À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie

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Antoine Char

Les banquiers centraux parviendront-ils à maîtriser l’inflation galopante, désormais partout présente dans les sociétés occidentales ? Que ce soit à l’épicerie, à la quincaillerie dans les grands magasins ou à la pompe, la hausse des prix est désormais généralisée. Elle inquiète. Jusqu’où cela nous mènera-t-il ?

Rudy Le Cours

L’antidote à la flambée des prix est pourtant simple, mais sa posologie peut être brutale, au point de faire plonger des pays en récession plus ou moins longue et profonde. Les banquiers centraux agissent comme médecins. Leur remède, augmenter les taux d’intérêt afin de refroidir l’économie en surchauffe.

Au Canada, la croissance réelle annualisée a atteint 3,1 % au premier trimestre. À son plein potentiel, le gonflement de la taille de l’économie devrait se limiter plutôt à un rythme avoisinant les 2 % quand l’économie est en expansion dans son ensemble. C’est le cas. La production de biens et services a excédé de 0,8 % son sommet pré-pandémie, au premier trimestre, malgré la vague Omicron qui a mis sur pause en partie le secteur des services, en janvier et février.

La Banque du Canada reconnaît désormais qu’elle a pris du retard dans la normalisation de son taux directeur, ayant estimé, à tort, que les pressions inflationnistes étaient conjoncturelles, temporaires.

Elle met donc les bouchées double pour freiner la consommation en restreignant le crédit. Les secteurs très sensibles aux variations des taux d’intérêt réagissent déjà, comme on le voit sur le marché de la revente dans l’habitation.

Néanmoins, il faut attendre de 12 à 18 mois avant que les effets des hausses de taux soient pleinement ressentis dans l’économie, ce qui nous mène à l’an prochain.

La grande faiblesse des banques centrales dans le cas présent, c’est que l’inflation est nourrie au moins autant par l’offre que par le demande. Elles n’ont aucune emprise sur l’offre. Elles ne peuvent ni raccorder des chaînes d’approvisionnement rompues par Pékin pour éradiquer la Covid, ni forcer les Russes à se retirer d’Ukraine, ni contrôler les prix des produits de base fixés par la spéculation des marchés.

Mince consolation, la Chine rouvre ses usines et son port de Shanghai.

Ralentissement souhaité, recul possible

Le danger le plus grand couru par les banquiers centraux, c’est que tous et chacun s’imaginent que l’inflation va perdurer. Quand s’installent pareilles attentes, on a tendance à devancer des achats.

Ce faisant, on nourrit une demande que les autorités monétaires s’efforcent de diminuer. Voilà pourquoi la Banque du Canada signale qu’elle entend procéder à toutes les hausses nécessaires pour ramener le taux annuel d’inflation dans une fourchette de 1 % à 3 %.

Elle a même annoncé que son taux directeur pourrait franchir la barre des 3 % afin de montrer toute sa détermination à freiner la hausse des prix. Pour y parvenir, elle doit freiner la demande afin de créer une offre excédentaire qui ralentirait la montée des prix.

C’est un exercice périlleux. Agir trop vite entraînera une panne de croissance comme en 1991, trop lentement une perte de crédibilité et la poursuite de la flambée des prix, comme durant les années 70. ET répétons-le, elle n’a aucune prise sur les prix des produits de base fixés par les marchés.

Évidemment, tout le monde souhaite qu’elle parvienne à orchestrer ce qu’on appelle un soft landing dans la langue de Margaret Atwood, un freinage en douceur de l’activité économique, sans étouffer ses moteurs.

En pareil cas, la croissance décélérerait, stopperait peut-être brièvement, mais serait en mesure de redémarrer sans trop de mal. Du pilotage de grand art, en somme.

Récession et récession

Voilà pourquoi Dave McKay, directeur général de la Banque Royale du Canada, a estimé le mois dernier à une chance sur deux que le Canada tombe en récession. C’est beaucoup, mais il n’est pas le seul à penser ainsi.

« Il est encore possible de diminuer l’inflation sans nécessairement provoquer une récession. Les chances, qui reposent en partie sur la confiance du public envers les décideurs, sont minces. Mais elles sont là », croit pour sa part Royce Mendes, directeur général et chef de la stratégie macroéconomique chez Desjardins.

Ce mot en R fait peur, mais il est bien mal compris. De quoi parle-t-on ?
On entend communément par récession, deux trimestres de croissance négative d’affilée. C’est facile à comprendre, mais c’est surtout imprécis, voire inexact parfois.

Prenons deux exemples.

