À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Québec

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L’annonce du dépôt d’une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure du Québec a été reçue comme un camouflet par les organismes sans but lucratif qui, comme le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), sont partie prenante à cette bataille menée loin de l’attention médiatique.

Louiselle Lévesque

Le premier ministre du Québec, François Legault, se plaît à rappeler aussi souvent que possible ses origines modestes et à dire haut et fort toute sa compassion envers les gens qui peinent à joindre les deux bouts. Mais cette empathie naturelle pour les plus démunis ne semble pas avoir pesé lourd dans la balance lorsque son gouvernement a décidé de contester le récent jugement du Tribunal administratif du Québec (TAQ) en faveur de milliers de personnes en situation de handicap grave.

En juillet dernier, le TAQ a déclaré inopérants certains articles de la Loi sur le régime de rentes du Québec parce qu’ils sont discriminatoires et incompatibles avec l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le droit à l’égalité.

Les dispositions litigieuses ont pour effet de pénaliser les personnes ayant reçu entre 60 et 65 ans des prestations d’invalidité de Retraite Québec (qui a remplacé la Régie des rentes du Québec en 2016). Après 65 ans, ces prestataires voient leur rente de retraite réduite de façon substantielle, et ce jusqu’à la fin de leurs jours.

Pourquoi ? On croyait jusqu’à maintenant qu’il y avait 28 000 personnes au Québec touchées par ces pratiques discriminatoires mais le ministre des Finances, Éric Girard, a avancé un chiffre beaucoup plus important.  Au cours d’une entrevue accordée au journaliste Gérald Fillion à RDI le 19 septembre dernier, le ministre a estimé à 70 000 le nombre de prestataires en cause sans donner de précisions sur les sommes en jeu.

Pas question de jeter l’éponge

L’annonce du dépôt d’une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure du Québec a été reçue comme un camouflet par les organismes sans but lucratif qui, comme le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), sont partie prenante à cette bataille menée loin de l’attention médiatique. Son directeur général, Steven Laperrière, déplore au passage que les médias québécois en fassent si peu écho, un silence qu’il constate surtout dans la presse francophone.

Et il se dit catastrophé par l’appel du gouvernement Legault. « C’est clair qu’on ne va pas laisser faire ça. On ne va pas rester silencieux. Mais ça vient mettre une pression supplémentaire sur les organismes comme le nôtre en termes de temps et de ressources humaines. On va y consacrer du temps et des sous aussi. Un recours, bien ça prend de l’argent dans un milieu qui n’est déjà pas riche. »

Un combat à armes inégales

Il se désole de devoir encore affecter une part importante de son modeste budget à se battre pour une cause qui tombe sous le sens. On peut facilement parler d’une dizaine de milliers de dollars pour se présenter en Cour supérieure. La requête est volumineuse. C’est David contre Goliath.

« Les démarches au TAQ, c’est gratuit. Il n’y a pas vraiment de frais d’inscription et on ne peut pas être condamnés aux dépens », nous dit l’avocate Sophie Mongeon qui est une figure de proue dans cette bataille. « Les réponses, ça implique des frais, des huissiers. Maintenant, qui va financer tout ça? »

La logique gouvernementale

Selon l’avocate, l’argument du gouvernement pour justifier sa contestation se résume au fond à avancer « que le TAQ n’a pas apprécié toute la preuve élaborée par le Procureur général du Québec comme quoi ces dispositions et cette discrimination étaient essentielles pour la pérennité du système ».

Steven Laperrière rejette ce raisonnement qui consiste à faire des économies sur le dos de personnes vulnérables comme des aînés en invalidité, une situation qui a contribué à les appauvrir année après année. D’autant plus, précise-t-il, que la pérennité du Régime de rentes est assurée pour longtemps, ce qui n’était pas le cas en 1997 lorsque ces règles discriminatoires ont été adoptées. « Les temps ont changé, la situation de la Caisse a changé. Alors il n’y a aucune excuse qui tienne la route. »

Même son de cloche du côté de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN). Son directeur général, André Prévost ne comprend pas pourquoi il est encore obligé de se battre après avoir obtenu gain de cause devant le TAQ. « Que des gens à faibles revenus, sans capacité de travail, soient victimes d’une telle discrimination, c’est inacceptable. »

Et il trouve « très désolant comme citoyen de constater ce type de comportement qui vient de nos élus. On vit en société et si on n’a pas le cœur de prendre soin des personnes plus vulnérables, je pense qu’il va falloir se poser des questions très sérieusement ».

