À propos de l'auteur : Antoine Char

Catégories : International

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Marco Rubio a confirmé le 28 mars la dissolution de facto de l’USAID. L’Agence des États-Unis pour le développement international « s’est éloignée depuis longtemps de sa mission initiale», a déclaré le secrétaire d’État américain. Depuis le 20 janvier, l’aide étrangère est gelée et ce pendant 90 jours, plongeant notamment les ONG chrétiennes américaines dans le plus grand désarroi.

Antoine Char

Elles croyaient fermement être le sel de la terre auprès du locataire de la Maison-Blanche non pas à cause de sa grande piété, mais parce qu’il déplorait depuis des lustres ceci : dans l’aide au développement,Washington néglige les ONG chrétiennes américaines.

Le 20 janvier, le choc fut brutal. Parmi la centaine de décrets signés par Trump 2.0, USAID, l’agence américaine de développement créée en 1961 par John Kennedy et employant 10 000 personnes (il en reste moins d’un demi-millier) allait être démantelée et ses fonds gelés pour 90 jours. À elle seule, elle fournit 42 % de l’aide humanitaire mondiale.

World Vision (une organisation évangélique), Catholic Relief Services (CRS), Food for the Poor et une cinquantaine d’autres venant au secours des pauvres de la planète au nom du Christ subissaient les mêmes coupes budgétaires que les organismes humanitaires laïcs.

Elles ne comprenaient tout simplement pas. Trump 1.0 (2017-2021) avait pourtant bataillé ferme auprès de USAID pour qu’elle diversifie son aide au nom de la liberté religieuse. En d’autres termes, que l’agence se montre plus généreuse à l’égard des ONG prosélytes et caritatives.

Et en février, n’avait-il pas créé un Bureau de la Foi (Faith Office) à la Maison-Blanche ? Et n’a-t-il pas multiplié par trois le nombre de catholiques dans son cabinet par rapport à son premier mandat ?

Projet 2025, le guide

Les organisations religieuses œuvrant dans l’humanitaire avaient donc foi en ceci : une administration Trump ne pouvait être que du pain béni à leur égard. Surtout avec le manuel d’un millier de pages du Projet 2025, publié il y a deux ans par le très conservateur think tank Heritage Foundation et qui sert de guide au couple Trump-Musk.

Que dit cette « bible » si controversée ? « La prochaine administration conservatrice doit défendre la valeur fondamentale américaine de la liberté religieuse, étroitement liée à la réduction de la pauvreté, à la croissance économique et à la paix. »

À l’élection présidentielle du 5 novembre, sans avoir vendu leur âme à celui qui est tout sauf un enfant de cœur, les évangéliques blancs ont donc soutenu Trump à 82 % et les catholiques blancs à 63 %.

Pour Gregory E. Sterling, doyen de la Yale Divinity School, dans le Connecticut, « ce niveau de soutien m’inquiète vivement, car beaucoup associeront le christianisme aux politiques de cette administration, comme la fermeture de l’USAID et les coupes budgétaires dans d’autres programmes d’aide aux plus démunis.

« Je crains notamment que la jeune génération finisse par rejeter le christianisme, le jugeant amoral, ou par s’y identifier en raison de sa relation au pouvoir politique plutôt que de ses principes moraux et spirituels. Aucune de ces deux options ne me semble acceptable ». (1)

Il rappelle également ceci :  « George W. Bush a étendu le financement américain aux organisations confessionnelles. Je suppose qu’il a agi ainsi parce que ces organisations disposaient déjà de personnel et qu’il était plus rentable de les utiliser plutôt que d’embaucher du personnel pour le gouvernement américain. Le retrait de fonds représentant 1 % du budget américain destinés à aider les populations du monde entier est contraire aux valeurs du christianisme (ou du judaïsme). » (échange de courriels).

Définitif ?

Le « désossage » de l’USAID avec son budget annuel de 40 milliards $, a été jugé « probablement » inconstitutionnel par un tribunal fédéral et le mot de la fin reviendra au Congrès. Rien n’est donc définitif. Mais si cela devait l’être, les ONG religieuses américaines devront gratter le fond de leurs tiroirs : bon an mal an, elles se partageaient près de 10 % des fonds de l’agence.

La CRS perdrait la moitié de son budget annuel de 1,5 milliard.

Plus de 60 % de ses revenus proviennent de l’USAID. Que dire de Global Relief ? L’organisation luthérienne fondée en 1939, reçoit 95 % de ses fonds de l’agence désormais sous la gouverne de Marco Rubio, le secrétaire d’État. Catholique pratiquant, le 6 mars il accordait une entrevue à Fox News avec une croix tracée avec de la cendre sur le front.

