À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Québec

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Catherine Saouter

Louiselle Lévesque

Le Québec accuse un retard en ce qui a trait à la règlementation du travail des enfants. Pas d’âge minimum requis pour commencer à travailler, à faire des petits boulots parfois au péril de sa santé et trop souvent au détriment de son parcours scolaire. Seule l’autorisation des parents est exigée pour les moins de 14 ans.

Le projet de loi 19 sur l’encadrement du travail des enfants, déposé le 28 mars dernier à l’Assemblée nationale, vient combler un vide que l’on pourrait qualifier d’historique. C’est un premier pas en vue de remédier à l’absence de balises face à une réalité qui compromet pour plusieurs les efforts déployés depuis nombre d’années pour lutter contre le décrochage scolaire.

La pénurie de main-d’œuvre et les fortes pressions du marché du travail sur les jeunes et même sur les très jeunes ont poussé le gouvernement à agir. Une enquête de la Direction de la santé publique du Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie nous apprend que la proportion de jeunes en première et deuxième secondaire qui affirment travailler a fait un bond spectaculaire de janvier 2022 à janvier 2023, dépassant les 50 %, alors que l’on parle d’élèves qui n’ont que 12 ou 13 ans.

Attention danger

Il y avait aussi urgence de légiférer devant les chiffres alarmants sur les risques de blessures physiques et psychologiques d’une main-d’œuvre inexpérimentée et mal préparée aux tâches qui lui sont assignées dans des environnements dangereux. Les enfants sont plus souvent qu’à leur tour des accidentés du travail, selon les données dévoilées dans le communiqué du ministre du Travail, Jean Boulet, présentant le projet de loi.

On y apprend que « de 2017 à 2021, le nombre de lésions professionnelles reconnues par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) est passé de 10 à 64 par année pour les enfants de 14 ans et moins. »  Et que « pour l’ensemble des enfants de 16 ans et moins le nombre est passé de 278 à 447 au cours de la même période, soit une augmentation de 60,8 %. »

À ce chapitre, la CNESST serait appelée à jouer un rôle accru auprès des employeurs dans l’élaboration de programmes de prévention et de plans d’action qui tiendraient compte de la sécurité des jeunes travailleurs.

Le nouveau cadre

En vertu des nouvelles dispositions, il faudra être âgé d’au moins 14 ans pour travailler au Québec. L’embauche d’enfants de moins de 14 ans sera interdite, sauf dans certains cas d’exception, sous réserve de l’accord des parents, pour faire du gardiennage par exemple, de l’aide aux devoirs, de l’animation dans les colonies de vacances ou exécuter de petits travaux dans l’entreprise familiale de moins de 10 salariés.

Jusqu’à 16 ans, âge de la fréquentation scolaire obligatoire, le nombre maximal d’heures travaillées en période scolaire sera de 17 heures par semaine dont 10 heures peuvent être effectuées du lundi au vendredi.

Ces mesures ne feront pas du Québec un État à l’avant-garde de la protection des enfants. Cela lui permettra tout au plus de se rapprocher des normes internationales et des lois en vigueur dans le reste du Canada et dans plusieurs pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE).

La fréquentation scolaire

Au Québec, les enfants ont l’obligation d’aller à l’école jusqu’à 16 ans. Encore une fois le Québec est à la traine sur cette question. En Ontario, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba par exemple, l’école est obligatoire jusqu’à 18 ans.

Le psychologue Égide Royer, un spécialiste de la réussite et de l’adaptation scolaires, défend depuis une vingtaine d’années l’idée de hausser l’âge de fréquentation scolaire obligatoire. Il a le sentiment de prêcher dans le désert même auprès des principaux intéressés, les ministres de l’Éducation. Il dit avoir demandé à quatre d’entre eux dont l’actuel titulaire Bernard Drainville de s’engager publiquement à tout mettre en œuvre pour garder les jeunes en apprentissage jusqu’à 18 ans.

Mais déplore-t-il « il n’y a jamais un ministre qui a osé le dire.  Alors que c’est la norme en Ontario ». Cette province est pourtant abondamment citée en exemple par le premier ministre François Legault lorsqu’il est question de richesse et d’écart salarial.