Une opposition unanime

Le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti libéral du Québec exhortent le gouvernement à faire marche arrière.  Les trois partis lui demandent à l’unisson d’abandonner sa contestation et de corriger le tir en abrogeant la loi le plus rapidement possible pour mettre fin à cette injustice.

Le COPHAN et le RAPLIQ entendent pour leur part lancer des appels à la mobilisation. André Prévost croit que ce litige pourrait avoir valeur de symbole. « Rappelez-vous les casseroles dans le dossier de la hausse des droits de scolarité. » Le gouvernement de la CAQ risque gros selon lui sur le plan politique pour des enjeux financiers somme toute minimes.

Et il n’hésite pas à mettre en parallèle les généreuses subventions aux entreprises. « On pourrait remettre en question des dépenses que le gouvernement fait actuellement, des centaines de millions pour soutenir des multinationales pour qu’elles s’installent au Québec alors qu’on est dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Il y a beaucoup de questions qui se posent. »

Un système à l’avantage des assureurs privés

Ce qui est particulièrement injuste dans la situation actuelle, nous dit l’avocate Sophie Mongeon, c’est le fait que les personnes qui ont touché une rente d’invalidité de Retraite Québec entre 60 et 65 ans sont pénalisées alors qu’elles ne sont pas les véritables bénéficiaires de cet argent.

Ce sont plutôt les compagnies d’assurance qui en profitent en économisant des sommes colossales. Grâce à la rente versée par Retraite Québec, elles peuvent réduire d’un montant équivalent les prestations qu’elles doivent payer à leurs assurés.

L’avocate reproche aux assureurs de s’en mettre plein les poches aux dépens de citoyens défavorisés. Et son sentiment d’indignation atteint son comble lorsqu’elle fait état de cas où la demande de rente d’invalidité est rejetée par Retraite Québec.

Les personnes qui essuient un refus se voient dans l’obligation d’engager une procédure de contestation puisque la décision sera interprétée comme une preuve qu’elles ne sont pas invalides, ce qui pourrait entraîner l’arrêt des prestations versées par leur assureur. Cette épée de Damoclès peut rester suspendue au-dessus de leur tête pendant des mois voire des années.

Une injustice qui en cache une autre

Comme ces personnes ne sont pas en mesure de se défendre elles-mêmes en raison de leur état de santé, elles doivent avoir recours à des services juridiques. Et lorsqu’au bout du compte, elles obtiennent gain de cause auprès de Retraite Québec, leur assureur leur réclame la totalité du montant versé en arrérages sans tenir compte des frais juridiques encourus qui s’élèvent souvent à plusieurs milliers de dollars.

Cela équivaut à financer à même ses maigres ressources des démarches qui permettront à son assureur de récupérer de l’argent. C’est carrément abusif affirme Sophie Mongeon. « Je viens de raccrocher avec Desjardins qui me dit que ce n’est pas son problème si l’assuré a payé des frais. »

L’avocate a attiré l’attention de l’Autorité des marchés financiers sur ces pratiques largement répandues. L’organisme a le mandat d’encadrer le secteur des assurances en veillant au respect de la règlementation en vigueur et à la protection du public. Mais comme il n’intervient qu’à la suite d’un signalement ou d’une plainte en bonne et due forme, alors pour le moment il n’y a rien à attendre sur ce front.

Le Québec se présente comme une société pour qui les valeurs de solidarité et de partage occupent une place centrale dans son projet politique, mais force est de constater que dans ce cas précis, c’est la logique comptable qui l’a emporté.

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