À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie, International

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Rudy Le Cours

Sans poncho ni sombrero, le premier ministre Justin Trudeau s’est rendu à Mexico les 9, 10 et 11 janvier

où il été accueilli par le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO).

Le 10e Sommet des leaders nord-américains s’est conclu sans rapprochement particulier entre le Canada et le Mexique, hormis la signature d’un protocole d’entente portant sur les droits des peuples autochtones.

Après un tête-à-tête d’un quart d’heure, suivi d’une réunion entre des équipes ministérielles des pays co-présidée par les deux chefs de gouvernements, M. Trudeau est reparti pour le Canada quasi incognito.

Cela tranche avec  le président américain Joe Biden. Il a eu de longs tête-tête avec ses deux Amigos qui auront permis de resserrer les rapports avec le Canada ou de prendre la mesure des différends avec le Mexique. 

Rien de tel n’est survenu entre MM. Trudeau et AMLO.

Comme activités mexicaines en marge du Sommet, M. Trudeau a rencontré des PDG d’entreprises. D’abord, ceux de Grupo Bimbo, le plus grand investisseur mexicain au Canada qui fabrique entre autres les p’tits gâteaux Vachon et la gamme de pains Bon Matin.

Il s’est aussi entretenu avec ceux d’Alfa, qui contrôle le fabricant de produits chimiques Alpek, installé à Montréal. Le Canada a placé bien davantage de capitaux au Mexique que les Mexicains chez nous, En 2021, l’investissement direct mexicain au Canada s’élevait à 2,25 milliards soit 10 fois moins que le canadien au pays de la tequila (1).

M. Trudeau a enfin rencontré les dirigeants de Torex Gold Resources, société minière torontoise.  

Des amis qui s’ignorent

La relation qu’entretiennent le Canada et le Mexique avec leur voisin commun leur porte ombrage. « Les diplomates mexicains n’ont jamais compris pourquoi le Canada ne voyait pas les États-Unis comme une menace, explique en entrevue Athanasios Hristoulas, professeur au département de relations internationales à l’Instituto tecnologico autonomo de Mexico. Les deux pays n’ont pas le même enjeu frontalier. »

La relation s’est envenimée au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Le Canada a alors multiplié les efforts pour rouvrir ses frontières, laissant le Mexique se débrouiller pour faire de même.

La création du Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP), l’initiative tripartite lancée en 2005, s’est terminée en queue-de-poisson en 2009.

La signature du partenariat canado-américain par-delà la frontière, en 2011, qui reprenait les principes du PSP a été accueillie comme une douche froide à Mexico. « Depuis, il est difficile de trouver des objectifs communs », résume M. Hristoulas. L’imposition de visas aux Mexicains pour visiter le Canada par le premier ministre Stephen Harper n’a fait qu’empirer les choses, malgré sa levée par le gouvernement Trudeau.

Des partenaires économiques qui s’ignorent

Pourtant, il y aurait tant à faire pour stimuler les échanges entre notre économie, la huitième du monde, et la quinzième, mesurée selon le PIB par le Fonds monétaire international, en 2021 (2).

Le Mexique représente le cinquième débouché pour les exportateurs canadiens et il est notre troisième fournisseur, derrière les États-Unis et la Chine. (3)

Si la valeur des échanges commerciaux a dépassé les 41,5 milliards en 2021, la relation reste néanmoins très inégale. Le déficit canadien s’élève à plus de 25 milliards, le deuxième en importance après celui enregistré avec la Chine. En fait, le Mexique est le seul des Trois Amigos à réaliser des surplus avec ses deux partenaires.

Le nouvel Accord Canada États-Unis Mexique (ACEUM), qui a pris le relais de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en juillet 2020, est en voie de creuser davantage le déficit canadien.

« Les États-Unis regardent de plus en plus vers le Mexique en ce qui concerne leur industrie automobile, fait remarquer en entrevue Mathieu Arès, professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Le Canada est sur la défensive. »

C’est au lendemain de la Grande Récession de 2008-2009 que l’industrie automobile mexicaine a supplanté la canadienne. Les fabricants ont délaissé la production de coupés, berlines compactes ou sous-compactes pour se tourner vers celle des camions légers dans de nouvelles usines, installées surtout au Mexique ou dans le Sud des États-Unis, là où les salaires sont plus faibles qu’au Canada. Surtout qu’à l’époque, le huard s’échangeait au pair avec le billet vert.

De 2007 à 2015, la proportion des importations américaines de camions légers achetés au Canada s’est effondrée, passant de 49,1 % à 7,6 %. Celle du Mexique a pour sa part bondi de 44,9 % à 85,4 % (4).

