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Serge Truffaut
Lorsqu’on suit le fil de la logique, le dé à coudre aidant sans l’usage de la redoutable aiguille, on finit par lire immanquablement le résumé suivant: il y eut tout d’abord Oscar Peterson, puis Oliver Jones et, ces jours-ci, Taurey Butler. Pianiste au jeu aussi puissant et dense que ses aînés, le sieur Butler propose un nouvel album en trio intitulé One of The Others sur l’étiquette montréalaise Justin Time.
Par rapport au duo Peterson-Jones, il a ceci de singulier que Daisy Peterson, soeur aînée de qui vous savez, préceptrice de la discipline, des heures de travail jamais comptabilisées, ne fut pas son professeur. Par rapport à ses contemporains, il a également ceci de singulier qu’il a choisi de suivre le chemin tracé par Peterson et non par Bill Evans.
En fait, on devrait préciser qu’à la différence de la majorité de ses contemporains il a opté pour le jazz de l’abondance percussive, celui des tonalités qui rappellent les inclinations spirituelles du gospel et des richesses, encore insoupçonnées, du blues. En d’autres termes, il est plus swing que « bi-beaupe ».
Il est donc à une centaine d’encablures, voire à mille lieux, de la Moscova, ce fleuve qui longe le Kremlin, siège social des tsars esclavagistes et des actionnaires staliniens du goulag et de ses filiales psychiatriques. De-que-cé ? demandez-vous naturellement. À la différence de Bill Evans et de la majorité de ceux qui ont emprunté ses parti-pris stylistiques, Butler n’a pas été formé à l’école russe du piano. Celle qui tient à faire l’alchimie de la mélancolie, de la nostalgie avec les neurones encombrés de temps à autres par les maux de tête.
Au ras du bitume, comme disait Boudard Alphonse, il a décidé de s’installer sur les rives du Saint-Laurent après avoir descendu le Mississippi jusqu’à La Nouvelle-Orléans. En d’autres mots, plutôt que d’opter pour la pédagogie russe qui rassure tant le petit-bourgeois et sa bourgeoise il a donc opté pour la présence du… blues! Le genre honni par le petit bourgeois de la bien-pensance car jugé contraire à sa morale de bigot matérialiste, redevenue majoritaire ces temps-ci.
Attention ! Il va sans dire que Bill Evans a eu une importance indéniable sur l’évolution du jazz comme en témoigne notamment ses deux premiers albums et son influence sur Miles Davis lors de l’enregistrement de Kind of Blue. Mais qu’on lui accorde encore et toujours une place beaucoup plus grande que celle accordée à Don Pullen, Dave Burrell, Jaki Byard, Kirk Lightsey et surtout Randy Weston qui, à la différence d’Evans, a composé des chefs-d’oeuvre, relève de… l’arbitraire !
Bon. Pour revenir à Butler, en août 2022 il a convoqué le contrebassiste Morgan Moore et le batteur Wali Muhammad dans un studio montréalais. Il avait emporté avec lui les partitions de sept de ses compositions et de quatre chansons composées par Charles Chaplin, soit Smile, Cole Porter, soit What Is This Thing Called Love, John Lennon et Paul McCartney, soit Can’t Buy Me Love, et une par Stevie Wonder, soit I Can Only Be Me. Autrement dit, il est important de le souligner, il a écrit et arrangé les deux tiers du disque.
Dès le départ, dès les premiers accords, Butler et ses complices nous proposent une version joyeuse et intense du jazz intitulée One Of The Others. Et il en va pratiquement ainsi tout au long de cette production. Car on a noté que pas une fois l’envie nous a pris de sauter une pièce.
C’est joyeux, intense, mais également très étonnant par les débordements swing qui ne sont pas sans rappeler ceux chéris par Count Basie « himself ». Tellement qu’on espère que le prochain album se fera en présence de souffleurs. Cela étant, notre homme, natif du New Jersey, ayant beaucoup étudié dans sa jeunesse il se définit comme « un électromécanicien parlant japonais et fanatique de piano jazz ». À quoi on ajoutera, légataire universel du jazz sculpté par Peterson et Basie.
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Un documentaire consacré à cet immense contrebassiste qu’est Ron Carter est disponible depuis peu sur le site de PBS pour lequel ce film a été réalisé par Peter Schnall. Le titre ? Ron Carter: Finding The Right Notes. Le prix sans les frais de transport ? 25 $ US. Le label allemand In+Out Records propose quant à lui ce documentaire accompagné d’un CD rassemblant des performances jamais publiées de Carter.
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Le label Rhino Records a eu l’excellente idée de rassembler cinq albums de Dr John, l’antiquaire du jazz tendance voodoo-cajun. Il s’agit de ses premiers albums, soit Gris-Gris, Babylon, The Sun Moon & Herbs, Dr John’s Gumbo et The Right Place. La plupart d’entre eux ont été produits par Harold Battiste, formidable arrangeur-compositeur de La Nouvelle-Orléans. Cette compilation est un régal.
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Charlie Watts, le batteur des Stones, détestait être qualifiait de batteur de rock comme il détestait, pour reprendre ses mots, le cirque rock and roll. Cet homme qui ne portait jamais le jeans était un amoureux fou de jazz. Tellement qu’il avait patiemment monté l’une des plus vastes, si ce n’est la plus vaste collection de disques de jazz au monde. Une biographie intitulée Charlie’s Good Tonight et écrite par Paul Sexton vient d’être publiée par HarperCollins. Il y est beaucoup question de jazz.