À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Société

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Albert Dussault, joueur canadien de l’équipe de baseball binationale de Beebe en 1938 : « Mon père, c’était le meilleur ! »

Jean Dussault 

Fin juin, le 45e POTUS a annoncé par vidéo ce qu’il ferait en tant que quarante-septième President Of The United States. Entre autres engagements formels, Donald Trump a promis de terminer la construction d’un mur entre les États-Unis d’Amérique et les États-Unis du Mexique. Occasion de jeter des coups d’œil sur l’autre frontière de l’Oncle Sam.

L’actualité est ainsi rapportée par les médias : en tas. Pendant un certain temps, puis on passe à autre chose. Sur la question de la frontière canado-américaine, il n’y en a eu pendant des mois que pour le Chemin Roxham par lequel transitaient des gens essentiellement opprimés chez eux et exploités en route vers un monde idéalement meilleur.

Les manchettes ont aussi rapporté en avril des noyés dans le trafic d’humains par le territoire d’Akwesasne ou, à l’hiver 2022, le « Truck you Convoy » qui a barré la frontière en Ontario, au Manitoba et en Alberta.

Puis, ironie des ironies début juillet, le bref blocage de l’entrée légale au Canada par le poste frontière de Lacolle parce que la route du côté québécois s’était affaissée.

Puis les manchettes sont allées jouer ailleurs, comme d’habitude. La réalité n’a pour sa part pas changé de place.

45-47-49

L’école d’ici a appris à tout le monde que c’est le quarante-neuvième parallèle qui sépare le Canada des États-Unis. L’école américaine a enseigné que ledit 49th sépare the USA from Canada.

Ce n’est pas faux, mais c’est, littéralement, croche.

Ottawa, la Capitale des Capitales, et sept capitales provinciales, dont celle qui s’appelle une Capitale Nationale à Québec, sont au sud de l’officiel parallèle.

Le meilleur des deux pays ?

Le découpage de la frontière est tellement, hum, imaginatif qu’il s’en trouve pour croire que les hommes qui l’ont dessiné en 1818 étaient, re-hum, saouls.

Cette thèse est quasi confirmée dans un village unique en Amérique : Beebe, aujourd’hui partie de Standstead.

À Beebe, la principale rue n’est pas la rue Principale, mais la rue CANUSA. D’un côté, le Canada, de l’autre, les USA. Ou presque.

Au bout de la rue Canusa, sur la vraie Main, une maison chevauche la frontière. Les enfants y ont ri et crié « Bye, on s’en va aux États » en passant de la cuisine au salon ou « Allô, on est revenus au Canada » en faisant le chemin inverse.

Pas très loin derrière, une grange était aussi assise sur la frontière. Paraît que pendant la Prohibition, les charrettes  de foin qui entraient dans la grange du côté canadien étaient, comment dire, ‘commercialement valorisées’ avant de sortir du côté américain.

Plus croche encore

Toujours à Beebe, une maison du côté officiellement américain de Canusa street était néanmoins techniquement du côté canadien de la frontière. Construite plus ou moins un siècle après le passage des arpenteurs, une illustration des méandres inouïs  de la frontière prétendue parallèle.

Le hic, c’est que le garage du propriétaire était situé aux États-Unis ! Pour se conformer à la loi, ledit proprio aurait dû marcher au poste frontière chaque matin pour demander d’aller récupérer son auto, et passer au poste chaque soir en rentrant du travail pour quérir la permission de stationner son véhicule dans son garage étranger.

De la même façon, tous les membres de la famille et les amis auraient dû déclarer  à la douane tout ce qu’ils avaient trouvé dans le fameux garage …

Faut savoir que les règles étaient moins scrupuleusement appliquées avant le 11 septembre dont tout le monde se souvient de l’année, avant l’Accord des tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, avant la loi 42 des États-Unis pour contrer les entrées en provenance du sud.

L’URSS des Cantons de l’est

Ce qui a donné lieu à une autre exclusivité de la région.

Tout près de Beebe, à Rock Island, elle aussi aujourd’hui partie de Stanstead, le plus gros employeur industriel du coin était bi, comme dans binational. L’usine de la Butterfield traversait la frontière. La compagnie se targuait d’avoir une force de travail multinationale sous son toit. Comme l’aurait fait l’Union Soviétique à une de ses frontières avec ses amis…

Canucks et Amerloques entraient chacun par leur porte chaque matin pour travailler à l’intérieur de l’usine sans distinction de frontière. Puis soudain, un problème survint.

En principe pour permettre aux entreprises de fonctionner plus longtemps à la clarté du jour, l’administration Nixon a décidé de ne pas reculer l’heure en novembre 1973 ; fallait sauver le monde libre des tentacules de l’OPEP.

Personne n’a songé en aviser les foremen ou le staff de la shop : les Américains sont rentrés au travail à leur 7 heures le jour dit, les Canadiens à leur six heures, toutes machines tournantes..

Presque tout le monde du côté canadien en a bien ri, jusqu’à ce que la compagnie déménage en Caroline du Nord quand les travailleurs canadiens se sont mis en grève en 1981. Comme au bout de la rue Canusa, ça a été : « Bye, j’m’en va aux États »

Finie la splendide force de travail multinationale. Karl Marx est mort à Rock Island.

Trop près ?

Le père du deuxième premier ministre Trudeau, que le 45e POTUS a déjà insulté en public, a jadis déclaré, les versions varient, qu’il est toujours risqué de partager son lit avec un éléphant. Aussi gentil soit-il, il va écraser sa souris partenaire en se tournant dans le lit conjugal.

Quand même, bien des ados des Cantons ont profité de la proximité du géant, et de la porosité de sa frontière. Quand les autorités catholiques de la Province de Québec avaient encore beaucoup d’autorité, elles avaient fait interdire ce que leurs collègues américains qualifiaient de ‘passion pits’ : les ciné-parcs appelés là-bas les « drive-in ».

Celui de Norton, au Vermont toujours, vis-à-vis Stanhope, est devenu un « walk-in » pour les amateurs du septième art sur grand écran. Ou quelque chose du genre. Deux cents pieds de marche dans le bois avec un tabouret pliant, c’est une affaire de rien à 17 ans.

Et, c’est bien connu, l’herbe est tellement plus verte de l’autre côté de la frontière.

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