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Paul Tana
Je suis allé voir Ru au cinéma Star Cité, dans l’est de Montréal, à l’ombre du stade Olympique et Ferrari au Cinéplex Forum, dans l’ouest, avec dans le hall d’entrée la statue en bronze du mythique Maurice Richard.
Ce sont de belles salles, un peu fanées mais confortables et aux antipodes l’une de l’autre comme les films que j’y ai vus.
En même temps ces deux films, aux sujets et thèmes si différents, ont quelque chose en commun : une certaine incapacité à tendre vers le sublime.
Ru, tiré du roman éponyme de Kim Thùy, raconte l’histoire d’une famille de réfugiés vietnamiens qui est accueillie par une famille québécoise à Granby, après la chute de Saïgon qui a mis fin à la guerre du Vietnam en 1975.
Charles-Olivier Michaud, le réalisateur, fait preuve d’un grand souci d’authenticité au point de vue du casting, des décors, de la langue, des costumes et dans ces très beaux plans fixes de la fin : tous les personnages du film qui ont aidé la famille réapparaissent dans des portraits de groupes muets, nous regardant, nous spectateurs. Vraiment très émouvant !
Le reste, c’est-à-dire tout le film, ou presque, est plombé par un excès de sentimentalisme qui surgit du caractère forcé des scènes qui le construisent. Un exemple majeur : la famille québécoise qui, dans la scène de la cabane à sucre, se met à chanter doucement « Le petit bonheur » de Félix Leclerc. Je n’en croyais pas mes yeux, mes oreilles, les bras m’en sont tombés : le petit clip sortait comme ça, de nulle part, sans aucune nécessité dramatique. C’est un moment du film où la québécitude heureuse et le contentement de soi se substituent à la réalité complexe du rapport entre des êtres humains appartenant à des cultures différentes qui tentent de se comprendre, de cohabiter dans un même espace : cette province, ce pays.
Il y a aussi bien d’autres scènes toujours un peu trop forcées pour être vraies, sans lien vraiment organique avec les personnages. Je pense à Tinh et au vieux qui pellette la neige devant l’entrée de l’immeuble où ils habitent. Ils sont assis tous les deux, sur la neige devant la fenêtre du sous-sol, un néon coloré en arrière-plan et le vieillard qui dit à la petite protagoniste (qui sera un jour l’écrivaine Kim Thùy) qu’il faut apprendre à connaître les variations du bleu du ciel pour apprécier la vie … réflexion intéressante, sage mais enserrée dans une scène qui est plus didactique qu’émouvante parce que forcée.
Dans ce contexte Ru ne prend pas vraiment son envol, il reste enfermé sur lui-même et dans cette belle province où il a été créé.
Ferrari est aux antipodes de Ru, mais tout aussi sentimental et fermé sur lui-même : c’est-à-dire sur Hollywood qui l’a produit.
En 1957 Enzo Ferrari est dans un moment de grande crise dans sa vie : il a deux femmes, deux enfants : Dino, mort depuis un an, est le fils qu’il a eu avec Laura, son épouse légitime. Le jeune Piero, celui de sa relation secrète avec Lina.
Il y a aussi les Mille Miglia : une course automobile légendaire. C’est une voiture Ferrari qui, cette année-là, va gagner et sauver la compagnie de la faillite, mais c’est un accident provoqué par une autre Ferrari, tuant dix personnes, dont cinq enfants, le pilote et le navigateur, qui va marquer la dernière édition de cette course folle à travers les routes d’Italie.
Enzo Ferrari est interprété par Adam Driver, Laura par Pénélope Cruz, Lina par Shailene Woodley : casting international ! Le réalisateur est Michael Mann, ce n’est pas un nouveau venu mais un vieux pro de 80 ans.
On regarde admiratifs le professionnalisme de Pénélope Cruz, d’Adam Driver dans la composition de leurs personnages, mais ces derniers ne suscitent pas de grandes émotions. Shailene Woodley , par contre, réussit à incarner de belle façon le personnage en retrait de la maîtresse du « Drake »: elle n’est pas une star comme les deux autres et son « anonymat » relatif rend son personnage plus authentique à nos yeux de spectateurs.
Dans ce film, d’une perfection toute professionnelle, Mann, hélas, fait preuve d’une incapacité à rendre un tant soit peu sensible, la culture familiale d’un pays, d’une classe sociale (la bourgeoisie de province), d’une époque (1957) et l’atmosphère d’un événement mythique comme les Mille Miglia.
Pour vraiment sentir, les Mille Miglia, il y a Fellini : « Amarcord », je vous le dis en passant.
Mann n’est pas Fellini évidemment et il est plus intéressé à montrer le tachymètre Jager sur le tableau de bord de la Ferrari que l’émerveillement des spectateurs des Mille Miglia, l’enthousiasme d’un pays entier face à un tel évènement.
C’est son choix ! Mais ce faisant, il réduit cette course à la course comme telle, point. Il fait la même chose avec les dynamiques familiales et amoureuses de Enzo Ferrari, génériques et désincarnées.
Ce film, enfermé dans la réalité hollywoodienne qui l’a produit, est centré sur un scénario opératique qui met en scène un homme déchiré entre deux femmes.
Dans l’opéra, c’est la musique qui élève la banalité mélodramatique du livret et la transcende, la tend vers le sublime. Ici, la musique, non pas celle du compositeur de la musique du film mais celle de Michael Mann, l’auteur du film, est malheureusement absente.
Ru
Réalisation : de Charles Olivier-Michaud. Scénario de Jacques Davidts d’après le roman de Kim Thùy. Direction de la photographie : Jean-François Lord.Avec Chloé Djandji, Jean Bui, Chantal Thuy, Karine Vanasse, Patrice Robitaille et Marie-Thérèse Fortin. Production : André Dupuy,Marie-Alexandra Forget,Québec, 2023. 117 minutes.
Étoiles : **1/2
Ferrari
Réalisation : Michael Mann. Scénario : Scénario :Michael Mann ,Roy Kennedy-Martin
D’après le livre de Brock Yates Photographie :Erik Messerschmidt . Avec : Adam Driver
Penélope Cruz , Shailene Woodley .Pays: États-Unis. 2023. Durée 130 minutes.
Étoiles : **1/2