La chaise vide

Le spécialiste s’étonne que le ministre de l’Éducation n’ait pas été associé à l’annonce du projet de loi. Il aurait dû selon lui travailler main dans la main avec le ministre du Travail. « C’est totalement incompréhensible que l’éducation ne soit pas partie prenante à ce projet de loi. Ça n’a pas de bon sens. »

Pourtant, les raisons de se mobiliser ne manquent pas, comme les retards d’apprentissage d’un grand nombre d’élèves qui fréquentent les écoles secondaires publiques. « Si vous êtes ministre de l’Éducation, vous devez tenir compte du fait qu’il y a un jeune sur trois en difficulté », affirme Égide Royer.

Et le nombre d’heures travaillées devrait selon lui faire partie intégrante du plan d’intervention préparé à l’intention de ces jeunes si on veut vraiment les aider à redresser la barre. Car le temps consacré au travail est un facteur déterminant soutient le psychologue. Plus grand est le nombre d’heures travaillées plus grand est le taux d’échec et d’abandon. « Chez les jeunes qui travaillent moins de 11 heures par semaine, le risque de décrochage est de 14 %. À 16 heures par semaine, le risque monte à 30 %. »

Des conséquences à long terme

La sous-scolarisation des garçons devrait inquiéter tout autant le ministre Drainville. Au Québec seulement un garçon sur deux poursuit ses études au collégial alors que trois filles sur quatre prennent le chemin du CEGEP. Le ministère de l’Enseignement supérieur devrait lui aussi mettre l’épaule à la roue croit le spécialiste « parce que les jeunes qui arrivent faibles au collégial ne complètent pas leur formation pour la majorité. »

Il constate que le retard accumulé au secondaire, dont le travail est en partie responsable, se répercute au collégial. « Même s’ils n’échouent pas, ça risque d’avoir de l’influence sur ce qui va se passer au collégial. » À preuve, 80 % des jeunes qui terminent leur secondaire avec une moyenne inférieure à 70 % ne réussissent pas à obtenir leur diplôme d’études collégiales en 4 ou 5 ans.

Une fausse embellie

« La courbe du décrochage a baissé mais pas parce qu’un miracle est arrivé » explique Égide Royer. C’est qu’en 2006-2007, le ministère de l’Éducation a introduit le concept de « qualification » dans ses statistiques. Une qualification est accordée aux élèves qui sont « en voie d’acquisition des compétences du primaire en français, langue d’enseignement, et en mathématiques. »

Conséquemment, le taux de sorties sans diplôme ni qualification au secondaire est passé d’environ 28 % pour les garçons et 16 % pour les filles au début des années 2000, à 17 % et 10 % en 2018-2019.

« On ne peut rien faire avec une qualification, ce n’est pas un diplôme » précise le spécialiste. Et si on l’exclut du calcul, le taux réel de diplomation est resté stable, soit 70 % pour les garçons et 80 % pour les filles, après 7 ans au secondaire dans le réseau public.

Les élèves anglophones ont un meilleur taux de réussite que les francophones, supérieur d’environ 10 points de pourcentage. Cette performance s’expliquerait notamment par le fort sentiment d’appartenance de la communauté anglophone à ses écoles et à ses commissions scolaires. Des institutions que les Anglo-Québécois ont tenu à conserver alors que du côté francophone elles ont été transformées en « centres de services scolaire », reflétant le rôle ténu que le gouvernement Legault a décidé de leur attribuer.

La politique de l’autruche

La création du ministère de l’Éducation en 1964 avait donné un élan sans précédent à la scolarisation des jeunes au Québec. Force est de constater qu’un grand nombre d’entre eux demeurent exclus de ce qui constitue une véritable avancée pour la société. Les alertes au décrochage se sont multipliées depuis une trentaine d’années et des réformes ont été tentées sans progrès notables.

Les résultats décevants du système scolaire québécois sont le reflet d’une société qui accorde trop peu d’importance à l’instruction et dont les dirigeants préfèrent nier ou maquiller la réalité plutôt que de s’attaquer au problème de fond.

Un commentaire

  1. Stéphanie Norbert 19 avril 2023 à 7:34 am-Répondre

    Il est encourageant de voir que le Québec prend enfin des mesures pour encadrer le travail des enfants avec le projet de loi 19. Ce projet vise à combler un vide historique et protéger les jeunes travailleurs contre les risques de blessures physiques et psychologiques. Cependant, je suis d’accord avec l’auteur sur le fait que le ministre de l’Éducation aurait dû être impliqué dans l’élaboration de ce projet de loi, étant donné les enjeux scolaires liés au travail des jeunes. Il est essentiel d’aborder la question du décrochage scolaire et d’adapter les politiques pour encourager la réussite éducative. Merci pour cet article détaillé et éclairant sur cette question importante.

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