Tout porte à croire que la relocalisation de la production de pièces et composantes confiée à la Chine au début du millénaire se fera à l’avantage du Mexique plutôt que du Canada. Le réoutillage des usines actuelles se fait à grands renforts de subventions fédérales et ontariennes.

Durant la mise à jour de l’ALENA imposée par Donald Trump, le Canada et le Mexique avaient des objectifs différents. Les États-Unis l’ont bien compris et ont renégocié séparément. 

Le Mexique voulait sauver son industrie automobile alors que les États-Unis exigeaient une part accrue de contenu américain. Finalement, il a été convenu que le salaire minimum des ouvriers mexicains du secteur équivaudrait à celui payé aux travailleurs de l’Alabama. En échange, le Mexique a renoncé au mécanisme d’arbitrage des différends prévus à l’ALENA.

Les négociations ont traîné avec le Canada qui tenait mordicus à ce tribunal, résume M. Arès.

Le protectionnisme mexicain

Le président Obrador s’est fait élire en 2018 en promettant une plus grande autonomie énergétique. Il veut faire passer de 38 % à 56 % la production d’électricité réservée à la Commission fédérale d’électricité, société publique. Cette appropriation peut se concrétiser par une augmentation du recours au charbon, une option polluante. Elle se concrétiserait au détriment de producteurs privés avant tout américains, mais aussi canadiens, présents dans l’éolien et le solaire. 

Les États-Unis, avec d’ailleurs l’appui du Canada, menacent le Mexique de poursuites, lesquelles auraient lieu devant des tribunaux américains, puisque le Mexique a renoncé à tout mécanisme d’arbitrage.

Cela va à l’encontre des objectifs environnementaux des Trois Amigos. La Déclaration commune publiée à l’issue du Sommet précise d’ailleurs : « Nous comptons accélérer sans tarder la transition énergétique en déployant des solutions énergétiques propres, en augmentant la production et l’adoption de véhicules zéro émission en Amérique du Nord. »

AMLO affirme pourtant que le lithium mexicain doit servir avant tout aux Mexicains. Ses partenaires souhaitent plutôt qu’il circule librement entre les Trois Amigos. La déclaration commune promeut la collaboration pour l’exploration et l’exploitation de métaux rares nécessaires à la fabrication de batteries, mais il n’y a pas d’engagement concret.

Voilà de quoi attiser les tensions et … stimuler la négociation entre Américains et Mexicains où le Canada devra s’immiscer avec doigté, s’il ne veut pas rester sur la touche.

La sécurité des Canadiens

Si les États-Unis et le Mexique ont des enjeux bilatéraux de prime importance (la drogue pour les États-Unis, les armes pour le Mexique), le Canada doit se soucier davantage de la sécurité de ses ressortissants au Mexique, deuxième destination touristique après les États-Unis. 

Et il faudra sans doute davantage que des opérations commandos, comme celle en début d’année qui aura permis l’arrestation d’Ovidio Guzman, fils du narcotraficant El Chapo le chef du cartel de Sinaloa, pour sérieusement changer la donne.

D’autant plus que cette opération sanglante avive les craintes d’une détérioration des institutions démocratiques mexicaines, une préoccupation du gouvernement Trudeau. 

Le Mexique adopte par ailleurs une position bien timide, aux yeux des États-Unis et du Canada, face à l’invasion russe de l’Ukraine. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si c’est à Mexico que M. Trudeau a annoncé l’achat au coût de quelque 400 millions de dollars d’un système national de missiles surface-air (NASAMS), un armement américain,  pour en faire don à l’Ukraine. 

« Le Mexique est un bon représentant inactif sur le plan international, résume M. Arès. Il pratique une diplomatie effacée. »

En fait, le président Obrador ne cache pas vouloir stimuler les relations du Mexique avec le reste de l’Amérique latine, au détriment de ses deux partenaires nord-américains et avant tout du Canada.

« Le Canada et le Mexique ont deux visions différentes de ce que le monde devrait être, ajoute M. Hristoulas. Il y a dix ans, ces rencontres trilatérales faisaient la manchette. Plus maintenant. » 

Bref, le réchauffement des relations entre les deux capitales ne semble pas pour demain, même si les échanges culturels, académiques autant qu’économiques continuent de fleurir.

Le Canada sera l’hôte du onzième Sommet des Trois Amigos, à une date encore non précisée. Entre-temps, le président Biden viendra en visite officielle en mars tandis que rien de tel n’est à l’agenda en ce qui concerne son homologue mexicain.

(1) https://www.international.gc.ca/country-pays/fact_sheet-fiche_documentaire/mexico-mexique.aspx?lang=fra

(2) https://www.visualcapitalist.com/countries-by-share-of-global-economy/

(3) https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/13-609-x/13-609-x2018003-fra.htm

(4) https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-626-x/11-626-x2017068-fra.htm

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