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Richard Massicotte
Ne se pouvait-il donc pas que l’on arrivât un jour à se sentir quitte envers soi et les autres ? À pouvoir se dire : la tâche est terminée.
– Gabrielle Roy, La montagne secrète (p. 166)
« La vie est un vêtement : quand il est sale, on le brosse, quand il est troué on le raccommode, mais on reste vêtu, tant qu’on peut ». (La cousine Bette, Balzac. p. 323)
« Puis il voyait mourir autour de lui, et chaque fois qu’il apprenait le décès d’un camarade, il recevait un coup. Était-ce possible, celui-ci venait de partir? Mais il avait trois ans de moins, il était bâti pour durer cent ans! Et celui-là encore, comment avait-il pu faire son compte?» (Zola, La joie de vivre, p. 308)
Yvon Pedneault, Janine Paquet, Marc-André Lussier, Denise Bombardier, Jean Racine, Michèle Descent, Yvon Gaudet, Paul Carvalho, etc. Chaque semaine qui passe emmène avec elle son lot de décès d’anciens collègues ou confrères/ consœurs, pour ne parler que de journalistes. On se dit qu’on va aussi partir un jour, en respectant plus ou moins notre espérance de vie. Bref, c’est sous une chaleur accablante de septembre – et en attendant un appel de mon urologue – que j’ai jeté quelques pensées omnidirectionnelles pour alimenter une réflexion qu’on fait trop peu à mon sens.
Je vous entends : « Tu n’as que 64 ans et tu n’es pas malade. ». Vrai que certains peuvent parler des années qui restent, d’autres moins chanceux, des mois. Être en santé, le cliché n’est pas vain.
La grande question : que faire en attendant ? Qu’on se comprenne bien : on peut très bien avoir envie de mourir, c’est même légal pour certains qui ont le « loisir » de choisir une date de décès. Oui, on a le droit de mourir, mais combien se donneront le devoir, presque sacré, de vivre. On doit avoir envie de vivre, au moins de temps en temps. Ce n’est pas qu’on le doive aux défunts, sauf cas particulier. Mais oui, quelque part, quand on est retraités, n’est-on pas « payés pour vivre » ?
Pas de modèle, pas de recette, que la vie
Loin de moi l’idée de faire de l’orthopraxie, tout se vaut dans ce flou domaine de la gérontophilie (!?), voici quelques idées, çà et là, puisqu’on a le temps.
- Dans la soixantaine
Chacun planifie – ou pas – sa retraite. Sur le plan financier, au départ à tout le moins, c’est ce qui prime. Mais il faut tout de même y penser aussi sur le plan philosophique ou psychologique, le cas échéant. Je conseille donc à mes amis dont la retraite approche ou ceux qui viennent de commencer cette « ultime étape de la vie », de le faire de manière songée.
- D’abord, ne pas trop attendre avant de prendre sa retraite, quand les conditions le permettent. Les assureurs et les actuaires le savent et c’est documenté abondamment, plus on prend sa retraite tôt, plus en général on vivra longtemps. 1
- Ensuite, ne pas idéologiser sa retraite. Qu’on soit de droite ou de gauche, on arrête donc de « travailler » et donc notre force de travail est maintenant une force de « repos ». On prendra donc soin de revoir sans doute avec les mêmes yeux, mais avec beaucoup moins d’a priori, vu la distance que l’on aura de facto pris avec le monde de la normalité productiviste.
- Finalement, mieux vaut ne se donner aucun objectif précis. De toute manière, tout ce qu’on aurait prévu faire, comme voyager ou voir davantage d’amis se fera par soi-même, sans trop d’efforts. Laissons les objectifs venir d’eux-mêmes. Encore là, quand tout se passe dans des conditions optimales. Ne pas avoir de projet est en soi un projet.
1 Cela dit, les études et les articles se contredisent sur les bienfaits de la retraite anticipée. (https://www.ig.ca/fr/articles/2018/05/une-retraite-anticipee–cest-bon-pour-la-sante ou https://www.hbrfrance.fr/magazine/2017/03/14635-pourriez-vivre-plus-longtemps-prenant-retraite-apres-65-ans/#:~:text=La%20plupart%20des%20recherches%20indiquent,la%20retraite%20anticip%C3%A9e%20est%20b%C3%A9n%C3%A9fique.)
