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Catherine Saouter
Manon Cornellier
Les premiers ministres provinciaux n’ont pas fait chou blanc à Ottawa le 7 février dernier, mais « le financement à long terme stable et prévisible » pour la santé qu’ils disaient espérer n’était pas au rendez-vous. L’offre présentée « ne résout par le problème fondamental du financement de la santé », a reconnu le premier ministre du Québec, François Legault, à sa sortie. Mais est-ce vraiment au fond du problème qu’on cherchait à s’attaquer ?
Tant que les provinces demanderont de l’argent sonnant, ce jeu de souque à la corde avec le fédéral donnera ce genre de résultats. Et elles le savent, ce qui explique en partie que presque tous les premiers ministres ont parlé d’un « pas dans la bonne direction »… largement insuffisant.
« Ce que j’ai compris de M. Trudeau, c’est que c’était une offre pas mal finale. Évidemment, peu importe le montant, même s’il est petit, c’est bienvenu », a dit M. Legault, qui prévoit déjà « reprendre les discussions avec les prochains gouvernements fédéraux ».
Demandes et offre
Les provinces demandaient dès la première année une hausse de 28 milliards du Transfert canadien en matière de santé (TCS), assortie par la suite d’un facteur d’indexation de 5 % par année. L’offre du fédéral prévoit plutôt 46,2 milliards $ de nouveaux fonds sur une période de dix ans, dont moins de la moitié à travers le TCS. L’indexation sera de 5 %, mais seulement pour les cinq premières années de l’entente.
En fait, le gros de la somme (25 milliards) servira à financer des accords bilatéraux limités dans le temps et qui seront négociés avec chaque province dans un ou plusieurs des secteurs prévus par le gouvernement fédéral, lesquels reflètent, il faut le dire, des priorités provinciales.
Malgré l’écart gigantesque entre les deux positions, la combativité n’était pas au rendez-vous à la sortie de la rencontre. Pour plusieurs raisons : la fermeté apparente du fédéral, l’approche du dépôt des budgets provinciaux et fédéral et, incontournable, l’opinion publique.
Chicane de chiffres
La population n’a plus de patience pour ces chicanes de chiffres alors que les systèmes de santé sont très mal en point. En plus, plusieurs d’entre elles, dont le Québec, comptent utiliser une part de leurs surplus pour réduire les impôts au lieu de courir au chevet du système de santé, ce qui ne passe pas très bien.
Mais on est loin de la cure recherchée et le remède a une date de péremption. Dans dix ans, ou même avant, il faudra reprendre la valse des négociations car on a encore esquivé le fond du problème, celui du déséquilibre fiscal.
Si le gouvernement fédéral peut se prévaloir de son fameux pouvoir de dépenser dans les domaines de compétence exclusive des provinces, c’est parce qu’il a la marge de manoeuvre à long terme nécessaire, une marge que lui offre en partie le déséquilibre fiscal entre les deux niveaux de gouvernement.
« Il y a déséquilibre fiscal quand le fédéral a la capacité de générer plus de revenus que ce dont il a besoin pour assurer ses compétences constitutionnelles alors que les provinces ont une assiette fiscale insuffisante pour assurer les leurs. C’est un problème structurel et non pas ponctuel du fédéralisme », explique Benoît Pelletier, professeur de droit constitutionnel et ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes dans le gouvernement Charest.
Nature des négociations
Si les provinces exigeaient, non seulement le respect de leur compétence exclusive en matière de santé, mais aussi le plein contrôle de son financement, la nature des négociations changerait. Une façon de le faire serait d’exiger que ces transferts fédéraux soient remplacés par un transfert de points d’impôt.
Ainsi les provinces gagneraient une pleine autonomie face au fédéral et se protégeraient de coupes unilatérales comme celles imposées par le ministre des Finances, Paul Martin, au milieu des années 1990.
Farfelu ? Pas du tout. Il n’y a qu’une seule assiette fiscale, alimentée par toutes nos taxes, et dans laquelle pigent les différents gouvernements. Céder des points d’impôt aux provinces équivaudrait à la cession d’une portion de l’assiette dans laquelle pige le gouvernement fédéral.
Cela s’est déjà produit et peut se faire encore. Il faut toutefois que cela se fasse de façon ordonnée, ce qui fut fait en 1977. La valeur de ce transfert, qu’Ottawa continue d’estimer année après année, atteindrait 36,6 milliards en 2023 selon le dernier Rapport sur les dépenses fiscales fédérales. Ce sont des milliards qu’il ne peut leur enlever ni assortir de conditions.
En 2002, la Commission sur le déséquilibre fiscal du Québec, présidée par l’ancien ministre des Finances, Yves Séguin, recommandait un ensemble de solutions, dont « l’abolition [des transferts fédéraux pour la santé et les programmes sociaux] et la libération d’un nouvel espace fiscal en faveur des provinces, communément appelé “ transfert de points d’impôt ” ».
Mais aucune province n’évoque cette solution. Pour éviter de porter l’odieux de taxer eux-mêmes leurs citoyens, pense le professeur Pelletier. Il trouve regrettable cependant que le Québec n’en fasse pas la demande et ne cherche pas, comme par le passé, à renforcer un front commun en matière de déséquilibre fiscal.
Conditions minimalistes … pour l’instant
Le fédéral, en revanche, n’a pas intérêt à cesser ses transferts en argent car il peut les assortir de conditions et « imposer petit à petit ses volontés et ses priorités aux provinces », prévient M. Pelletier. Ses conditions sont minimalistes pour l’instant, mais rien de garantit qu’il en sera toujours ainsi.
L’ancien ministre convient qu’il est difficile de convaincre les citoyens de l’importance de l’enjeu du déséquilibre fiscal quand le fédéral accumule les déficits et plusieurs provinces, des surplus. Cette situation est toutefois conjoncturelle. Ce qu’il faut garder en tête est une perspective à long terme. Or, de ce point de vue, le portrait est complètement différent.
Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les rapports sur la viabilité financière des gouvernements fédéral et provinciaux du directeur parlementaire du budget.
Alors que le gouvernement fédéral peut envisager un déclin soutenu de sa dette, ce n’est pas le cas de la majorité des provinces. Quatre s’en tireraient mieux cependant, dont le Québec, mais les pressions à la hausse des dépenses en santé en raison du vieillissement de la population expliquent en grande partie la fragilité de la viabilité financière à long terme de la plupart d’entre elles.
La santé financière de tous les partenaires de la fédération exige en somme un examen approfondi du fédéralisme fiscal afin que les sources de revenus correspondent mieux à ce dont chacun a besoin pour assumer les responsabilités qui sont les siennes.