À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Société

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Louiselle Lévesque

Le 14 décembre dernier, la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire déposait son rapport à la ministre québécoise de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann. Principale recommandation du groupe d’experts : adopter une loi pour reconnaitre, protéger et promouvoir la liberté universitaire.

Ce rapport a déjà suscité de vives réactions dont celle de l’Université de Montréal qui est montée aux créneaux pour s’opposer à l’idée d’une loi. Dans un texte publié dans Le Devoir et La Presse, le recteur Daniel Jutras soutient qu’une telle mesure ne serait d’aucune utilité pour traiter des questionnements sur les limites de la liberté universitaire. Elle comporterait même un danger, celui d’amoindrir « le principe d’autonomie des universités en imposant des mesures contraignantes qui s’inscriraient au cœur même de la vie académique. »

Un examen minutieux

Le professeur Yves Gingras de l’Université du Québec à Montréal et membre de la Commission défend bec et ongles le rapport et ses conclusions, un rapport dit-il d’une grande clarté conceptuelle qui dresse un état des lieux comme jamais la chose n’avait été faite auparavant au Québec. Sondages auprès du corps professoral et de la communauté étudiante, cinq jours d’audiences publiques, une cinquantaine de contributions sous forme de mémoires, de témoignages et d’avis d’experts.

On y apprend notamment que la quasi-totalité des conventions collectives du corps professoral contiennent des dispositions qui définissent la liberté universitaire comme étant « le droit d’enseigner et de faire de la recherche à l’abri d’une doctrine prescrite, le droit de diffuser les résultats de la recherche et le droit de critique de la société, des institutions, des doctrines, des dogmes et opinions ».

Plusieurs conventions collectives vont même jusqu’à faire « référence à l’obligation de prendre fait et cause pour une personne salariée dont la responsabilité civile est engagée en raison de l’exercice de ses fonctions au sein de l’établissement ». C’est le cas notamment à l’INRS, à Polytechnique Montréal, à l’Université Laval, à l’UQAC et à l’Université de Sherbrooke.

De la parole aux actes

Le rapport nous apprend que plusieurs établissements ont adopté des énoncés sur la liberté universitaire et la liberté d’expression. L’Université McGill notamment a inscrit en 2015 dans une déclaration que l’Université et ses dirigeants ont le devoir de protéger la liberté universitaire contre toute violation et influence externe indue.

Il est aussi précisé que les chercheurs ne doivent pas être soumis aux contraintes de la rectitude politique ou assujettis à des mesures disciplinaires ou punitives. Mais pour Yves Gingras, ceci n’est que poudre aux yeux.

« Les déclarations de l’Université McGill ont-elles été utiles pour les professeurs qui se sont plaints dans les journaux que l’on mettait en cause leur liberté d’enseignement? La réponse est évidente, c’est non. Les déclarations ne valent pas plus que le papier sur lequel elles sont écrites. Parce qu’il n’y a rien pour donner à ces énoncés une existence réelle. »

« La preuve que cela ne vaut rien, regardez ce qui s’est passé à McGill. C’est la plus belle déclaration, elle est extraordinaire. Mais aussitôt qu’un étudiant s’est senti micro-agressé, la direction lui a donné raison sur toute la ligne. »

Il faut donc selon Yves Gingras des mécanismes pour protéger la liberté académique. « Pas seulement de belles déclarations de recteurs qui jurent la main sur le cœur qu’ils sont de grands défenseurs de la liberté universitaire.  Ça, c’est du blablabla. »

À l’heure actuelle dit-il les professeurs ne se sentent pas appuyés par leur université et marchent sur des œufs dès qu’une controverse éclate.

Aucun mécanisme

Yves Gingras affirme qu’aucune université au Québec ne s’est dotée jusqu’à maintenant de mécanismes pour traiter des litiges en lien avec la liberté académique ou pour sanctionner ceux qui cherchent à brimer cette liberté.

« Il n’y a rien. Zéro. Comment, dans les circonstances, un professeur peut-il défendre sa liberté universitaire? » C’est là qu’une loi serait nécessaire selon lui avec des balises nationales et une application locale. « Dire que cette loi serait une intrusion dans l’autonomie des institutions est de la rhétorique qui ne correspond pas à une lecture attentive du rapport. »

En quoi, poursuit-il le fait de devoir créer un comité pour protéger la liberté académique irait à l’encontre de l’autonomie des institutions comme le soutient le recteur de l’Université de Montréal. Il fait une analogie avec la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur adoptée en 2017.

« Pas un seul recteur à ce moment-là n’a prétendu qu’il s’agissait d’une intrusion et que cela mettait en cause le principe d’autonomie. Cette loi oblige pourtant les universités à mettre sur pied un comité sur le harcèlement sexuel pour traiter des plaintes en fonction de règles précises qu’elles se sont données. »

Recherche et autocensure

Parmi les problèmes mis en lumière par les travaux de la Commission figure l’autocensure très largement répandue. En quoi une loi viendrait-elle contrer ce phénomène? On peut penser selon Yves Gingras que les professeurs vont se sentir moins vulnérables sachant qu’il existe un mécanisme précis sur lequel ils peuvent compter.

Et il fait une distinction entre l’autocensure qui consiste à éviter d’utiliser certains mots – ce qui peut être dans certains cas justifié – et le fait beaucoup plus lourd de conséquences de refuser d’aborder certains sujets ou de publier ou de faire de la recherche sur certains thèmes. C’est-là où le bât blesse.

Il convient qu’une loi ne répondrait pas aux défis que posent les exigences des organismes subventionnaires qui selon des témoignages sont susceptibles de brimer la liberté universitaire « en orientant le choix des objets de recherche en fonction des thèmes à la mode ou de valeurs morales externes à la production de savoir ».

Et il y a aussi les politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) adoptées par l’ensemble des universités au Québec au cours des dernières années qui peuvent entrer en conflit avec la liberté académique.

Ce n’était pas dans le mandat de la Commission de se pencher sur cet aspect et il faudrait bien qu’un jour le gouvernement s’y attaque estime le professeur Gingras. Mais ce serait déjà un grand pas en avant à son avis que de protéger la liberté académique par une loi et d’obliger les établissements à rendre des comptes sur sa mise en œuvre.

Clarifier les concepts

Le professeur Gingras invite à ne pas confondre liberté d’expression et liberté universitaire. Parler de liberté d’expression en contexte universitaire comme le fait l’Université de Montréal est une erreur conceptuelle.

« C’est faux, archifaux. La liberté universitaire n’est pas un sous-ensemble de la liberté d’expression. Un citoyen peut affirmer que la terre est plate en invoquant la liberté d’expression garantie par les Chartes mais un professeur de physique ne peut pas enseigner que la terre est plate en prétextant qu’il jouit de la liberté académique. Il va perdre son job. »

La liberté académique est indissociable de la mission de l’université donc de la diffusion de connaissances et « est balisée par des obligations de rigueur intellectuelle, d’éthique en recherche et de déontologie » peut-on lire dans le rapport.

La balle est dans le camp du gouvernement du Québec qui hésitera peut-être à alimenter ce débat à la veille d’une élection générale, et sachant que l’idée d’une loi est loin de faire l’unanimité dans la communauté universitaire.

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