À propos de l'auteur : Antoine Char

Catégories : Économie, International

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Christian Tiffet

Plus que jamais, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) veulent afficher leur puissance lors de leur sommet à Johannesburg les 22 et 23 août. Le groupe se veut une alternative solide face aux pays occidentaux. Mais qu’en est-il ?

Antoine Char

Jim O’Neill affectionne les acronymes. Le terme BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) c’est lui. Il l’a trouvé en 2001 quand il était à la Goldman Sachs. Mais aujourd’hui, l’économiste britannique croit que le sigle n’a plus aucun sens. « Si je devais le changer, je ne laisserais plus que le C, mais cela ne ferait sans doute pas un excellent acronyme. »

Dire que la Chine domine le bloc est un euphémisme diplomatique. En 2011, aux lettres b, r, i et c s’est ajouté un s pour South Africa, même si l’Afrique du Sud est un nain économique (2.5 % du PIB total du collectif). Politiquement, il fallait avoir un pays du continent le plus pauvre de la planète.

Les BRICS donc, sont aujourd’hui plus puissants économiquement que le G7 : 31,5 % du Produit intérieur brut mondial contre 30,7 % pour le groupe des sept pays les plus riches du monde créé pendant la crise pétrolière des années soixante-dix.

Pour Graham Allison, il est clair que « le PIB n’est pas le seul facteur pour mesurer la montée d’un pays […] et ne se traduit pas instantanément ou automatiquement en force économique ou militaire, mais […] les nations avec un plus grand PIB finissent avec le temps par avoir une plus grande influence dans les affaires internationales ». *

Le chercheur américain est convaincu que la Chine, car c’est bien de ce pays qu’il s’agit, finira par dépasser économiquement et même militairement les États-Unis.

Peut-être, mais avec 4 % de la population mondiale, le mastodonte américain représente encore le quart du PIB mondial — un pourcentage inchangé depuis les années 1980.

Remodelage de l’ordre mondial

L’accélération de la géopolitique sera-t-elle pour autant accompagnée d’un remodelage de l’ordre mondial made in China ? Les paris sont ouverts. En attendant, les BRICS (3.4 milliards d’habitants) se veulent une alternative politico-économique face au G7 (800 millions d’âmes).

Pour quelles raisons estiment-ils que l’hégémonie de l’Occident est de moins en moins légitime ?

« Ils considèrent que les Occidentaux ne leur font pas la place qui leur revient sur la scène internationale et en particulier au sein du système onusien. Une pomme de discorde majeure concerne la quote-part de la Chine, de l’Inde et du Brésil au FMI et à la Banque mondiale », rappelle Christophe Jaffrelot directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI)-SciencesPo/CNRS de Paris (échange de courriels).

Pour lui, les BRICS « sont plein de ressentiment vis-à-vis du Nord du fait de son attitude sur le dossier de l’immigration (et des visas) et le financement de l’adaptation au changement climatique : ils attendent toujours les 100 milliards de dollars annuels qu’on a promis aux pays non industrialisés depuis la COP 21 [à Paris en 2015)] ».

Pourquoi des pays aussi disparates se retrouvent-il sur une même plateforme ? « Ce que les BRICS ont en commun, c’est le désir de déloger les Occidentaux de leurs positions de pouvoir, ce qui n’était pas non plus l’objectif des Non-Alignés qui cherchaient surtout à offrir une troisième voie. »

Chercher un nouvel ordre mondial c’est un peu ce qu’a essayé de faire le Mouvement des pays non-alignés pendant  la Guerre froide. Ni Washington, ni Moscou. Fort bien, mais le Sud finissait toujours par s’aligner sur l’une ou l’autre des deux grandes puissances.

Unis sur papier

Peu importe les époques, en relations internationales la realpolitik baigne dans le pragmatisme et cette « politique réaliste » privilégie les intérêts économiques sur les idéaux quels qu’ils soient.

Alors ? Les Brics, comme les Non-Alignés, sont unis sur papier, mais dans la réalité … Chacun de ses 120 membres n’a ni les mêmes intérêts, ni les mêmes valeurs. La Chine et l’Inde sont opposées sur de nombreux dossiers et New Delhi s’est rapproché de Washington avec la visite du premier ministre Narendra Modi le mois dernier. Empêtrée en Ukraine, la Russie est plus isolée que jamais et le mois dernier, le coup de force avorté d’Evguéni Prigojine, chef du groupe paramilitaire Wagner, ne peut en aucun cas renforcer Vladimir Poutine. Quant à l’Afrique du Sud elle s’enfonce dans la violence et le Brésil, comme disait De Gaulle est « un pays d’avenir, et il le restera ».

Si les BRICS « sont une création des Russes », rappelle Christophe Jaffrelot, le bloc disparate « est de plus en plus dirigé par les Chinois — au point que la Russie risque de perdre l’initiative ».

Qui plus est, croit le chercheur français, « la dépendance croissante de la Russie vis-à-vis de la Chine va susciter, en outre, des appréhensions nouvelles de la part de l’Inde qui redoute de voir Pékin dicter sa loi à Moscou — au point peut-être de dissuader la Russie de continuer à livrer à l’Inde des armes susceptibles de se retourner contre la Chine ».

Bref, le groupe des cinq avance en rangs dispersés et malgré son unité factice, une vingtaine de pays — dont l’Argentine, l’Algérie et l’Iran — veulent y entrer.

Pour quelles raisons ? En 2014, les BRICS ont créé la New Development Bank, basée à Shanghaï, visant à concurrencer la Banque mondiale. Dotée d’un capital de 50 milliards $, elle accorde des prêts aux pays émergents pour des projets d’infrastructure et de développement durable.

Mais pour Charles Wyplosz, professeur émérite à l’Institut des Hautes Études internationales et du Développement à Genève, « frapper aux portes des BRICS est un geste politique sans conséquence économique. Tout comme, effectuer quelques opérations en renmimbi [devise chinoise]. Regardez les routes de la soie qui devaient sonner le glas des institutions de Bretton Woods : de plus en plus de pays « bénéficiaires » découvrent combien la main de Xi [le président chinois] peut être lourde » (échange de courriels).

 « Dédolarisation »

Périodiquement, le groupe réclame la création d’une nouvelle monnaie de réserve afin de voir les marchés émergents moins sensibles aux décisions politiques de Washington. Vaste programme car cela équivaut à réformer le système monétaire mondial.

Pour Wyplosz, « les BRICS ne peuvent pas sérieusement menacer la suprématie du dollar. Mais ce n’est pas vraiment ce qu’ils cherchent. Leur intention est de faire sortir de la zone dollar (dans laquelle j’inclus tous les pays développés) une partie substantielle du monde. »

Le débat sur la « dédolarisation » est récurrent. Il sera encore à l’ordre du jour du sommet de Johannesbourg.

Mais voilà, l’économie mondiale reste largement dominée par le billet vert. S’il est vrai que le système monétaire est de plus en plus diversifié, plus décentralisé, pas moins de 7 000 milliards $ sont échangés tous les jours contre 2000 milliards d’euros par exemple.

Même si nous entrons dans un monde de bric et de broc (multipolaire pour reprendre la formule consacrée), l’ombre de l’Oncle Sam reste bien présente.

* Graham Allison, Destined for War, can America and China escape Thucydides’s trap ? Mariner Books, New York, 2021

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