À propos de l'auteur : Richard Massicotte

Catégories : Livres

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Facebook : Daniel Lessard

Au lancement de l’ouvrage, Daniel Lessard, Richard Sanche, Bernard Derome et Gilles Morin.

Richard Massicotte

Nous vivons dans une société vieillissante – les milléniaux nous le rappellent-ils assez ? – alors qu’un papy-boomer de 82 ans écrive son autobiographie ne devrait pas en soi nous intéresser. Mais quand cet octogénaire est une sorte de militant de la vie, un exemple de résilience face à l’adversité et qu’en plus on l’a fréquenté professionnellement – c’est le cas de l’auteur de ces lignes, on prête attention. En Retrait a rencontré virtuellement Richard Sanche pour parler de son récit Mon amie, la vie, publié récemment aux Éditions Caramello.

Richard Sanche a été patron à Radio-Canada jusqu’en 1997, et auparavant reporter dans la même boîte. Il a aussi été brièvement président du syndicat des journalistes de l’endroit. S’il est né en 1941 dans une famille nombreuse de l’Outaouais, il n’a pas eu le destin aussi facile que nombre de ses congénères générationnels. Grandir dans un shack à Limbour, alors un village pauvre derrière Gatineau, était la première étape. Mais Sanche s’est vite senti abandonné, car orphelin de mère à quatorze ans et orphelin de père à quinze ans, il a cessé les études avant la vingtaine et s’est retrouvé seul.

Écrire pour sa descendance, mais pourquoi faire ?

Mais pourquoi écrire au juste ? Dans une entrevue virtuelle, début novembre, il répond : « Il y avait tellement de choses que j’essayais de savoir sans succès de mon passé familial, alors je me suis dit que ça n’arriverait pas avec mes enfants, mes petits-enfants et mon arrière-petit-fils. »

Le récit de vie de Sanche fait environ 280 pages et aurait bien pu, comme d’autres, rester dans des fonds de tiroirs. Mais il est un tel témoignage d’une soif de vivre, jamais démentie. Déclaré mort cliniquement à l’âge de 37 ans, Sanche n’a cessé de frôler la mort, tout en vivant avec grande intensité. C’est bien sûr aussi l’époque qui voulait cela et ces années glorieuses étaient celles d’une certaine insouciance, qui tournait parfois à l’inconscience.

On pourrait aujourd’hui trouver inique qu’un type fume quatre paquets de cigarettes par jour, mais cela existait autour de nous. Sanche, lui, sentait le besoin de vivre le plus intensément possible. Il dira en entrevue : « Mes parents sont tous les deux morts dans la quarantaine, alors je me voyais moi aussi mourir à un jeune âge, c’est pourquoi je ne voyais plus la vie de la même façon. »

L’idée de mettre sa vie sur papier lui est venu durant la pandémie. Il admet, comme lui a dit une amie « je ne gagnerai pas le Pulitzer avec ça », mais que ça lui a fait du bien. Il croit que son message en est un d’espoir.

Des ruptures, des ancrages aussi

Avec le départ prématuré de ses parents, Richard Sanche s’est naturellement senti seul. « Je me sentais carrément abandonné, et j’ai toujours eu cette crainte d’être abandonné, par la suite … » Il sera d’abord pensionnaire à Montebello, où poursuit-il en entrevue « … j’ai vu pour la première fois ce que c’était que les classes sociales », puis à Longueuil, où les clercs du collège finiront par le mettre à la porte.

Ses proches le recueilleront aussi, dans des contextes variables. Il sera hébergé par son frère, Jean-Pierre (1930-1991) – qui terminera sa carrière de journaliste au Journal de Montréal, un séjour plus que mitigé pour Richard, alors qu’il vit dans des conditions dignes du XIXe siècle, rongeurs et souris inclus. Il qualifie son séjour chez son aîné de difficile, mais formateur.

Sa grand-mère Sanche, qui vivait à l’époque dans le Vieux-Hull, sera aussi une bouée de sauvetage pour lui, alors qu’elle était déjà âgée de plus de soixante-dix ans. Il y avait aussi la radio et des livres chez elle, premier refuge du jeune Sanche.

C’est cependant chez son oncle Jean-Paul qu’il retrouvera, à l’occasion, cet esprit de famille qui lui a tant fait défaut, puisqu’à la mort de son père, la famille est démantelée. Richard ira voir cet oncle les fins de semaine, alors qu’il étudie à Longueuil. Il ne tarit pas d’éloges sur son oncle et sur un de ses enfants, Guy Sanche. En effet, le comédien qui incarnera Bobino au petit écran était le cousin de Richard Sanche. « Il était tellement aimable avec moi. Quand on allait à Radio-Canada, il me présentait à ses collègues en disant que j’étais son frère. » Quoi demander de mieux quand, orphelin, Bobino dit à qui veut l’entendre que Chouchou est le frère de Guy Sanche !

Les surnoms

Tant qu’à être dans la trivialité, restons-y !  Chouchou n’est en effet qu’un des nombreux surnoms dont sera affublé Sanche tout au long de sa vie. Né durant la guerre, on le désignera comme Churchill, sa voix portant tellement qu’il dérangeait son entourage. On remarquera dans l’ouvrage l’absence de quantité d’autres alias, dont Tites-pattes, Sanché et Sancho, ainsi que notre préféré, Monsieur Chance.

