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Daniel Raunet
Inflation, stagflation, dette publique galopante… qui va payer la facture de cette sortie de pandémie ? À coup sûr, les budgets fédéral et québécois de ce printemps vont nous en donner une idée.
Selon une étude du Centre sur la productivité et la prospérité (HEC Montréal)[1], il est fallacieux de songer à augmenter le taux d’imposition des contribuables les mieux nantis dans l’espoir d’augmenter les recettes.
Le CPP affirme qu’en 2016 la création d’un palier d’impôt fédéral supérieur pour les revenus dépassant 200 000 $ a entraîné une diminution de 9,4 % des recettes de l’État auprès des mieux nantis, ces derniers ayant compensé la ponction supplémentaire en trouvant des moyens de diminuer leur revenu total déclaré. Même constatation pour une réforme fiscale québécoise de 2013. Passé un certain seuil, « trop d’impôt tue l’impôt », dit le CPP.
À gauche de l’échiquier, Raphaël Langevin, de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) s’inscrit en faux contre cette théorie[2]. Reprenant les données utilisées par le CPP, mais avec une méthodologie qui corrige selon lui certains biais, ce chercheur conclut sereinement que les riches peuvent payer.
Complice
Langevin place plutôt le problème de la baisse des rentrées de l’État sur le compte d’un régime fiscal qui reste complice des mesures d’évitement. Par exemple, l’incorporation des médecins québécois leur permet de réduire leur taux marginal d’imposition de 50 % à 25 %. « Le fait d’augmenter de 10 points de pourcentage le taux marginal d’imposition chez les contribuables gagnant plus de 250 000 $ de revenu annuel total au Québec générerait vraisemblablement entre 2,7 et 4 milliards $ de revenus publics supplémentaires dans les trois prochaines années (2021 à 2023).»
Par-delà les querelles de chiffres, il faut bien admettre que, depuis des décennies, les politiques publiques de nos pays occidentaux ont plutôt suivi le point de vue des détenteurs de la richesse, c’est-à-dire la théorie du ruissellement (trickle- down economics), selon laquelle l’enrichissement de la minorité percole dans l’ensemble de la société et constitue le moteur principal du développement économique, de la création d’emploi et de l’enrichissement collectif.
Connue également sous le terme d’«économie de l’offre» (supply-side economics), cette théorie a pour ancêtre l’idéal libéral du « laisser-faire » selon lequel ce n’est pas la demande des consommateurs qui est source de développement, mais l’offre des détenteurs de capitaux.
Minoritaires au sortir de la deuxième guerre mondiale face à l’interventionnisme étatique des économistes keynésiens ou monétaristes, les tenants du néolibéralisme sont devenus incontournables à partir de la présidence de Ronald Reagan, avec pour credo la diminution des impôts des détenteurs de capital, la déréglementation et les privatisations.
Ces politiques ont creusé les inégalités sociales, comme le constate un rapport de 2015 de l’OCDE[3] : « Dans la plupart des pays, l’écart entre riches et pauvres n’a jamais été aussi grand depuis trente ans. Aujourd’hui, dans les pays de l’OCDE, les 10 % les plus riches ont un revenu 9,6 fois supérieur aux 10 % les plus pauvres. Dans les années 80, ce rapport était de 7 à 1, puis de 8 à 1 dans les années 90 et de 9 à 1 dans les années 2000. »
Mythe déboulonné
Dans un article de la Socio-Economic Review[4], les économistes David Hope et Julian Limberg, du King’s College de Londres, déboulonnent le mythe du ruissellement. L’intérêt de cette étude est qu’elle ne s’intéresse pas uniquement aux taux d’imposition des revenus, mais à l’ensemble des mesures fiscales d’un pays qui influent sur le revenu réel, comme la présence ou non de droits de succession, d’impôts sur le capital, la taxation des dividendes et des biens immobiliers, l’impôt des sociétés.
