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Catherine Saouter
Catherine Saouter
à Édimbourg
Le mercredi 15 février, en fin de matinée, dans l’espace-café du grand hall du V&A museum de Dundee, les alertes se mirent à vibrer sur les téléphones portables des visiteurs. Ce fut la commotion de la journée: la première ministre d’Écosse venait d’annoncer sa démission. Comme une trainée de poudre, la nouvelle était en train de se répandre dans tout le pays.
Sans signe annonciateur, Nicola Sturgeon tirait sa révérence après huit ans à tenir les rênes de la nation au parlement de Holyrood: « Le moment de partir, c’est maintenant. » (Edinburgh News).
Le lendemain matin, ce que la presse britannique compte encore de journaux imprimés sur du vrai papier, arbore la nouvelle en une sur toute la hauteur de la page avec grande photo et gros caractères bien gras. Un portrait sobre et digne pris lors de la conférence de presse côtoie les titres et sous-titres: en gros-plan, le regard baissé (Scottish Daily Mail, The Times, The Guardian), derrière le rideau d’une fenêtre (Daily Record, The Scotsman), essuyant une larme derrière le lutrin (inews). Dans les pages intérieures, de nombreux dossiers spéciaux, avec doubles-pages illustrées de photos toutes discrètes et conventionnelles, même dans les pages du sarcastique Scottish Daily Mail. Nicola Sturgeon n’inspire pas la frivolité, laquelle, avec son immuable tailleur, ne manque pas de faire penser à Angela Merkel.
Trois bonnes raisons
À l’appui de la démission, l’essentiel de l’argumentation tient en trois points, exposés au cours de la conférence de presse prononcée à Bute House, la résidence des premiers ministres écossais à Edimbourg.
Premier point, la fatigue. « Dans ma tête et dans mon cœur, je sais que le temps est venu. C’est correct pour moi, pour mon parti, et pour mon pays. […] Des choses anodines que la plupart des gens prennent pour acquises, comme aller prendre un café avec des amis, ou une marche en solitaire, deviennent très difficiles. »
Ce point lui est accordé sans discussion, et plusieurs médias font tout de suite le parallèle avec Jacinda Ardern, première ministre de Nouvelle-Zélande, qui, à peine un mois plus tôt, a pris une même décision pour une même raison.
Deuxième point, le leadership du parti. « Mon souhait d’utiliser la prochaine élection de Westminster comme un referendum de facto est bien connue. Je ne peux pas en bonne conscience demander au parti de choisir une option basée sur mon jugement […]. En prenant une décision claire maintenant, je laisse le parti libre de choisir le chemin qu’il estime être le bon. »
Ce point lui est accordé aussi sans discussion. Dans les jours qui suivent, The Scotman, La BBC, The Guardian, et autres médias désormais tournés vers l’avenir consacrent essentiellement leur colonnes à cet argument et aux spéculations en la matière.
Troisième point, la conduite vers l’indépendance de l’Écosse. « Je suis fermement convaincue qu’il y a maintenant un appui majoritaire pour l’indépendance. Mais cet appui a besoin d’être consolidé. Mon appréciation d’aujourd’hui est qu’un nouveau leader sera davantage apte à le faire. » Le 23 novembre précédent, la Cour suprême britannique avait infligé une fin de non recevoir au projet de referendum qu’elle souhaitait avant la fin de l’année 2023. Elle s’était résignée et avait accepté la décision.
On prend acte de son point de vue, et l’on remet la question à plus tard, liée à l’élection d’un nouveau chef du parti. Une question reste cependant pendante: sans Nicola Sturgeon, l’Écosse peut-elle parvenir à l’indépendance ? « Le rêve d’indépendance s’estompe alors que Sturgeon s’en va », titre inews.
Reste un quatrième point, qui n’apparaît pas dans le discours de la première ministre, intégralement publié par The Guardian.
La quatrième carte
Le tollé au sujet de la cause transgenre. Féministe déclarée, Nicola Sturgeon est aussi une grande défenderesse de la transexualité. Le 22 décembre dernier, elle a fait adopter par 86 voix contre 39 le Gender Recognition Reform Bill, selon lequel, à partir de l’âge de 16 ans, il suffisait désormais de faire une auto-déclaration sans preuve médicale pour obtenir de facto la reconnaissance officielle du changement de genre.
Le débat sur ce projet de loi fut virulent, la controverse alimentée avec fracas par des personnalités comme l’auteure de Harry Potter, J.K. Rowling. Pour une seconde fois, une loi portée par Nicola Sturgeon est révoquée par Londres à peine trois semaines plus tard, le 16 janvier. Dans l’intervalle, un fait divers, puis deux, ont jeté de l’huile sur le feu. Un violeur transgenre, Isla Bryson, a été incarcéré-e dans une prison pour femmes. Un second cas a surgi peu après.
Si Nicola Sturgeon garde un complet silence sur cet enjeu, chaque média le souligne. Il semble que là se trouve la seconde part du bilan de la très estimée première ministre démissionnaire. Elle a cessé d’incarner la capacité de conduire la nation à l’indépendance et elle a essuyé un désaveu concernant un débat de société autant subtil que polarisant. Nicola Sturgeon quitte son poste, riche d’un respect unanime, mais dépossédée de sa vision devant les enjeux contemporains de la société écossaise.
Ainsi le ratifie le dessinateur Peter Brookes dans les pages du Times. Sous une fine pluie typiquement écossaise devisent deux solides vaches Highland emmitouflées dans leur abondant pelage. «Oh, she was so human, so articulate, so dominant, so confident, so formidable…, dit l’une. Et l’autre de rétorquer: Aye, and most of the time, so wrong !» (Oh, elle était si humaine, si articulée, si dominante, si confiante, si formidable…/ Aïe, mais elle avait si souvent tort !).
Kerry-Anne Saouter