À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Canada, Québec

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Louiselle Lévesque

Louiselle Lévesque

Petit tremblement de terre dans le paysage politique canadien qui vient rappeler brutalement au premier ministre Justin Trudeau la fragilité de son gouvernement et son impopularité après neuf ans de règne.

La victoire étonnante du candidat bloquiste Louis-Philippe Sauvé à l’élection partielle dans la circonscription montréalaise de LaSalle-Émard-Verdun confirme que la marque de commerce libérale a du plomb dans l’aile, incapable de conserver ce château fort malgré tous les efforts déployés par les têtes d’affiche de l’équipe Trudeau.

La lutte a été très serrée. Moins de 250 voix séparent le bloquiste de la candidate libérale. Et le candidat néo-démocrate les talonne de près, preuve que plusieurs électeurs d’allégeance libérale ont fait un choix autre ou ont carrément décidé de ne pas aller voter. Le taux de participation s’élève à 40 %.

C’est d’ailleurs en invoquant le faible taux de participation que le premier ministre Trudeau a expliqué cette défaite, la deuxième en moins de trois mois après le revers subi dans Toronto-St. Paul’s, un bastion libéral qui a basculé en juin dernier dans le camp de Pierre Poilievre.

Le pari de Jagmeet Singh

Même si des partielles ne sont que des partielles, les résultats sont encourageants pour le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui a réussi à sauvegarder son siège dans Elmwood-Transcona au Manitoba. La candidate néo-démocrate élue dans cette circonscription de Winnipeg, considérée comme un fief du NPD, est tout de même suivie d’assez près par son adversaire conservateur alors que le libéral obtient moins de 5 % des voix exprimées, un désastre.

Au début du mois, le chef néo-démocrate avait fait voler en éclats l’entente « de soutien et de confiance » qu’il avait conclue il y a plus de deux ans avec le gouvernement libéral minoritaire. Il souhaitait, à la veille des deux scrutins, s’affranchir de cette alliance avec les libéraux devenue un véritable boulet au pied de son parti.

Sa victoire dans Elmwood-Transcona et sa bonne performance dans LaSalle-Émard-Verdun, donnent à Jagmeet Singh des munitions pour regagner de la crédibilité et se présenter devant l’électorat comme la solution de rechange face aux libéraux, qui semblent condamnés à la débâcle, et face aux conservateurs, largement en tête sondages après sondages.

De nouveaux leviers pour le Bloc

Ce mini-séisme vient rebattre les cartes et donner au Bloc québécois l’occasion de jouer un rôle encore plus stratégique aux Communes. Avec ses 33 députés, le parti dispose d’un meilleur rapport de force. Il aura dorénavant la capacité de négocier son appui au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau en fonction des gains qu’il pourra obtenir pour le Québec. Cette stratégie portera-t-elle ses fruits? Combien de temps le Bloc assurera-t-il la survie du gouvernement dans l’espoir de marquer des points? C’est la grande inconnue.

Parmi ses priorités figure l’augmentation des paiements de transfert en santé considérée comme un enjeu vital pour que les provinces puissent remettre en état leur réseau qui coule de partout. Le Bloc tentera du même souffle de mettre un frein aux intrusions du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces qui se sont multipliées au cours des dernières années avec le tandem Trudeau-Singh aux visées centralisatrices.

La nouvelle offensive d’Ottawa

Quarante ans après l’adoption de la Loi canadienne sur la santé par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau[1] et 25 ans après la conclusion de l’Union sociale canadienne sans l’accord du Québec par le gouvernement de Jean Chrétien[2], force est de constater qu’Ottawa s’immisce de plus en plus dans cette compétence exclusive des provinces.

Jean-Denis Garon[3], député du Bloc québécois de la circonscription de Mirabel, croit que le gouvernement central est entré dans une nouvelle vague de création de programmes (souvent calqués sur ceux déjà en place au Québec) en se servant allègrement de son pouvoir de dépenser.

« On a les soins dentaires, on a l’assurance-médicaments. On a les CPE (centres de la petite enfance) où le fédéral dit je n’ai pas le droit de légiférer là-dedans mais j’ai tellement d’argent que je vais vous dire quoi faire pour créer un état social canadien. »

Le régime pour soins dentaires remporte un succès indéniable auprès des Québécois et des autres Canadiens parce qu’il vient combler un vide et répondre à des besoins bien réels. Le député bloquiste en convient tout en dénonçant une approche qui fait bien peu de cas de l’autonomie des provinces.

Il explique que si le gouvernement fédéral avait voulu respecter la spécificité du Québec et ses compétences, il aurait travaillé main dans la main avec le gouvernement Legault pour améliorer le programme existant, dont bénéficient notamment les enfants de moins de 16 ans, et l’offrir à d’autres segments de la population en injectant de nouveaux fonds.

Le pied sur l’accélérateur

Jean-Denis Garon voit dans ces récents développements une situation inédite depuis 1984. « Cette nouvelle pulsion d’imposer violemment les volontés d’Ottawa dans les compétences des provinces, sans réelle collaboration, cette nouvelle pulsion très intense, c’est celle du gouvernement de Justin Trudeau. »

L’économiste de formation est d’avis qu’Ottawa profite de l’affaiblissement des provinces à la suite de la pandémie de COVID pour dicter ses volontés. « Je n’ai pas le droit de légiférer en santé mais si vous ne faites pas ce que je veux avec votre pouvoir de légiférer, je retiens l’argent. Ça donne à Ottawa un pouvoir de facto de s’ingérer dans les compétences des provinces et la seule chose que peuvent faire les provinces, c’est de renoncer à leur propre argent. »

Le bloquiste ne s’étonne guère de l’harmonie qui a régné au sein du duo Trudeau-Singh. « Pour les libéraux et les néo-démocrates, c’est quelque chose de naturel le pouvoir fédéral de dépenser. C’est quelque chose de légitime, qui existe et qui doit être utilisé pour créer l’État-providence fédéral. »

L’isolement du Québec, une constante

Le 4 février 1999 à Vancouver, l’Union sociale canadienne voit le jour, fruit d’une entente entre le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces et des territoires à l’exception du Québec qui refuse d’y apposer sa signature.