Après avoir étudié 18 pays de l’OCDE entre 1965 et 2015, ces auteurs constatent que « les réductions majeures d’impôts pour les riches ont un impact pratiquement nul sur le PIB réel », que ce soit à court ou moyen terme. De plus, les pays qui ne réduisent pas les impôts des plus riches suivent une trajectoire de croissance semblable à celle des pays qui le font.
En ce qui concerne le chômage, il diminue dans les premières années, mais les effets des réformes disparaissent au bout de trois ans. La seule variable qui semble véritablement liée aux déductions fiscales, disent ces chercheurs anglais, c’est le creusement des inégalités de revenus.
Réductions massives d’impôt
Depuis un demi-siècle, les réductions d’impôt pour les plus riches ont été massives. On l’oublie parfois, mais le Canada a été un des premiers à aller dans ce sens, avec l’abolition des droits de succession fédéraux en 1971. Puis est venue l’heure du triomphe du néolibéralisme avec les réductions d’impôts de l’ère Reagan-Thatcher.
Aux USA en 1882 et 1987, au Royaume-Uni de 1979 à 1988 (déduction de 83 % à 40 % de l’impôt des plus riches), en Autriche en 1989, en Allemagne en 2000, en Norvège et en Suède à la même époque, etc. Depuis les années 80, le taux d’imposition marginal des revenus les plus élevés est passé de 60 % à moins de 40 % dans les 18 principaux pays occidentaux.
De 1982 à 2010, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés est également tombé de 49 % à 28 %[5]. Au Canada, la mesure phare aura été l’exonération des gains en capital de 1985, sous Brian Mulroney. Également important, le nombre des paliers de l’impôt sur le revenu a été réduit de 10 en 1985 à 3 pendant les années 90 et 2000 et 5 aujourd’hui, ce qui a entraîné une répartition du fardeau fiscal plus large en direction des faibles et moyens revenus.
Le directeur parlementaire du budget à Ottawa confirme. Il chiffre à 25,6 % la part du patrimoine familial national détenu par le 1 % le plus riche [6]. Pendant que 40 % des ménages, les moins nantis, doivent se contenter de 1,2 % de la richesse.
[1] Jonathan Deslauriers, Robert Gagné, Fabienne Gouba et Jonathan Paré « Effort fiscal des plus riches : une vérité qui dérange », Centre sur la productivité et la prospérité HEC Montréal, août 2020. https://cpp.hec.ca/wp-content/uploads/2020/08/PP-2019-08.pdf
[2]Raphaël Langevin « Hausser l’impôt des plus riches : des bénéfices qui dépassent les inconvénients, IRIS, Montréal, avril 2021. https://iris-recherche.qc.ca/publications/hausser-limpot-des-plus-riches-des-benefices-qui-depassent-les-inconvenients/
[3] OCDE « Tous concernés, pourquoi moins d’inégalités profite à tous », paris, 2015. https://read.oecd-ilibrary.org/employment/tous-concernes-pourquoi-moins-d-inegalite-profite-a-tous_9789264235519-fr#page2
[4] David Hope, Julian Limberg « The economic consequences of major tax cuts for the rich », Socio-Economic Review, Oxford, 2021. https://academic.oup.com/ser/advance-article/doi/10.1093/ser/mwab061/6500315?fbclid=IwAR1_cbC3N_0suxJhHe8qUhH7HLcVeytUA-bNQAFyxXZVix-YeeAamtV2EXk&login=false
[5] Duane Swank, Marquette University, « Taxing choices : international competition, domestic institution and the transformation of corporate tax policy », Journal of European Public Policy, vol 23, no. 4, 571-603, Oxford, Munich, 2016. https://epublications.marquette.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1026&context=polisci_fac
[6 ]Bureau du directeur parlementaire du budget « Estimation de la queue supérieure de la distribution du patrimoine familial au Canada, Ottawa, 17 juin 2020. https://www.pbo-dpb.gc.ca/web/default/files/Documents/Reports/RP-2021-007-S/RP-2021-007-S_fr.pdf