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Antoine Char
Dominique Anglade annonçant sa démission comme cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ) le lundi 7 novembre. Elle quitte ses fonctions de députée de Saint-Henri–Sainte-Anne le 1er décembre.
Louiselle Lévesque
La vie politique est pleine de rebondissements mais certains d’entre eux sont plus prévisibles que d’autres. La démission de Dominique Anglade, première femme à être cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), était inéluctable après la défaite historique de son parti à l’élection générale du 3 octobre dernier : avec 14 % des voix (7% dans l’électorat francophone), 21 députés élus principalement grâce à l’appui de la communauté anglophone dans l’Île de Montréal et au cinquième rang dans près de la moitié des 125 circonscriptions. Un désastre.
Des volte-face et des erreurs de parcours il y en a eu certes pendant les deux ans et demi où Dominique Anglade a été à la tête de la formation mais c’est l’expulsion du caucus libéral de la députée de Vaudreuil, Marie-Claude Nichols, fraîchement réélue, sur une question d’attribution des fonctions parlementaires par la cheffe de l’opposition officielle, qui a achevé de faire voler en éclats son leadership déjà chancelant. La poignée de partisans qui lui étaient restés fidèles a fondu comme neige au soleil. Tirer sa révérence était la seule issue possible.
La dégringolade
Dominique Anglade a hérité d’un parti à la réputation ternie par l’enquête de la Commission Charbonneau (2012-2015) sur l’existence de stratagèmes visant à obtenir le versement de contributions politiques grâce à l’octroi de contrats publics dans l’industrie de la construction. L’ancien député libéral d’Orford de 1989 à 2003, Robert Benoît constate que cet épisode a laissé de profondes séquelles. « Elle prend un parti qui a été amoché. Un parti qui a été entaché d’impressions, même si ce n’était pas vrai, juste la perception de la population sur les magouilles au Parti libéral. Puis, ça a commencé à débouler. »
Le PLQ, précise-t-il, comptait 125,000 membres lorsque Jean Charest est arrivé en 1998 mais n’en avait plus que 22,000 lorsqu’il a quitté la direction du parti en 2012. « Monsieur Couillard va arriver, il va se déconnecter de la communauté francophone en grande partie. » C’est dans ce contexte que Dominique Anglade a pris les commandes. « Pas sûr que tout ce qui est arrivé, c’est à cause d’elle » même s’il reconnait d’emblée qu’il y a eu une mauvaise gestion de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Nichols ».
À la recherche d’une identité
Le départ de madame Anglade ne règle absolument rien, selon Robert Benoît. Sur le positionnement idéologique par exemple, « à peu près personne ne sait où on est rendus sur l’échiquier politique au Québec », poursuit-il, le problème est beaucoup plus large, sur le plan des idées notamment. Et il semble que financièrement aussi le défi s’annonce colossal : des coffres vides, des dettes, un financement populaire en chute libre, voilà ce qui attend la personne qui succèdera à Dominique Anglade. Le PLQ se retrouve à des années lumière de l’abondance qui a marqué l’ère Charest.
Toujours vivant
« Par contre je n’enterrais pas le Parti libéral, loin de là. Le parti n’est pas mort », assure Robert Benoît qui, avant d’être député, a occupé le poste de président du PLQ de 1985 à 1989, au moment du retour au pouvoir de Robert Bourassa. Il ne faut pas oublier dit-il que le parti gouvernemental, la CAQ, est une coalition et les coalitions ne sont pas nécessairement très solides. « Elles n’ont pas d’idéologies de base qui les tiennent. C’est le pouvoir qui les tient plus souvent qu’autrement. »
Et les coalitions ont tendance, selon son expérience, à craquer un peu plus vite lorsque les ambitions personnelles prennent le dessus ou quand les limousines sont refusées. « Ces coalitions très larges, le ciment n’as pas aussi solide qu’à l’intérieur d’un parti. Normalement aussi, il y a moins de discipline », souligne Robert Benoît.
« Le Parti libéral, espérons-le, va se servir de cette crise-là pour aller plus loin. » Et l’ancien député considère que la Coalition avenir Québec (CAQ) n’est pas au diapason des priorités des jeunes, surtout en matière de protection de l’environnement et de lutte aux changements climatiques. C’est vers la jeune génération que le PLQ doit se tourner à son avis s’il veut se régénérer.
D’ailleurs, le député de LaFontaine, Marc Tanguay, qui assurera l’intérim en attendant l’élection d’un nouveau chef, a insisté dès sa nomination sur l’importance de la préservation de l’environnement dans les valeurs libérales à défendre au côté des libertés individuelles, de la justice sociale et de l’équité intergénérationnelle.