Comme ses prédécesseurs, le premier ministre du Québec Lucien Bouchard s’est opposé catégoriquement à l’idée de se voir imposer des normes pancanadiennes dans un champ de compétence provinciale. Il a ainsi maintenu la position traditionnelle du Québec et défendu son droit de retrait avec pleine compensation financière.

Les négociations se déroulent dans un contexte difficile. Au lendemain du référendum de 1995 où les souverainistes québécois sont passés à un cheveu de l’emporter[4], le gouvernement Chrétien s’est engagé dans un exercice d’équilibre budgétaire réduisant de moitié sa contribution au financement du système de santé dans tout le pays.

Le Québec doit composer avec un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars. Le gouvernement Bouchard procède à la fermeture d’hôpitaux et pousse vers la retraite des milliers d’infirmières et autres professionnels de la santé. Il met le cap sur le déficit zéro afin de redresser les finances publiques.

Un objectif d’unité « nationale »

Selon André Lecours, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, il y a derrière l’Union sociale canadienne, « une idée d’harmonisation de ce qui se passait au Canada au niveau de la protection sociale qui était vue dans un contexte où en 1999 on attendait toujours un autre référendum. »

Les intentions des autorités fédérales sont, selon le politologue, sans équivoque. « Je pense que pour le gouvernement libéral de Jean Chrétien, c’est clair que l’unité canadienne était mieux garantie par un gouvernement fédéral présent dans la vie de tous les Canadiens et je pense que la protection sociale était vue comme un instrument de nation-building. »

Le professeur Lecours voit quelque chose de paradoxal dans ce projet d’Union sociale mis de l’avant par Ottawa alors que l’on savait que le Québec y serait très réfractaire. « Ça semblait un peu étrange. Comment peut-on penser faire une union quand on savait déjà qu’il y avait une province qui n’allait pas l’accepter ? »

Et il constate que « ce que le gouvernement de Justin Trudeau fait présentement, évidemment il n’utilise pas le concept de l’Union sociale mais c’est cette idée-là qui est à l’œuvre. (…) À mon avis, les années Harper sont très différentes. Et peut-être que les années Poilievre vont être très différentes aussi. »

André Lecours estime que l’influence du NPD a été déterminante. « Ça a été une chance pour le Nouveau Parti démocratique de pouvoir réaliser une bonne partie de ses objectifs traditionnels. Est-ce que le Parti libéral du Canada se serait lancé dans ces programmes-là à une telle étendue s’il n’avait pas eu besoin de l’appui du NPD? Je n’en suis pas certain. »

Un fossé qui s’agrandit

Jean-Denis Garon constate que l’Union sociale canadienne a creusé encore davantage le fossé entre le Québec et les autres provinces « qui ont accepté l’établissement de normes communes en santé en violation de leurs compétences. »

Il déplore que le pouvoir fédéral de dépenser ne soit d’aucune façon encadré. « Pour nous, c’est un problème tandis que pour eux c’est une solution. Et c’est deux grandes solitudes en terme de conception du fédéralisme. »

Le député de Mirabel croit qu’en cas d’élection de Pierre Poilievre toutes ces politiques sociales seraient menacées de disparaitre. Il n’y a aucune garantie selon lui qu’elles pourront survivre alors qu’elles auraient été beaucoup mieux protégées si elles avaient fait l’objet d’ententes formelles avec le Québec.

Un enjeu qui a encore sa pertinence

Le partage des pouvoirs au sein de la fédération canadienne peut sembler un débat sorti tout droit d’une époque depuis longtemps révolue. Son évocation provoque le plus souvent chez les citoyens désireux à juste titre d’améliorer leur accès à des services des haussements d’épaules ou de l’indifférence.

Pourtant, les litiges entourant les empiètements du gouvernement fédéral dans les champs de compétence du Québec ont des répercussions dans la vie de tous les jours, comme par exemple des retards dans la construction de logements à prix abordable.

Et ultimement, cette volonté d’Ottawa d’accroitre sa mainmise soulève la question de la légitimité des politiques gouvernementales ainsi mises en place.

 

 

[1] La Loi canadienne sur la santé a été adoptée en avril 1984, peu de temps avant que Pierre Elliott Trudeau ne quitte ses fonctions comme premier ministre et comme chef du PLC. Quelques mois plus tard, le 4 septembre 1984, le PLC est chassé du pouvoir par les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney.

[2] L’Union sociale canadienne sans le Québec. Huit études sur l’entente-cadre. Montréal, Les Éditions Albert Saint-Martin, 2000, 277 pp.

[3] Élu pour un premier mandat en 2021, Jean-Denis Garon a annoncé qu’il ne sera pas candidat aux prochaines élections.

[4] Un éditorial de Lise Bissonnette publié dans Le Devoir du 1er mars 1995 s’intitulait « Le fédéralisme impérial ».

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