À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

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Jean-Claude Bürger

En février dernier un journaliste, Uri Friedman, s’interrogeait dans le magazine Atlantic sur les modalités et la date d’une éventuelle fin de la guerre en Ukraine. Tout en reconnaissant la vanité de l’entreprise il postulait quand même que c’est parfois en posant des questions impossibles qu’on peut arriver à comprendre ce qui est possible.

Il n’est pas le seul à s’être attaché à cette tâche à l’issue pourtant incertaine.

Des universitaires comme Hein Goemans qui se sont, ces dernières années, intéressés à la manière dont se terminent les guerres ont tenté de catégoriser ces dernières en fonction de critères déterminés dans l’espoir de dégager des invariants permettant une meilleure vision prospective.

Si on ne trouve pas dans les ouvrages savants (1) qu’ils ont publiés, de recette qui permette de fabriquer une boule de cristal, certains concepts qu’ils ont dégagés jettent quand même un éclairage révélateur sur cette guerre qui dure depuis plus d’un an.

Informations vitales

Première théorie importante mise en avance par Hein Goemans : la guerre est un moyen par lequel les pays vont chercher des informations vitales qu’ils n’ont pas d’autres moyens d’obtenir. Ces informations permettent d’évaluer les réels rapports de force entre eux mêmes et leurs adversaires qui permettront par la suite de déterminer les conditions de leurs relations subséquentes.

De fait des conflits déclenchés par des gens qui sont certains d’avoir raison ont généralement comme conséquence de leur apprendre pourquoi ils se trompent : la Russie, superpuissance militaire était certaine de pouvoir soumettre le pouvoir ukrainien en quelques jours, la guerre lui a appris le piètre état de son armée conventionnelle et l’incompétence tactique de ses généraux.

Moscou pensait que l’Ukraine pays corrompu, aux gouvernements instables, en proie aux divisions entre ses populations russes et ukrainophones, sous l’influence des oligarques, confrontée à une guerre dans le Donbass, et dirigée par un comique sans expérience politique devenu président, tomberait sans opposer de réelle résistance. La pugnacité et la volonté de ce pays de ne pas retomber dans l’orbite russe fournit à Vladimir Poutine une information qu’il n’avait manifestement pas obtenue par ailleurs.

De son côté l’OTAN super puissance économique, dont les membres sont à l’origine de 45 % du PIB mondial pensait que des sanctions dans ce domaine mettraient à genoux la Russie qui produit moins de 1 % du PIB mondial. Non seulement la Russie semble fort bien s’en tirer, mais il semble que son économie reparte à la hausse.

Logiquement cet écart entre les deux économies devrait fournir à l’Ukraine un avantage en ce qui concerne l’aide matérielle qu’elle est capable d’obtenir de l’Occident, surtout en ce qui concerne l’approvisionnement en munitions qui font cruellement défaut aux deux adversaires.

Il semble cependant que les pays de l’OTAN n’aient plus la capacité de production nécessaire qui pourrait leur permettre d’affirmer leur supériorité sur l’adversaire russe. Voilà une information nouvelle qui devrait entre autres suggérer de relativiser la valeur accordée au PIB comme indicateur de la capacité réelle de production industrielle. Les stratèges de l’économie mondialisée pourraient par ailleurs tirer profit de cette information pour relativiser l’intérêt de délocaliser la production.

Logiquement une fois le rapport de force évalué en fonction des informations fournies par la confrontation il peut y voir des négociations entre les parties au conflit, et la paix peut revenir à un coût moindre pour chacun, que ce qui aurait été le prix de la poursuite du conflit par les armes.

Obstacles, obstacles

Mais, nous dit Goemans, deux obstacles majeurs sont susceptibles de se dresser sur le chemin de la paix.

Premier obstacle : le prix que s’attendent à payer chez eux, les gouvernants qui ne rapportent pas aux peuples la victoire promise. La sanction de la défaite est bien souvent la perte du pouvoir dans des conditions dramatiques, ( qu’on pense à la chute des empires russes, prussiens et austro-hongrois à la fin de la Première guerre mondiale, ou bien au sort de Mussolini ou à celui des dirigeants nazis jugés au procès de Nuremberg ). Lorsque les gouvernants pressentent une fin de ce type, ils préfèrent généralement prolonger les combats coûte que coûte, en pariant sur un éventuel événement qui fera changer la donne (2)

Un deuxième obstacle peut aussi se dresser, ce que Goemans appelle le « credible commitment » c’est-à-dire la confiance que l’on peut faire à un adversaire qui a une histoire de non-respect de ses engagements. ( Aucun tribunal au monde ne peut forcer un pays à respecter ses engagements ). Un contrat est inutile quand on sait qu’il ne sera pas respecté. C’est probablement ce que pense l’Ukraine d’une Russie qui a manifestement violé ses engagements internationaux en tentant de l’envahir. Dans ces cas-là le perdant peut décider que perdu pour perdu, il va se battre jusqu’à la dernière goutte de sang.

On ne peut rendre justice en quelques lignes aux recherches de Goemans et à celles de ceux qui l’ont suivi sur cette voie, mais en retenant, ne serait-ce que ces quelques éléments, on peut prévoir que la seule hypothèse qui permette d’envisager une fin prochaine à la guerre qui secoue l’est de l’Europe serait celle de l’effondrement militaire total de l’un des deux adversaires et de sa capitulation.

Dans le cas de la Russie elle semble peu probable. D’ailleurs d’après les chercheurs, rares sont les guerres qui à l’instar de la Deuxième guerre mondiale se terminent par l’effondrement total d’un des deux camps.

Entre 2024 et 2037

Alors pour avoir au moins un début de réponse à sa question, et à défaut de boule de cristal, Uri Friedman pour son article eut l’idée de consulter entre autres une compagnie de prévisionnistes au nom légèrement mégalomane de Good Jugment’s Superforecasters.

Cette société, qui a fait parler d’elle dans les grands médias et qui se targue d’être consultée par les gouvernements et les grandes compagnies, regroupe un réseau de 180 personnalités du monde entier sélectionnées pour leur capacité à produire des prédictions justes dans un pourcentage nettement supérieur à celui des autres prévisionnistes. Friedman demanda en quelle année la guerre allait se terminer. Réponse médiane du réseau de Good Jugement : 2025, les pronostics s’échelonnent entre 2024 et 2037.

Il faut cependant noter qu’une recherche un peu approfondie permet de découvrir que ce super réseau avait prévu peu avant le début de la guerre que Poutine ne déclencherait pas l’invasion de l’Ukraine …

La guerre peut donc également apprendre aux prévisionnistes qu’ils surestiment aussi parfois leurs propres capacités.

1- How Wars End Dan Ritter Princeton University Press , War and Punishment Hein Goeman Princeton University Press

2 – Il peut s’agir de nouvelles alliances ou de nouvelles armes susceptibles de changer la donne, comme par exemple les V1 pendant la guerre de 39, 45  ou aujourd’hui les missiles hypersoniques russes.

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