- Dans la soixante-dizaine
Prendre sa retraite à cet âge peut signifier qu’on a voulu atteindre un objectif professionnel. Par exemple atteindre un nombre X d’années chez son employeur. C’est aussi un âge où, si on n’a pas été « sage » ou qu’on n’a pas suffisamment pu éviter certaines addictions qu’on peut éviter certains cancers on verra quelques-uns des nôtres passer l’arme à gauche. (Quatre cancers sur dix sont « évitables »)
https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2023/05/msc230035/msc230035.html )
- Dans la quatre-vingtaine
Si on n’a pas encore pris sa retraite à ce moment-là, on serait porté à dire qu’il y a un problème. Ou pas. Citons ici Henry Miller, décédé à 89 ans en 1980 : « À quatre-vingts ans, si vous n’êtes ni infirme ni invalide, si vous gardez votre santé, si une bonne marche à pied vous fait encore plaisir, et un bon repas (avec tout ce qui l’accompagne), si vous pouvez dormir sans commencer par prendre une pilule, si les oiseaux et les fleurs, la montagne et la mer continuent à vous inspirer, alors vous êtes le plus fortuné des hommes et, à genoux matin et soir, vous devriez remercier le Seigneur tout-puissant de vous avoir épargné et conservé dans sa bonté. » (On Turning 80, Henry Miller.)
Être aigri ou ne pas l’être ?
L’archétype du retraité de nos jours, surtout « le plein », c’est le retraité grognon qui sait tout et dont une phrase sur deux commence par « dans mon temps » ou toutes ses variantes de type ok boomer. La grognerie, on est d’accord, est encore un autre des droits légitimes de l’ancien travailleur, qu’il ait ou non gagné son pain à la sueur de son front ou en ayant un front de bœuf. Surtout les intellos, qui passent pour être les pires des retraités (les plus adorables aussi, mais ça c’est une autre histoire)
Récemment, on apprenait que Le Trente veut honorer les grands disparus des derniers mois. Comme la tentation normale le commande et la propension naturelle aidant, on se demandera, si on ramène tout vers soi « grands disparus ? ». Grands et grandes, d’accord, on jugera, mais « disparus ? ». Cela ferait-il partie de ce réflexe, peut-être déculpabilisant, de célébrer le défunt en qualifiant la cérémonie en son hommage de « célébration de la vie » ?
Face à tous ces décès, dont un jour le nôtre, le retraité aurait sans doute intérêt à agir avec plus de philosophie que de psychologie.
Vieux sage et/ou vieux réac
Un politicien à une certaine époque très populaire avait griffonné ce mot interprété de bien des manières : « que l’on continue ». En effet, qu’est-ce que continuer ? Qu’on l’aime plus ou moins, Lucien Bouchard a « fait ce qu’il voulait ». D’abord en vivant, puis en quittant la politique, où dit-il, il n’aurait pas dû mettre les pieds. Il continue et fait sa « belle-mère » fatigante. Mais il est bien en vie et il « continue ».
Michel Chartrand l’a fait aussi, « continuer » jusqu’à un âge avancé. Lui aussi en faisait suer plus d’un, mais il jouait son rôle.
Que penser du sociologue Guy Rocher, qui malgré un âge très avancé « continue » à contribuer à la société québécoise ?
Janette Bertrand, une autre « fatigante des sœurs », comme disaient les vieux, a démontré plus d’une fois son utilité de « vieille sage », ou « vieille réac », selon le point de vue qu’on choisira.
L’état d’esprit
« – Comment vivre, demanda-t-il, lorsque à chaque heure les choses craquent sous les pieds ?
Le vieillard eut un élan de passion juvénile.