La chance, mais aussi le syndrome de l’imposteur

Sanche, on le sait aujourd’hui, finira par aboutir à une certaine sérénité ; non sans de nombreuses épreuves. Après avoir laissé les études juste avant la vingtaine, Sanche va commencer dans le métier aux Nouvelles de l’Est à Montréal, où il sera quelques mois. Au début de 1961, il se retrouvera à CKCH, à Hull, de retour dans sa région natale, à 19 ans. « La joie, dites-vous ? Je nage dans le bonheur total. Je reviendrai dans ma ville exercer un métier qui me fascine déjà. Mon salaire hebdomadaire est établi à 40 dollars […] Je franchis une nouvelle étape. » (p.109) C’est donc là qu’il se sentira valorisé pour la première fois de sa vie.  Il a les aptitudes, l’oreille, et en plus, il aura retenu de ses années de collège, son cours de dactylo !

En entrevue, il avoue que ce nouveau métier sera pour lui une façon de faire contrepoids à ses difficultés familiales ; manière de se rééquilibrer, quoi. Le fait de rencontrer des personnages historiques, dont René Lévesque —|en campagne avec Jean Lesage, ainsi que Daniel Johnson père n’est pas pour nuire à son développement.

Il est ensuite embauché à Radio-Canada à Ottawa, à l’âge de 24 ans. C’est à la société d’État qu’il dit avoir ressenti profondément le syndrome de l’imposteur. À Ottawa, il est le seul journaliste qui n’ait pas de diplôme universitaire ; il écrit : « Mes complexes ont de la nourriture à se mettre sous la dent . » (p. 137).

Il nous faut avouer ici une certaine surprise à la lecture de cet aveu de Sanche. Après tout, ce patron a embauché plusieurs d’entre nous à Montréal, comment se pourrait-il qu’il se soit ainsi senti si diminué ? « J’étais très gêné, et je me cachais derrière un micro, quoi. Mais en me comparant à Paul Racine, Madeleine Poulin et d’autres, tous diplômés, c’était quelque chose », dira-t-il en entrevue.

Il admet avoir eu beaucoup de chance ajoutant qu’il a appris en travaillant, à l’université de la vie.

Sanche entre à Radio-Canada à Montréal en 1972. Ancien président du syndicat à CKCH, il le sera aussi brièvement à Montréal et constatera cette distinction entre classes de journalistes, phénomène qu’il n’acceptait pas. Sur le plan professionnel, il travaillera notamment sur le très chaud dossier olympique et côtoiera Jean Drapeau.

Un des événements marquants de cette époque, de même que pour Sanche, est la victoire de René Lévesque et du Parti québécois, en 1976. « Les gens nous félicitaient dans la rue, à la sortie du Centre Paul-Sauvé, alors qu’on ne faisait que notre travail », lance Sanche en entrevue. Pour ceux que la chose pourrait intéresser, voici en vidéo, comment Richard décrivait la scène dans l’amphithéâtre, aujourd’hui disparu : https://www.youtube.com/watch?v=zzLLnVbF2o4&t=84s

La peur de mourir, la soif de vivre

L’événement central de la vie de Sanche demeure néanmoins sa « mort clinique », à Londres, en 1978, où Richard avait été nommé réalisateur-coordonnateur en Europe, pour Radio-Canada. Quelques mois après son arrivée dans la capitale britannique, Richard Sanche vit une très douloureuse et dangereuse crise cardiaque.

Il a 37 ans. Il fume énormément de tabac, boit beaucoup d’alcool et fait de l’insomnie. Un régime qu’il n’est sans doute pas le seul à avoir, à cette époque où plus d’un journaliste homme qui se « respecte », cache un petit flacon dans son bureau, sans compter les salles de rédaction enfumées que l’on imagine. Car la période des « vaches grasses » à Radio-Canada est aussi une époque de longues heures de travail, de vie effrénée, donc de stress.

Les spécialistes londoniens parlent de suicide. Sanche écrit : « Les médecins, à tour de rôle, me disent la même chose. Cette consommation exagérée de tabac n’est rien d’autre qu’une tentative inconsciente d’autodestruction. Je suis sidéré. » (p. 191) On le serait à moins. Richard passera trois longs mois à l’hôpital de Londres qui le soigne. C’était un déni, une fuite en avant, écrit-il aussi de sa vie avant 1978.

La peur de la mort le tenaille alors passablement. « Le pire ennemi du cardiaque, c’est la peur », avoue-t-il en entrevue. Dès son retour à Montréal, il doit s’inscrire à l’ÉPIC, l’Étude pilote de l’Institut de cardiologie de Montréal. Mais en pleine grève des journalistes, il n’a pas le sou. C’est donc le collègue Jean Larin (1943-2023) qui lui paiera son premier abonnement. À partir de ce moment-là, il sera pris en charge par l’Institut et par le Dr Martin Juneau. Encore aujourd’hui, Richard, âgé de 82 ans est suivi par l’ÉPIC, à raison de trois fois par semaine.

Richard a subi de nombreuses interventions coronariennes par la suite, dont un quintuple pontage en 2008, de même que l’installation d’un défibrillateur, il y a quelques années.

Mais dans notre entretien, littéralement à cœur ouvert, Sanche confie qu’il jouit de vieillir et qu’il sait que bien des gens aimeraient être à sa place. « Chaque âge a son importance, mais vieillir comporte de nombreux avantages », nous dit-il.

Ce qui le rassure et le réconforte à présent, c’est de savoir que plus de temps est passé après sa « mort clinique » de 1978, à 37 ans, qu’avant cette crise. « Je sais que malgré que tout ce que j’ai vécu sur le plan de la santé, j’ai eu beaucoup de chance et c’est probablement pourquoi je garde ce même goût de la vie. »

Et qu’est allé faire M. Chance après notre entrevue ? «Je devais aller à l’ÉPIC, mais là je vais aller faire un tour de vélo.»

Richard Sanche
au lancement, le 21 septembre.

 

 

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