À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : Société

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Dominique Lapointe

Ils pensaient se payer un voyage dans le temps. $250 000 chacun pour contempler de visu l’épave du Titanic à 3800 mètres de profondeur dans l’océan Atlantique. Leur temps s’est toutefois brusquement arrêté avant d’atteindre le but. Leur capsule les a broyés. On a romancé l’affaire en évoquant une similitude avec les 1500 victimes du Titanic. Mais le 14 avril 1912, la majorité des noyées étaient des employés de la White Star et des passagers de 3e classe qui espéraient se faire une vie en Amérique. Pas des touristes en mal de sensations fortes.

Le Titanic

En ce qui concerne les autres occupants du Titanic, il y avait bien sur les quelque 600 passagers de première et de seconde, des gens fortunés ou plus simplement à l’aise. Ils désiraient le confort, leur mode de vie, sans plus. Rien pour impressionner la galerie.

Ils passeront malheureusement à l’histoire et marqueront l’imaginaire, peut-être pour une éternité, en devenant les figurants involontaires d’un des plus funestes naufrages du 20e siècle.

Et leur sacrifice ne sera pas vain. Les enquêtes sur la tragédie auront un impact considérable sur la sécurité maritime, tant sur la conception des navires que sur les mesures d’urgence et de sauvetage de passagers. Dorénavant, le qualificatif « insubmersible » qu’on avait attribué au Titanic disparaît.

La découverte de l’épave par une équipe franco-américaine en 1985 débouchera sur une série d’expéditions qui permettront de préciser les circonstances du naufrage, et ainsi contribuer à l’histoire de la technique humaine.

Le cirque funéraire

Mais l’appétit pour la soupe au mystère est insatiable.

L’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) désignera le commandant Paul-Henri Nargeolet afin de poursuivre les recherches en 1987. Au cours de huit plongées personnelles et plusieurs autres dirigées, Nargeolet remonte à la surface plus de 5000 objets de l’épave.

Une récolte qui nourrira ses anecdotes et sa carrière de grand titanologue pour certains, de pilleur de sépulture pour d’autres, dont des survivants du naufrage.

Nargeolet s’embarquera à bord du Titan en juin dernier mais on ne saura jamais si c’est le genre de mort qu’il aurait choisi. Toutefois, sa passion aura sans doute eu raison de sa compétence de marin en s’enfermant dans un submersible qui relevait plus du bricolage que de la science des profondeurs.

Sans surprise, c’est le réalisateur canadien James Cameron, ami de Nargeolet, qui deviendra un des commentateurs les plus en demande à la suite de la catastrophe du Titan. Obnubilé lui aussi par le Titanic depuis son film magistral de 1997, Cameron a effectué une trentaine de plongées sur l’épave en plus d’autres dans des fosses abyssales de plus de 10 000 mètres de profondeur.

Mais Cameron n’est véritable expert qu’en cinématographie. Il a par ailleurs l’argent nécessaire pour réaliser, en plus de ses films, tous ses fantasmes sous-marins, même secondé par la Société National Geographic. Entre autres  démontrer, preuves à l’appui in situ et aussi en laboratoire, que son scénario de 1997 tient toujours la mer. Hypothèse qui n’a rien de scientifique, mais qui fait de belles images.

Le touriste frénétique

Le passager le plus typique du Titan était sans doute Hamish Harding, un homme d’affaires britannique de 58 ans, négociant de jets privés et surtout amateur de voyages extrêmes. Un de ces hyperactifs qu’on qualifie souvent d’explorateurs mais qui n’en sont pas.

Du Pôle Sud, à la fosse océanique des Mariannes, en passant par l’espace suborbital offert par l’entreprise Blue Origin, Harding additionnait les virées exorbitantes.

Il n’a jamais révélé le prix de son billet pour son simili voyage spatial (seulement 100 km d’altitude), mais on sait que les sièges payants sur Blue Origin peuvent coûter plusieurs millions de dollars quand on n’est pas un des rares invités du principal actionnaire, Jeff Bezos (Amazon).

Pour les moins fortunés, on peut toujours obtenir un siège à $450 000 sur l’avion suborbital de Virgin Galactic. Vous vous souvenez du type disparu avec son appareil dans le désert du Nevada il y a quelques années, Steve Fossett ? Eh bien, il serait sans doute fier de savoir que son ami et associé Richard Branson enregistre déjà 700 réservations avant même le début officiel du programme.

Difficile de reprocher à des sociétés privées d’offrir du tourisme spatial quand les sérieuses agences spatiales américaines et russes en ont fait tout autant (lire notre texte de novembre dernier,https://en-retrait.com/science-pop-et-populisme-scientifique-2/ ).

Le voyage du riche fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, à bord de la Station spatiale internationale en 2009, fût une version éloquente de l’extravagance touristique à la québécoise.

Le toit du monde

En fouillant, on découvre que cette illustre clientèle, très masculine, s’est quelquefois offert le mont Everest. Une randonnée d’au moins deux mois et de plus de 100 000 $ pour le service VIP.

Faire la file pendant des heures au sommet du monde pour prendre LA photo souvenir à 8800 mètres. Et puis, si on est chanceux, redescendre vivant sans perdre des doigts ou des orteils. Car les humains en bonne santé n’ont pas tous la capacité physiologique de résister longtemps à l’hypoxie, le manque d’oxygène qui peut être fatal au-dessus de 7600 mètres, la zone de la mort.  À l’inverse des fonds océaniques, ici, c’est le manque de pression qui tue.

Plus de 300 personnes y ont perdu la vie depuis un siècle, y compris certains sherpas pourtant bien entraînés et expérimentés. Les avalanches y sont difficiles à prévoir et implacables. On peut encore croiser certaines de ces dépouilles congelées lors de l’ascension. Une activité mémorable.

Le père, le fils et le Cube Rubik

L’histoire la plus triste du Titan est sans doute celle de Shahzada Dawood et de son fils. Le riche homme d’affaires était plus un amateur de safaris photos qu’un adepte de défis spectaculaires.

Discret, il préférait donner plutôt que de se faire voir. Ses fondations caritatives contribuaient à promouvoir l’éducation et la santé dans son pays d’origine, le Pakistan. Il avait largement contribué à lutter contre la COVID pendant la pandémie.

Passionné par les documentaires scientifiques, Darwood s’était fabriqué un rêve : pourquoi ne pas vivre son propre documentaire au fond de la mer ? Son fils, Suleman, 19 ans, insistait pour l’accompagner.

Assez brillant, Suleman était capable de résoudre le Cube Rubik en douze secondes. Il avait soumis un projet à la société des Records Guinness pour être le premier à compléter le fameux casse-tête juste à proximité du Titanic.

RMS Titanic, RIP Titanic

Après le film de Cameron, quelques projets de construction de Titanic II ont été avancés par d’autres milliardaires excentriques. Tous ont échoué. Même celui d’une réplique grandeur nature, à 600 kilomètres de la mer, sur un parc d’attraction en Chine.

De son côté, Le Musée de la civilisation de Québec annonce le passage d’une exposition itinérante consacrée au célèbre vaisseau pour 2025. On y promet plein d’objets personnels ayant appartenu aux victimes du naufrage.

À la vitesse phénoménale à laquelle s’est probablement produite l’implosion du sous-marin Titan, il y a peu de chances qu’on puisse y admirer un Cube Rubik.

Un commentaire

  1. Lise Maynard 17 juillet 2023 à 2:59 pm-Répondre

    Excellent narratif. Merci

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