Une opposition en miettes
Un PLQ en crise existentielle et à la recherche d’un sauveur, un Québec solidaire (QS) et un Parti québécois (PQ) avec respectivement 11 et 3 députés qui sont encore incertains du statut et des moyens qui leur seront accordés pour qu’ils puissent jouer leur rôle, et enfin un Parti conservateur du Québec sans aucun représentant à l’Assemblée nationale, tout porte à croire que le gouvernement de François Legault aura la partie facile.
Mais ce n’est pas le sentiment de Robert Benoît. « Monsieur Legault a un tempérament un peu après moi le déluge. Je pense qu’avec 90 députés, ça va être compliqué. » Il prévoit que ce sera aussi plus difficile à contrôler. « Si l’opposition n’est pas à l’Assemblée nationale, elle va être ou bien dans les médias ou bien dans la rue, surtout avec les médias sociaux qui font qu’on peut mobiliser du monde. »
Tout sauf un long fleuve tranquille
Louise Harel, militante de longue date du Parti québécois et ancienne députée et ministre abonde dans ce sens. « L’opposition ne sera peut-être pas parlementaire mais c’est impossible que l’opposition ne se manifeste pas autrement. » Elle rappelle que c’est ce qui s’est produit en 1973 lorsque Robert Bourassa a fait élire 102 députés sur les 110 que comptait l’Assemblée nationale à l’époque. Trois ans plus tard, à l’élection générale du 15 novembre 1976, le gouvernement libéral est chassé du pouvoir à la suite d’une cuisante défaite.
Louise Harel voit des signes avant-coureurs. « Prenez par exemple le Front commun est réorganisé. Ça faisait longtemps que les centrales syndicales de toute obédience n’avaient pas décidé de faire front commun et ce sera le cas pour la grande négociation qui se prépare. L’opposition se fait dans la rue à ce moment-là. »
Car, ajoute-t-elle, « la politique a horreur du vide. Si l’opposition n’est pas assez forte ou ne se manifeste pas de façon assez forte à l’Assemblée nationale, l’opposition va prendre d’autres formes d’expression, c’est certain ».
Le mandat de tous les dangers
Louise Harel croit que beaucoup de problèmes se sont empilés, problèmes auxquels le gouvernement Legault n’a pas apporté de solutions à cause de la pandémie, que ce soit en santé, le système craque de toute part, en éducation ou en habitation. « La pandémie a retenu pas mal de dossiers qui vont éclater. Non ce ne sera pas de tout repos sincèrement » précise-t-elle, avec en plus une situation économique qui va se détériorer.
Et comme le gouvernement Legault est au pouvoir depuis déjà quatre ans, les attentes seront plus grandes, estime-t-elle. « C’est sûr qu’un gouvernement surtout dans un deuxième mandat a toujours une obligation de résultats. C’est vraiment lors du deuxième mandat que ça se joue. »
Dissensions en vue
Et l’opposition devrait aussi s’exprimer beaucoup plus à l’intérieur même du caucus de la CAQ selon Louise Harel. Dans le contexte de la pandémie, les députés caquistes ont eu l’obligation de ne pas rompre les rangs mais maintenant ils vont se sentir plus libres d’exprimer leurs désaccords. « Déjà des voix se sont élevées pour déplorer le fait de ne pas avoir été nommées au conseil des ministres. »
François Legault a flairé le danger. Pour se prémunir contre la grogne et assurer la cohésion de ses troupes, il a non seulement désigné une vingtaine d’adjoints parlementaires, comme c’est l’usage, mais il a aussi nommé autant d’adjoints gouvernementaux, une fonction qu’il a créée de toute pièce. À l’évidence, son objectif est de mettre le plus grand nombre d’élus possible à contribution afin d’éviter que les simples députés se sentent exclus des arcanes du pouvoir.
Risque de déficit démocratique
Louise Harel se désole devant la situation dramatique dans laquelle se retrouvent les partis d’opposition à Québec. « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la vie démocratique. Tout ça est aussi lié aux réformes qui ne se sont pas faites comme la réforme du mode de scrutin. »
La balle est désormais dans le camp du gouvernement Legault qui, avec 40 % des voix, a la responsabilité de s’assurer que ce haut lieu de délibération qu’est l’Assemblée nationale soit représentatif de la diversité des points de vue et des courants d’idées qui traversent la société québécoise et dont les résultats de la dernière élection sont le reflet. Il en va de la santé démocratique et de la cohésion sociale au Québec.