôme » disparu dans le sanglant attentat terroriste de la gare de Bologne qui a fait plus de 80 morts et des centaines de blessés, au tout début des années 1980. Ferdi, un routard allemand sexagénaire, géant et muet, se spécialise dans l’art de surgir inopinément dans la vie de Boccanera pour la tirer chaque fois d’un mauvais pas. C’est par lui qu’on apprendra l’existence d’une certaine Monica  — la femme à la Fiat 500, bien sûr — et de toute la mouvance italienne qui colorait sa vie vers la fin des années 1970.

De fulgurants éclats de vérité

À partir de ce moment, le récit se déroule sur deux plans distincts. D’abord celui de la vie quotidienne de Diou qui accepte difficilement l’apparition des premiers symptômes de la ménopause tout en menant une enquête sur un travailleur moldave disparu du chantier pharaonique où il était manœuvre. Puis, en parallèle, on voit apparaître le récit-confession d’une femme qui sent sa mémoire sombrer — le lecteur devinera vite qu’il s’agit de la dite Monica — et qui cherche désespérément à se souvenir de son passé au milieu de cris et d’odeurs anciennes l’assaillant de plus en plus souvent de l’intérieur.

Le volet mettant en scène l’enquête — et surtout la vie quotidienne et les réflexions — de Boccanera est le plus réjouissant. Indécrottable gauchiste, farouchement républicaine, elle en a contre toutes les combines des politiciens et des possédants, bref contre les puissances de l’argent en général … ce qui à Nice signifie souvent la même chose. Elle parcourt la ville sur sa Vespa à la recherche de son travailleur et du même coup met à jour un réseau de revendeurs de coke. Mais ses découvertes entraînent aussi des conséquences fatales : on retrouve le corps sans vie du cousin de l’ouvrier disparu au moment même où l’on apprend la mort du parrain de la mafia niçoise. Ce dernier détail n’est pas du tout anodin puisque le même personnage douteux surgit dans le discours de plus en plus confus de Monica.

Monica dont on apprend qu’elle est infirmière au CHU de Nice depuis des décennies. Arrivée là bizarrement dans la foulée de l’explosion à la gare de Bologne, on l’y a d’abord soignée pour des problèmes de mémoire avant qu’elle puisse se remettre et suivre une formation pour passer ensuite toute sa carrière au même hôpital, à l’unité de réanimation. C’est une femme discrète, efficace, apparemment sans histoire jusqu’à ce qu’un louche entrepreneur immobilier, un certain Asinelli, se pointe au chevet de sa femme plongée dans le coma. Asinelli comme dans Ottavio Asinelli, jadis responsable de la Loge P2 …

À Bologne dans les années 1970, Monica, Rossella sa sœur, Ferdi et quelques autres s’opposaient à toute violence en menant des actions citoyennes pour les plus démunis. On les appelait les cani sciolti, les « chiens sans collier » parce qu’ils n’appartenaient à aucune mouvance politique officielle. Un jour, l’un d’eux fut tabassé à mort lors d’un raid de la Loge P2. C’est ce souvenir terrible qui est remonté et qui a fait exploser les barrières de protection de la mémoire de Monica quand le fils de l’autre Asinelli est apparu au chevet de sa femme. Quel est le lien entre Boccanera, Monica et la mort de l’entrepreneur mafieux … on vous laisse comme à l’habitude découvrir tout ça par vous-même.

En vous incitant toutefois fortement à vous plonger dans cette histoire à la fois touchante et implacable portée par une écriture où tonnent de fulgurants accents de vérité. Une fois que vous aurez abordé le monde de Michèle Pedinielli vous ne souhaiterez que le connaître davantage … ce qui tombe fort bien puisqu’un tout nouveau volet des enquêtes de Diou Boccanera, Un seul œil, sort en librairie ce mois-ci, et bien sûr on vous le recommande chaudement. C’est un brûlant appel à l’essentiel qui prend tout son sens au milieu de la grisaille trumpienne qui mine de plus en plus nos vies …

 

Sans collier

Michèle Pedinielli

Éditions de L’Aube – Mikros noir

La Tour d’Aigues, 2025, 292 pages

 

 

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