- Mais vivez, est-ce que vivre ne suffit pas ? La joie est dans l’action » (Zola, op cit p. 241)
Les gourous de tout acabit le répètent à qui veut l’entendre : l’état d’esprit est primordial. La retraite, c’est d’abord pour soi, ça doit d’abord l’être afin que ça puisse l’être, pour les proches ensuite. Car si on peut fort bien imaginer le tort que peut faire un « vieux réac », on n’imagine sans doute pas assez souvent, trop modestes que sont certains, comment le « vieux sage » (ou le « vieux cool », puisqu’on est dans le monde des boomers) peut a contrario favoriser non seulement la bonne humeur mais pour ce qui nous importe ici, l’envie de vivre.
Lisez Bernard Pivot qui, né en 1935, a maintenant atteint un âge vénérable. : « J’aurais pu dire « vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est mortel », mais j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste. »
Un simple mot d’un gourou genre hypersportif : « La seule chose que vous pouvez contrôler, c’est vous-même » (Affamé pour plus dans la vie, JD Tremblay, 2023, p.65.) Ce type d’énoncé est vieux comme le monde et provient même des temps lointains où, pourtant on ne contrôlait pas grand-chose. « Connais-toi toi-même », remonte à si loin qu’on a peine à croire que l’auteur de cette ultime citation avait trouvé son public, à l’époque. Socrate lui-même serait mort relativement jeune, aux yeux d’aujourd’hui.
Accepter la mort n’empêche pas de vivre
Ce sont des banalités érodées, de vieilles rengaines antiques. Et on ne va quand même pas se questionner à savoir si on le fait, se connaître soi-même. Si ce n’est pas encore fait à la retraite, il faut s’y mettre. Mais non pas en culpabilisant ou en psychologisant notre attitude face à notre vie. Il est un peu tard pour ce type de conversion, qui pourrait de plus être contrariante.Donc gérontophilosophons; que nous soyons sages ou pas, on s’en fout.
Il est implicite que « si vieillir est un progrès social, bien vieillir est un luxe » comme le rappelle Mathilde Rossigneux-Méheust, chercheuse et historienne du vieillissement à l’université Lyon 2. Cela va de soi et nous nous parlons ici entre happy few.
L’optimisme, est aussi vieux que le pessimisme et pourtant on croit toujours que l’humanité avançant, elle recule. Si nous n’avons pas trop de temps pour nous plaindre ou pour geindre, gardons-en pour nous réjouir, pour repenser notre vie.
La bienséance nous interdit, puisque nous sommes toujours vivants, voire bien portants, de nous sentir rassurés pour nous-mêmes de voir un tel mort plus ou trop jeune. Pourtant, c’est bien le constat que l’on se fait, dans son for intérieur. Il ne faudrait pas se mentir ici, puisqu’il est question de vie ou de mort, quand même.
Dans un article du 9 juillet 1961, Honoré Sévigny, un de mes arrière-grands-pères disait : « On en veut toujours plus .» Exigeant, l’homme s’est rendu jusqu’à sa centième année, avant de s’éteindre, en 1970. (« Le meilleur remède : du whisky avec de la bière » dans Le petit journal, 9 juillet 1961, p. A-4, dans www.numerique.banq.qc.ca). Avec tous ces décès autour de nous, on n’en a pas de trop de cette exigence de cette volonté de vivre.
La directrice artistique du Théâtre du Rideau Vert, Denise Filiatrault, qui vient d’avoir 92 ans disait récemment que c’est bien « effrayant » de voir tous ces gens qu’elle a connus disparaître, les uns après les autres. (https://www.journaldemontreal.com/2023/09/07/denise-filiatrault-poursuit-son-travail-au-theatre-du-rideau-vert-qui-celebre-cette-annee-ses-75-ans-elle-se-confie-sur-son-travail-sa-sante-et-sa-relation-avec-la-mort ) Certes. Mais en tant que boomers, nous qui avons les meilleures ressources à tout point de vue, ne devons-nous pas aller de l’avant?
Car comme le disait récemment l’auteur et essayiste, le « jeune » Étienne Beaulieu (entendu aux Correspondances d’Eastman) : on est trop conscient de la mort, pas assez de la vie.
Ah oui, mon urologue vient d’appeler. Mon dernier IRM était très « beau », tout va bien. Suite au prochain APS. Merci la vie !