À World Vision (WV), dont le budget provient à 44 % de l’agence sise à quelques encablures de la Maison-Blanche, « nous suivons activement la situation et cherchons des moyens d’atténuer l’impact négatif sur les enfants, les familles et les communautés bénéficiant de nos programmes financés par des fonds publics  », peut-on lire dans l’un des nombreux communiqués de l’organisation présente dans une centaine de pays.

Voilà pour le jargon diplomatique. Une porte-parole de WV a cependant tenu à expliquer ceci sous couvert de l’anonymat :

« Notre organisation [fondée en 1950] — comme de nombreuses autres — est extrêmement, extrêmement prudente de ne pas critiquer l’administration, car certaines craignent que cela menace notre financement et l’octroi de subventions et d’exonérations pour notre travail d’aide aux enfants vulnérables à l’étranger » (échange de courriels).

Franklin Graham lui, n’émet aucune critique. Il est vrai qu’il a prié pour Trump lors de ses deux investitures présidentielles et qu’à peine 5 % du budget de Samaritan’s Purse, l’organisation qu’il dirige depuis 1979, provient de l’USAID.

« Je pense qu’il est judicieux que le gouvernement évalue et réexamine les différents programmes financés par les États-Unis dans le monde. Nous sommes convaincus que les nouveaux dirigeants analyseront toutes les informations et prendront les bonnes décisions. J’encourage le département d’État à continuer de fournir une aide vitale, comme de la nourriture et des médicaments. Quel que soit le résultat, cela ne changera rien au fait que Samaritan’s Purse continuera d’aider les personnes dans le besoin », déclare le fils de Billy Graham (1918-2018), le plus célèbre des prédicateurs américains. (échange de courriels).

Faussetés, faussetés

Aucune ONG ne s’est aventurée à commenter ceci :  l’USAID a octroyé 50 millions$ en préservatifs au Hamas « utilisées comme méthode de fabrication de bombes » (Trump), un opéra transgenre a été financé en Colombie (Karoline Leavitt, son attachée de presse). L’agence aurait aussi financé des spectacles de drag queens en Équateur et soutenu des initiatives de changement de sexe en Amérique centrale.

La liste des faussetés est longue. La plus grave est celle-ci : à peine 10 % des sommes sont consacrées à l’aide humanitaire.

Pour Elon Musk, à la tête de DOGE (Department of Government Efficiency) c’est tout simple : avec moins de 1 % du budget fédéral, l’agence abrite un « nid de vipères de radicaux marxistes qui détestent l’Amérique ».

Chose certaine, derrière le « dévouement » de l’USAID pour les pauvres de la planète, il y avait toujours une logique géopolitique tout au long de la Guerre froide : endiguer l’influence soviétique et répandre l’American way of life avec sa meilleure « arme »  le softpower.

Comme aimait le rappeler crûment, entre autres, le prix Nobel de l’Économie Milton Friedman (1912-2006), «There is no free lunch ». Il n’y a en effet pas de repas gratuit même dans le plus grand dévouement philanthropique.

Au total c’est 83 % des programmes de USAID qui ont été supprimés et cela va surtout affecter l’Afrique dont 40 % des habitants (1,5 milliard) vivent dans l’extrême pauvreté.

Les ONG chrétiennes américaines ne vont pas pour autant fermer boutique.

« CRS et JRS USA [Jesuit Refugee Service] ont tous deux annoncé leur intention de poursuivre leur action, probablement à une échelle plus réduite, sans financement du gouvernement américain. Ces deux organisations reçoivent des financements extérieurs aux subventions et contrats fédéraux », explique Brian Roewe, journaliste au National Catholic Reporter, publication bihebdomadaire américaine de tendance progressiste (échange de courriels).

Tout en exprimant leur désarroi dans leurs communiqués, elles cachent leur courroux contrairement à Caritas Internationalis qui condamne fermement la décision de l’administration Trump d’en finir avec l’USAID. C’est là, a dit son président Alistair Dutton, « un affront inhumain à la dignité humaine donnée par Dieu, qui causera d’immenses souffrances … tuera des millions de personnes et condamnera des centaines de millions d’autres à vivre dans une pauvreté déshumanisante ». (2)

Il est vrai que l’ONG, présente dans plus de 200 pays, est une organisation basée au Vatican.

USAID n’est pas encore enterrée et les ONG chrétiennes américaines espèrent qu’elle ressuscitera d’une manière ou d’une autre afin qu’elles puissent continuer à aider les pauvres de la planète de manière désintéressée et respectueuse des valeurs chrétiennes.

Pour l’heure, elles boivent chacune le calice jusqu’à la lie.

 

 

 

 

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