En mars 2020, l’économie mondiale a été mise sur pause. Le Grand Confinement a entraîné une profonde récession. Au Canada, le Produit intérieur brut réel a plongé de 17,7%. Pourtant, dès mai, la reprise était enclenchée.

Deux mois donc. Néanmoins, écrit le Business Cycle Council (BCC) de l’Institut C, D. Howe, « il s’agit de la récession la plus courte et la plus profonde depuis la Grande Dépression qui a commencé en 1929. » (Communiqué du 24 août 2021)

Le BCC a pour mandat de déterminer le début et la fin d’une récession. Son pendant américain, le National Business of Economic Research, en est arrivé à la même conclusion : « Le Comité conclut que la chute d’activité a été si grande et si répandue dans l’économie que, malgré sa brièveté, on doit la considérer comme une récession. Il s’agit de la récession américaine la plus courte à ce jour.» (Communiqué du 19 juillet 2021).

Ces deux organismes ne limitent pas la définition d’une récession à une contraction de deux trimestres. Ils mesurent aussi la profondeur et l’étendue de la décroissance dans toutes les sphères de l’économie.
En 2015, l’économie canadienne s’est contractée de 0,2 % au premier trimestre et de 0,1 % au deuxième, ce qui en ferait un épisode récessionniste.

La Banque du Canada a même réagi en abaissant son taux directeur pour stimuler la demande, prenant de court la plupart des observateurs économiques et financiers.

Le BCC considère néanmoins que l’économie canadienne n’était pas en récession. « Géographiquement, l’Alberta et Terre-Neuve ont été davantage affectées par la chute du prix du pétrole, tandis que la croissance économique en Ontario et au Québec est restée positive, explique Steven Ambler, professeur au département des sciences économiques de l’UQAM et président du BCC.

Également membre de la Chaire David Dodge de l’Institut C. D. Howe, il ajoute dans un échange de courriels avec En Retrait : « Il y avait plus de secteurs de l’économie en expansion qu’en contraction. »
En outre, l’emploi a continué de progresser durant la période. Finalement 2015 aura été une autre année d’expansion de l’économie canadienne.

Pour mieux comprendre les différences entre les récessions, le BCC les classe un peu à la manière des ouragans, de force 1 à 5.

Celle de 2020 est de force 5 alors que celle de 2015 est à peine de catégorie 1. La Grande Récession de 2008-2009 est classée 4. (Pour plus de détails lire l’étude en anglais de Philip Cross et Philippe Bergevin : https://www.cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed/Commentary_366_0.pdf)

Et maintenant ?

Si on se fie aux marchés boursiers qui anticipent généralement de six mois le comportement de l’économie, l’avenir est plutôt sombre.
Ce qui les fait toutefois paniquer avant tout depuis le début de l’année, c’est la hausse du loyer de l’argent. Eux, qui sont dopés au crédit facile depuis des années appréhendent un sevrage douloureux qui va freiner la spéculation.

L’économie réelle donne quelques signes d’essoufflement aux États-Unis. Son PIB a reculé de 1,5 % au premier trimestre. Pourtant il s’y crée encore beaucoup d’emplois et l’indice des décideurs d’achat du secteur manufacturier, un indicateur avancé très surveillé, pointe toujours vers l’expansion. Simple recul donc ? C’est en tout cas ce que pense la Réserve fédérale.

Au Canada, tout baigne pour l’instant. Nous subissons les hausses de prix, les contretemps des ruptures de chaînes d’approvisionnement pour changer de voiture par exemple.

Toutefois, nous ne sommes aucunement menacés de pénurie d’énergie ou de céréales, étant même des exportateurs nets.

L’inflation appauvrit les ménages, gruge les marges des entreprises, mais dopent les recettes fiscales puisque les prix des exportations canadiennes grimpent plus vite que ceux de ses importations. L’État garde donc tout son pouvoir de stimulation.

Toutefois, notre économie ne pèse pas lourd sur l’échiquier mondial. Et si notre partenaire et grand voisin devait trébucher, nous serions bousculés forcément. Et de conclure M. Ambler : « C’est peut-être ce que je crains le plus. La récession canadienne de 2009 avait à son origine surtout la crise financière et la récession aux États Unis. »

Si l’histoire devait se répéter plus tard cette année ou l’an prochain, il restera à mesurer si la récession sera de force 1, 2, 3 4 ou 5. Mais pourquoi pas zéro ?

Pour voir les variations du PIB :
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=CAN&codeTheme=2&codeStat=NY.GDP.MKTP.KD.ZG

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