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Emad El Byed/Unsplash
Claude Lévesque
L’Histoire suggère qu’il faudra un jour reconstruire la bande de Gaza. C’est ce qu’on a fait à Berlin, à Varsovie, à Tokyo, à Hiroshima, à Grosny. Un jour, l’enclave de 365 kilomètres carrés redeviendra peut-être habitable …
Mais quand, comment, à quel prix ce travail sera-t-il réalisé ?
Et par qui ? Israël maintient que la destruction résulte d’opérations purement défensives et conformes au droit humanitaire, même si tout le monde n’en est pas convaincu. Il faudra donc qu’il y ait un effort international pour y arriver.
« Les donateurs internationaux tels que les gouvernements, les fondations et les individus seront vraisemblablement sollicités pour réparer les dommages causés par les bombardements », estimait en février un groupe d’experts réunis par le groupe de réflexion américain Carnegie Endowment for Peace.
Les individus et les organisations à vocation humanitaires participeront sans doute à l’effort même si elles savent que les causes de la violence n’auront pas disparu et que les cycles de destruction et de reconstruction partielle risquent de se répéter. Les autres acteurs hésiteront peut-être davantage avant de risquer leur capitaux. [1]
Sortie de crise ?
La dernière proposition en date concernant une trêve ou un cessez-le-feu, israélienne à l’origine mais présentée et défendue par le président américain Joe Biden, y fait allusion.
Il s’agit d’un plan en trois étapes. Première étape : une trêve de 60 jours marquée par un retrait partiel des troupes israéliennes et par la libération d’une partie des otages et des prisonniers, de même qu’une augmentation du volume de l’aide humanitaire; deuxième phase : libération des autres otages et retrait total des troupes israéliennes. Ce n’est que dans une troisième phase qu’on commencerait enfin à discuter de la reconstruction.
L’état des lieux
Au moment d’écrire ces lignes, la guerre entre l’État hébreu dirigé par une coalition d’extrême-droite et le groupe djihadiste Hamas faisait encore rage : les destructions et le carnage se poursuivaient, si bien que le bilan reste provisoire.
Au début d’avril 2024, la Banque mondiale indiquait qu’au moins un million de Gazaouis (sur 2,166 millions) n’avaient plus de toit au-dessus de leur tête et que 90 % des emplois avaient disparu.
Quelques semaines plus tard, on parlait de plus de 1,6. million de sans-abris. Et c’était avant l’assaut sur la ville de Rafah.
Un rapport conjoint de l’ONU et de la Banque mondiale estimait aussi que 84 % des établissements de santé étaient au moins partiellement détruits, de même que l’ensemble des infrastructures d’adduction d’eau potable et d’électricité. [2]
Avant de reconstruire, il faudra d’abord débarrasser le territoire de toutes les bombes qui n’ont pas explosé. [3] Il faudra aussi ôter les 37 millions de tonnes de débris qui jonchent le sol. [4] Selon l’ONU, cela pourrait prendre 14 années pour venir à bout de ce nettoyage.
Comment, combien, quand ?
Début avril, la Banque mondiale et l’ONU avançaient le chiffre de 18 milliards $US pour la reconstruction, dont 72 % serviraient à construire des habitations, tandis que 19 % seraient destinés à la réhabilitation de l’approvisionnement en eau potable, des écoles et des hôpitaux.
Un peu plus tard, le PNUD estimait le coût de la reconstruction entre 30 et 40 milliards$US.
Début mars 2024, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, estimait pour sa part qu’il en coûterait 90 milliards. Et que la reconstruction pourrait prendre des décennies. [5]
La « vision » de Nétanyahou
Le 3 mai 2024, le Jerusalem Post présentait «la vision de Nétanyahou pour Gaza en 2035», telle qu’exposée sur le site web du premier ministre israélien. Le texte est illustré avec une image générée par l’intelligence artificielle et représentant un mini-Dubai au bord de la Méditerranée.
Selon ce plan, l’aide humanitaire continuerait d’être livrée pendant un an, avant même la fin des combats, sous la supervision de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Égypte, du Bahreïn, de la Jordanie et du Maroc, des monarchies et un régime militaire qu’Israël considère comme «les pays arabes modérés».[6]
Ensuite, la sécurité dans l’enclave serait placée sous la gouverne d’Israël pendant une période de cinq à dix ans. Mais attention! Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui partage avec son patron (et avec trois chefs du Hamas) l’« honneur » d’être dans le collimateur de la Cour pénale internationale, a menacé de démissionner si Nétanyahou ne renonce pas à confier cette tâche à Tsahal.
Il n’est pas le seul membre du « cabinet de guerre » israélien à ruer dans les brancards. Benny Gantz a récemment remis sa démission, pour d’autres raisons. (Malgré toute cette bisbille, la coalition au pouvoir tient encore…).
Le mirage de MBS
Autre grain de sable dans ce bel engrenage utopique (ou dystopique ?) : le « plan régional » rêvé par Nétanyahou, qui se veut en lien avec le projet pharaonique NEOM, imaginé par le prince héritier de l’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman, et dont la pièce maîtresse, The Line, une cité linéaire de 170 kilomètres de long (bien 170 kilomètres !) a été mis sur pause pour des raisons financières, techniques et écologiques, sans compter la controverse suscitée par la répression sanglante exercée par le royaume contre les populations tribales déplacées.
Le casse-tête reste entier
De toute façon, les pays arabes, modérés ou non – et l’Arabie saoudite ne fait pas exception à ce chapitre -, ne semblent pas prêts à participer à la reconstruction du territoire dévasté à moins qu’Israël ne consentent à une solution «à deux État s» pour régler le long conflit israélo-palestinien.
Ce à quoi le gouvernement Nétanyahou est carrément opposé, comme il est opposé à ce que le Fatah, qui est officiellement au pouvoir en Cisjordanie, ait quelque rôle à jouer dans la bande de Gaza dont il a été évincé par le Hamas en 2007.
Comme personne ne sait à quoi ressemblera l’avenir politique de Gaza si Israël «détruit» le Hamas comme Nétanyahou le prétend, la question de la reconstruction est loin d’être réglée. Le fond du problème, c’est peut-être qu’on consulte les « think tanks », les fondations, les milliardaires arabes, mais jamais les principaux intéressés, les Palestiniens, sur leur avenir. [7]
[1] Governing Gaza after the war: The international perspective, Carnegie Endowment for Peace, 26 février 2024 [2] Joint World Bank, UN Report Assesses Damage to Gaza’s Infrastructure, 2 avril 2024 [3] Guerre Israel-Hamas: la reconstruction à Gaza est estimée entre 30 et 40 milliards de dollars par l’ONU, Tribune.fr, 2 mai 2024 [4] Development in Palestine set back more than 20 years due to Gaza war, UN News, 2 mai 2024 [5] Gaza Reconstruction set to cost 90 billion $, Ikram Koachi, Anadolu Agency, 3 mars 2024 [6] From crisis to prosperity: Netanyahu’s vision for Gaza 2035 revealed online, Yuval Barnea, Jerusalem Post, 3 mai 2024 [7] Qui pour financer la reconstruction de Gaza? Cathrin Schaer et Konstanze Fischer, DW (Deutsche Welle), 14 décembre 2023