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Jean-Claude Bürger
Pour dîner avec le diable, il faut une très longue cuillère nous rappelle un vieux dicton. On en retrouve paraît-il la trace en Angleterre dès le XIVe siècle. La sagesse des peuples a depuis traduit et adopté ce proverbe en de nombreux pays. La folie des puissants semble pourtant les porter à l’oublier. Mais le diable reste diablement dangereux.
Dîner avec le diable c’est accepter de fréquenter ce que l’on estime être le mal, c’est accepter d’adopter un comportement qui va à l’encontre de ses propres valeurs. La longue cuillère symbolise la nécessité de se tenir le plus loin possible de lui.
Ces dernières années les dirigeants de l’État hébreu semblent avoir oublié le dicton et être prêts à fréquenter le Malin en partageant sa table avec des ustensiles singulièrement courts.
Punitions collectives
Depuis plus de 10 ans par exemple, Israël effectue officiellement des représailles collectives. En 2012 Benny Ganz (1) y énonçait la politique de représailles selon la zone géographique. Il était à l’époque chef de l’état-major de Tsahal: l’armée effectuerait des représailles contre le Hamas à Gaza ou contre le Hezbollah au Liban, selon qu’un attentat ou une attaque a lieu dans la zone sud ou la zone nord d’Israël. Le but déclaré de cette politique, était de détruire définitivement les infrastructures du Hamas dans la zone de Gaza, et celles du Hezbollah au Liban.* Rétrospectivement, on peut risquer l’opinion que cette stratégie est loin d’avoir prouvé son efficacité.
Depuis, longtemps une politique de destruction des maisons de gens condamnés ou simplement soupçonnés de terrorisme est en vigueur dans le but assumé de prévenir les terroristes potentiels que leurs familles vont subir les conséquences de leurs gestes.
De fait, ce retour à la loi du Talion, (oeil pour œil … tu fais souffrir les miens, je fais souffrir les tiens) revient à accepter de punir des civils, hommes, femmes et enfants qui n’ont pas participé au crime.
Un cadeau du droit hébraïque
Et pourtant quiconque a étudié l’histoire de nos institutions sait qu’un des apports les plus importants dans le domaine du droit, l’outil qui a permis aux pays occidentaux de lentement et péniblement construire des institutions plus justes, nous vient du droit hébraïque. C’est ce droit qui le premier s’est éloigné de la loi du Talion, loi de vengeance, pour théoriser et adopter le principe de la personnalité de la faute.
De façon corolaire, il a institué celui de la personnalité de la punition. Elle ne doit s’abattre que sur la personne responsable du crime et non sur le groupe auquel il appartient (famille, tribu, compatriote, coreligionnaire).
Ignorer ces principes sous prétexte qu’on est en guerre est un argument qui a eté invoqué à maintes reprises. On peut noter cependant qu’Israël se défend bien d’être en guerre contre le peuple palestinien.
Jeux de massacres
Au cours de l’histoire, malgré ce principe, des périodes de régressions et de massacres de communautés entières se sont succédé en Europe.
Les juifs sont probablement le groupe qui en a été le plus régulièrement victime. Le XXe siècle en particulier a marqué le grand retour de la sauvagerie. Pendant la guerre, des groupes entiers ( juifs , tziganes, handicapés, homosexuels …) ont été l’objet de tentatives d’extermination de la part de l’Allemagne nazie et de ceux qui ont accepté de s’y soumettre. Les juifs de par le nombre et le caractère effroyables des massacres qu’ils ont subis sont, la paix revenue, devenus un exemple emblématique de peuple victime.
La création de l’État d’Israël a ajouté une dimension nationale à celle culturelle et religieuse qui caractérisait ce peuple. Les peuples vulnérables et désarmés sont rarement les auteurs de grands crimes, mais bien peu de nations et d’armées n’en ont pas commis.
Un pays sous pression
La situation géopolitique et l’histoire de l’État hébreu l’exposent en permanence aux agressions armées de groupes et de pays qui contestent sa légitimité et appellent à sa destruction. L’armée d’Israël doit donc faire face aux dangers qui menacent le pays.
Confrontés à cette situation, les gouvernements d’Israël ont pratiqué une realpolitik qui s’est considérablement éloignée des valeurs qui ont légitimé sa création auprès des opinions occidentales.
Par exemple depuis des décennies, Israël refuse de se plier aux injonctions de l’ONU en ce qui concerne les limites de son territoire alors que c’est de cette seule organisation qu’elle tient sa légitimité juridique.
Pendant des années une politique de colonisation et de spoliation de terres palestiniennes sourde à l’indignation de ses plus proches alliés, l’a éloigné de plus en plus des opinions publiques de ces pays.
Les opposants aux colonisations ont été systématiquement démonisés et accusés d’antisémitisme.
Le 7 octobre l’assassinat méthodique et programmé de 1200 personnes désarmées ainsi que la prise de centaines d’otages ont rappelé à Israël comme au monde la sauvagerie de ses ennemis et constitué un écho terrifiant à l’horreur des pogroms du passé.
La violence de la réponse de l’armée israélienne et le nombre des victimes civiles de l’opération sur Gaza semblent avoir fait oublier par les manifestants de nombreux pays le massacre du 7 octobre, l’horreur des bombardements se substituant à l’horreur de l’attaque du Hamas et de ses alliés.
Rien ne semble pouvoir arrêter ce qui ressemble fort à des représailles même s’il y a probablement des justifications stratégiques à l’attaque israélienne sur Gaza.
La haine engendre la haine
La haine engendre la haine. Dans un sondage du Israel Democracy Institute fait dix jours après l’attaque du 7 octobre à la question : dans quelle mesure Israël doit-il prendre en compte la souffrance de la population civile de Gaza en planifiant la prochaine phase des opérations, 70 % de la population a répondu pas du tout ou pas beaucoup.
Les sondages prouvent qu’au fil des années, le soutien de l’opinion publique internationale à Israël subit une constante érosion.
L’amalgame fait par les deux camps entre les partisans des politiques israéliennes et l’ensemble des juifs, provoque un peu partout des regains d’actes antisémites.
C’est peut-être en incitant Israël à s’éloigner des idéaux de l’utopie qui a présidé à sa création que ceux qui nient aujourd’hui son droit à l’existence lui infligent les blessures les plus graves.
On ne dîne pas avec le diable, même avec une longue cuillère.
1) Ganz ajoutait que si la menace venait de l’étranger, les représailles auraient lieu contre l’Iran …
Il est aujourd’hui membre du gouvernement de coalition de Benyamin Nétanyahou.
(Ynet news.com 04/05/20)
2 ). (40 %) pas du tout, (30,8 %) pas beaucoup. En ce qui concerne la population juive exclusivement ce pourcentage monte même à 83 %.
(Sondage du Israel Democracy Institute fait le 18 et 19 octobre 2023)