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Jean Dussault
«Vous pouvez dire ce que vous voulez de Biden : il nous a au moins permis de passer des jours entiers sans qu’on pense à lui .» (1)
Il s’agit d’un extrait d’un des vingt-quatre articles publiés par The Atlantic dans son numéro de janvier-février : Si Trump gagne.
Au fait, The Atlantic a remporté le Prix du Meilleur Magazine de l’Association Américaine des Éditeurs de Magazines en 2023-Excellene générale.
Pour la troisième année d’affilée.
The magazine
L’autrice du texte cité plus haut a remporté le Prix Pullitzer et le National Magazine Award en 2022. Une autre collaboratrice au numéro spécial a reçu le Prix Pullitzer 2023. Un professeur émérite au U.S. Naval War College et un ancien rédacteur de discours pour le deuxième Président Bush ont aussi contribué à cette édition spéciale dans plus d’un sens.
S’y trouvent des citations accablantes de neuf anciens ministres de Trump.
Et le rappel que, le 3 janvier 2021, dix anciens ministres de la Défense ont demandé par écrit à leur successeur de respecter leurs engagements constitutionnels. Trois jours avant que des émeutiers attaquent le Congrès pour l’empêcher de ratifier le résultat de l’élection précédente.
La deuxième fois sera pire
Depuis 1857, la neutralité proclamée de The Atlantic est à la fois sa fierté et son héritage ; «of no party or clique» est sa devise. D’aucuns, et pas seulement des partisans de Trump, concluront à une indécente prétention en voyant le sous-titre de l’édition spéciale : « The next Trump Presidency will be worse. »
Pour qui lit les soixante pages du dossier, la cause est entendue.
Mise en garde
Le rédacteur-en-chef de ce numéro spécial prévient ses lecteurs : vaut sans doute mieux ne pas lire tout d’une seule traite, « question d’hygiène mentale ».
Le compte-rendu d’une rencontre avec le gendre du 45e POTUS fera en effet peur aux enfants, grands et petits.
La charge
David Frum a été le rédacteur des discours de George W. Bush. The Atlantic l’identifie comme un « staff writer » et l’auteur d’une dizaine de livres, dont Trumpocalypse, reconstruire la démocratie américaine. Wikipédia lui attribue l’étiquette de néo conservateur.
« Dans son premier mandat, la corruption et la brutalité de Trump étaient restreintes par son ignorance et sa paresse. » Suit une désespérante liste des tristes pistes que Trump Deux emprunterait « en connaissant mieux les faiblesses du système, grâce à plus de béni-oui-oui à son service (…) pour se venger de ses adversaires et assurer sa propre impunité ».
Frum a tiré cette salve bien avant que Trump ne s’engage formellement, le 12 mars dernier, à gracier tous les « otages » emprisonnés pour leur participation à l’attaque contre le Capitole le 6 janvier 2021.
Et le monde
Anne Applebaum est une autre « staff writer » de The Atlantic. Aussi l’autrice de, entre autres, Le déclin de la démocratie : la tentation de l’autoritarisme.
Wikipédia rappelle le Pullitzer remporté en 2004 par cette journaliste spécialisée en politique internationale. Elle cite ce que lui a affirmé John Bolton, conseiller de Trump sur la sécurité nationale et ambassadeur aux Nations-Unies en 2018-2019 : « Le dommage que Trump a causé dans son premier mandat est réparable ; celui d’un deuxième serait irréparable. »
Un autre texte, celui-là d’un collaborateur basé à Beijing, note que la réponse inepte à la pandémie de Covid — et la violence du 6 janvier — « ont permis aux propagandistes chinois de dépeindre les États-Unis comme un super pouvoir en déclin ».
Conclusion : « Si Xi (Jinping) pouvait voter en novembre, il voterait certainement pour Trump. »
La bouette
Des républicains raisonnables avaient accepté en 2016 de travailler pour The Donald par devoir patriotique, pour sauver leur pays. Invariablement humiliés, insultés, congédiés. Leurs éventuels remplaçants sont, selon The Atlantic, au mieux, d’une inimaginable incompétence; au pire, des thuriféraires dangereux. Le magazine dresse une liste des appelés potentiels, pedigree inclus.
Dans ce qui restera du département de la Justice, après l’éviscération du département de l’Immigration, par l’émasculation de l’EPA, l’agence de protection de l’environnement, la clique fera le ménage dans « the swamp ».
Cette définition marécageuse de Washington est un des mantra de Trump : quand sa brièvement rivale pour la nomination républicaine y a remporté la primaire le 5 mars, il l’a qualifiée de « Queen of the swamp ».
Nikki Haley avait été « son » ambassadrice aux Nations-Unies en 2017-2018.
T’sé, genre
Le vitriol misogyne de Trump à l’endroit de quelque femme qui ne lui répond pas comme il faut est, pour citer une autre journaliste de The Atlantic, bêtement absurde. Plus grave, plus dangereux, le trumpisme inféodé aux chrétiens évangélistes menace les femmes. Pire, selon Sophie Gilbert, récipiendaire du National Magazine Award 2023, « il n’y aura personne dans une possible deuxième présidence de Trump pour modérer ses plus sombres desseins ».
Guère plus rassurant, en fait tout aussi inquiétant selon Spencer Kornhaber : le plan officiel « pour protéger les enfants de la folie de genre de la gauche » ; et la sacrée liberté de religion qui a amené la Cour suprême à permettre à un chrétien de ne pas travailler avec des gais.
Non, le bannissement de livres ou de curriculums scolaires ne relève pas d’un ancien ni d’un futur Président Trump ; oui, ils émanent du trumpisme.
La gauche gauche
Selon Helen Lewis, « la gauche ne doit pas virer fou quand l’Amérique a besoin d’elle ».
L’autrice d’une histoire du féminisme constate que «les années Trump ont radicalisé la droite», mais, selon elle, la gauche aussi a déraillé. « Plutôt que de chercher les façons de s’opposer aux politiques de Trump, ou de démontrer l’abysse des ses engagements, la résistance s’est contentée d’espérer qu’il disparaisse. »
La pensée magique a remplacé « la tâche ardue d’animer et de convaincre leur communauté, les prétendus militants se sont contenté de twitter à leur propre chorale ».
Or, «un mauvais gouvernement doit faire face à une opposition forte, une opposition qui cherche à convaincre plutôt que de se lancer à la chasse aux hérétiques ».
C’est nous
Après plus de cinquante pages de citations, précisions, rappels, preuves et conclusions, la guillotine tombe sur l’espoir vaporeux selon lequel « ça va bien aller ».
Mark Leibovich cite, à gauche et à droite, des élus, à droite et à gauche : « Nous ne sommes pas comme ça, ce n’est pas notre pays.»
Hum, double hum.
L’ancien correspondant du New York Times à Washington rappelle les propos de Hillary Clinton dans un événement de collecte de fonds pour la communauté LBGTQ pendant la campagne de 2016 : la moitié des partisans de Donald Trump étaient des « pitoyables : racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes, “ ‘you name it ” ».
Compte-rendu de Leibovich : « Les cibles de son jugement n’ont pas apprécié. Et le dédain est mutuel. »
Et « il faut se faire à l’idée que nous partageons un pays avec des millions de concitoyens qui regardent Trump (…) et qui, quand même, se disent : « Oui, lui, c’est notre homme. »
« Ce pays est ce que nous sommes .»
(1) Les nombreuses traductions peuvent être adaptées, mais elles sont honnêtes.