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Serge Truffaut
Oui madame, oui môssieu, nous sommes propriétaires de quelque chose, on ne sait comment dire, de très rare. De-que-cé? Une confidence. Avouez que ce n’est pas donné à tout un chacun d’être actionnaire exclusif d’une confidence. Vous n’avouez pas ? No problema.
Au ras des pâquerettes, celui des imparables réalités, le fait linguistique évoqué est le suivant : lors d’un enregistrement dans les années 90 du World Saxophone Quartet dans un studio situé à Saint-Henri et auquel nous étions présents – oui ! Présent comme un vétéran de la guerre préférée de Tonton Georges, le Brassens -, nous avons évidemment eu l’occasion d’échanger le bout des gras des mots, les gros comme les petits.
Il y avait donc Oliver Lake, Julius Hemphill, Hamiet Bluiett et David Murray. Toujours est-il qu’au cours des conversations, Murray, immense saxophoniste ténor, confia donc que le combat mené au premier chef par Charles Mingus, Donald Byrd, Sonny Rollins pour que le jazz soit enseigné notamment dans les facultés de musique avait été une erreur.
Par respect pour ses grands aînés, il ne s’épancha pas trop mais tint tout de même à préciser que si les diplômés affichent une maîtrise technique parfaite ils ont tous le même son. Ils ont tous adopté le style dispensé par leur prof. Alors qu’avant, les vétérans des big-bands, l’université de l’époque, refusaient de révéler au p’tit nouveau leurs astuces, afin de les forcer à se forger une personnalité musicale. Aujourd’hui, conclua Murray nous sommes envahis par « le jazz de conservatoire ».
C’est exactement à cela qu’on a pensé lorsqu’on a entendu le nouvel album de ce qu’il faut bien nommer un super-groupe puisqu’il rassemble Joshua Redman au saxophone, Brad Mehldau au piano, Christian McBride à la contrebasse et Brian Blade à la batterie. LongGone, c’est le titre de leur troisième disque, a été publié récemment par Nonesuch.
Dès le premier morceau qui est en fait le morceau-titre composé par Redman comme d’ailleurs tous les morceaux de cet album, on a entendu ces saillies musicales qui distinguent le jazz de conservatoire. Un jazz conçu, joué par des préposés à l’ambiance.
Comme nous voici à l’ère du tout technologique, c’est fort bien enregistré, bien produit. Mais pour le reste, quel ennui … En fait, pour ce qui est du reste on s’est dit comprendre ceux et celles qui disent ne pas aimer le jazz. Il y a de quoi être d’autant plus déçu que leur premier album, Moodswing sur étiquette Warner, était et demeure un chef-d’oeuvre.
De Bobby Watson, grand saxophoniste alto qui se fit un nom lorsqu’il fut le directeur musical des Jazz Messengers d’Art Blakey dans les années 70 et début 80, on dira le contraire de ce qu’on a dit du dernier de Redman. Sa nouvelle production intitulée Back Home in Kansas-City sur étiquette Smoke Sessions est aussi séduisante que convaincante.
Cela tient tout d’abord au style particulièrement incisif, très adroit de l’altiste, mais également à la composition du groupe qui l’accompagne. Jeremy Pelt est à la trompette, Cyrus Chestnut au piano, Curtis Lundy à la contrebasse, Victor Jones à la batterie et la chanteuse Carmen Lundy sur un morceau baptisé Our Love Remains.
Ensemble comme séparément, les uns et les autres se distinguent par un jeu d’une admirable précision. Il n’y a jamais une note en trop et jamais une note en moins. En un mot comme en dix mille, Back Home in Kansas City résume avec un éclat certain ce qu’on appelle désormais le post-bop.
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Jazz at Lincoln Center que dirige Wynton Marsalis vient d’annoncer le lancement de Jazz Live, une plate-forme de « streaming » qui propose les prestations enregistrées à chaque semaine notamment au Dizzy’s Club. Pour de plus amples informations; jazzlive.com
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Le label danois SteepleChase qui a évité que des grands musiciens comme Duke Jordan ou Kenny Drew, voire Chet Baker, tombent dans l’oubli a 50 ans depuis peu. Son fondateur Nils Winther qui est à notre avis le « plus-meilleur » producteur d’Europe a composé au fil des ans un catalogue comprenant plus de mille titre. « Bras-veau ».