À propos de l'auteur : Michel Bélair

Catégories : Polar & Société

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La pandémie a laissé des traces un peu partout sur la planète comme en témoigne l’histoire sordide dont on vous parle ici et qui se déroule dans la ville de Québec, au moment où tout le monde commençait à laisser tomber le masque … il y a à peine plus de deux ans. Dans cette fresque un peu grise, il est question de la difficulté de vivre isolé des autres, de détresse et de pauvreté, d’intolérance, d’homophobie et de violences caractérisées avec même de forts relents d’escroquerie et d’abus de pouvoir en arrière-fond. La totale, quoi. C’est à se demander si le tsunami Covid 19 n’a que fait surgir le pire ou s’il a simplement révélé ce qui était là, plus ou moins enfoui depuis toujours, et qui ressemble à ce que l’on pourrait appeler la terrible lourdeur du monde …

Michel Bélair

Aussi bien vous dire tout de suite que j’aurais pu vous parler de ce livre il y a déjà plusieurs mois. Mais le hasard a voulu plutôt qu’il s’endorme sur un coin de mon bureau bientôt enseveli sous une pile d’autres livres … jusqu’à ce qu’il remonte à la surface la semaine dernière. C’est là le sort des chroniqueurs abreuvés de tous côtés par les parutions du secteur … secteur qui est sans aucun doute un des plus prolifiques et des plus populaires de tout le monde de l’édition.

Je me permets d’ailleurs ici — à la suggestion de l’éditeur de en-retrait.com, je le précise — de signaler la parution d’un essai sur le polar qui vise précisément à faire sentir la richesse, la diversité et l’importance de ce genre littéraire. Noir sur blanc, Le polar en vingt portraits est paru aux éditions Somme toute; c’est un livre de passionné que j’ai écrit avec un immense plaisir et qui est illustré brillamment par le collègue Christian Tiffet. Fermons la parenthèse. Et revenons à Le mois des morts, le plus récent opus de la prolifique Chrystine Brouillet, la doyenne du polar québécois. Place donc à la vingt-et-unième enquête de Maud Graham.

À la Lelouch

Fin de pandémie donc. Le climat est morose alors que l’enquêtrice travaille sur une affaire d’escroquerie de femmes d’âge mur par un beau parleur « spécialisé en placements financiers ». L’homme « pratique » un peu partout au Québec mais  surtout à Montréal et dans la capitale et, malgré tous les efforts des policiers, il reste introuvable. Le nombre de femmes humiliées et spoliées par ce dénommé André Roy atteint déjà presque la dizaine et Graham piétine puisqu’elle n’a jusqu’ici réussi à trouver que son seul nom. Frustrant. Pendant ce temps, on voit se développer lentement toute une série de personnages secondaires donnant vie à d’autres zones de récit qui finiront par se recouper d’une façon ou d’une autre … à la Lelouch, tiens.

La principale d’entre elles met en scène un jeune homosexuel en conflit ouvert avec son père. Tout ce pan du roman permet à Chrystine Brouillet de tracer un portrait plutôt sombre des effets de la pandémie sur la jeune génération. La plupart des garçons et des filles qu’on rencontre ici semblent avoir perdu tout espoir et ne plus avoir aucune énergie. Tous, ou presque, ont décroché de l’école, fréquentent tous les types de drogue et, souvent même, la rue et les foyers pour sans-abris. Le constat est, disons, glauque. Heureusement, l’histoire d’amour passionnée entre deux jeunes ados, Lucien et Jacob, vient donner un peu de couleur à l’ensemble … mais elle sera vite assombrie par l’attitude réactionnaire du père d’un des deux garçons qui devient violent à la seule vue de ce qu’il appelle encore « une tapette ». Cette histoire se terminera d’ailleurs très mal puisque le père, Marc-Aurèle Jutras, est une ordure cravatée qui n’hésitera pas à tuer à répétition — le lecteur l’apprend très vite — pour supposément protéger sa réputation et ses ambitions. Dur. Ou plutôt, pitoyable.

Le volet concernant l’arnaqueur André Roy se développe lentement alors qu’on apprend à le connaître à travers le portrait de quelques-unes de ses victimes, toutes des femmes profondément blessées ayant succombé au charme et aux « compétences financières » du fraudeur. L’équipe de Montréal qui est chargée de l’affaire bénéficiera des talents du fils adoptif de Maud Graham — avec le temps, il est devenu patrouilleur du côté de Longueuil — qui se fiera à ses intuitions et parviendra à identifier un suspect crédible. C’est l’occasion pour Brouillet de décrire des êtres meurtris, floués, d’abord écrasés par la honte d’avoir succombé aux faux prétextes de Roy, souvent même au point de refuser de porter plainte. Sauf l’une d’elles qui, outrée de s’être laissée berner, règlera définitivement le compte de l’escroc de façon radicale.

Tout autour, ou tout au centre comme l’on voudra, se situe le récit de la «vraie vie ordinaire» telle que perçue par la narratrice, sosie parfaite de l’enquêtrice Maud Graham — ou est-ce plutôt l’inverse ? — que l’on a appris à connaître au fil des années. Fidèle à elle-même, la policière carbure toujours — comme la romancière, bien sûr — aux thés fins, à la cuisine raffinée, aux alcools de choix et aux longs repas entre amis proches où l’on discute de l’état du monde. Comme toujours, l’ouverture d’esprit et l’inclusion sont au menu de la moindre rencontre, mais le problème c’est que pendant ce temps, dehors, le monde périclite. Sérieusement. Et Graham comme Brouillet sont bien placées pour jeter un regard critique sur l’univers en péril qui les percute, pourrait-on dire, de plein fouet dans leur vécu professionnel.

Ici toutefois, elles semblent avoir de plus en plus de difficulté à comprendre et à expliquer ce qui se passe — elles ne sont évidemment pas les seules. Comme si les références habituelles ne parvenaient plus à combler les espaces vides entre les gens, entre les mots même souvent, et que tout prenait l’allure d’une sorte de déconfiture généralisée et presque inéluctable. Comme si, confrontées à la dureté de la vie post-pandémique, autant Graham que la narratrice arrivaient de plus en plus difficilement à trouver les mots pour saisir toute la lourdeur du monde qui les entoure. Ce qui donne un peu froid dans le dos, on en conviendra …

Le mois des morts

Chrystine Brouillet

Druide, Montréal 2024, 317 pages

Je me permets ici — à la suggestion de l’éditeur de en-
retrait.com, je le précise — de signaler la parution d’un essai sur le polar
qui vise précisément à faire sentir la richesse, la diversité et l’importance
de ce genre littéraire. Noir sur blanc, Le polar en vingt portraits est paru
aux éditions Somme toute; c’est un livre de passionné que j’ai écrit avec
un immense plaisir et qui est illustré brillamment par le collègue
Christian Tiffet. 

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