À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

Partagez cet article

Christian Tiffet

Jean-Claude Bürger

Le dernier épisode des émeutes en France a laissé près de 6000 voitures incendiées, un millier de bâtiment dégradés ou détruits. 250 postes de police ont été attaqués. Les touristes sont restés stupéfaits et la plupart des Français atterrés.

Pourquoi la France, que peu de choses semblent distinguer de ses partenaires européens, est-elle de plus en plus souvent sujettes à ces convulsions violentes et spectaculaires ?

Violences policières racistes, dénoncent aujourd’hui les émeutiers qui, à la suite de la mort tragique d’un jeune délinquant de 17 ans, réclament qu’on limite l’usage de la force par la police.

Jean-Luc Mélanchon ancien ministre, candidat à la présidence aux dernières élections, affirmait au soir des dégradations, que la responsabilité en incombait à la police :

 « Aujourd’hui, le pouvoir politique ne contrôle plus la police […] c’est la police qui fait peur au pouvoir. »

Deux fois moins qu’au Canada

Le nombre de tués en France lors d’interventions policières est-il supérieur à celui des autres pays occidentaux ?  De fait, proportionnellement à sa population, il semble qu’il soit à peu près la moitié de celui du Canada et on ne voit guère chez nous ce genre de réactions. Par ailleurs, est-il nécessaire de le souligner, il est six fois inférieur à celui des États-Unis. (1)

Ces violences sont peut-être comme le prétendent certains, le fait de bandes de voyous opportunistes, et autres Black Bloc, et n’ont que peu de relations avec l’événement qui les a suscitées. Mais il y a peu de temps encore, des modifications au système des retraites provoquaient cette fois une véritable révolte populaire.

Le régime des retraites français est-il inférieur à celui de ses voisins ? Personne ne le prétend ; et l’âge de la retraite en France bien qu’il ait été repoussé de deux ans, est encore parmi les plus bas en Europe.

Au nom de leur légitime colère, les syndicats et l’opposition appelaient pourtant la rue à faire plier par la force un gouvernement récemment légalement élu et dont la réforme faisait partie du programme.

Quelques années auparavant la baisse de dix km/h de la limitation de vitesse sur les routes départementales provoquait ce qu’on a appelé la crise des gilets jaunes. Elle cristallisa tous les mécontentements, bloqua le pays à de nombreuses reprises provoquant pillages et dégradations.

Le lyrisme révolutionnaire

La démocratie française comme la démocratie américaine est issue d’une révolution violente. En France, les paroles de l’hymne national sont d’ailleurs d’une étonnante sauvagerie. Ce que l’on pourrait penser n’être qu’une sorte de fossile du passé révolutionnaire semble garder dans la société des racines bien vivantes. Le recours à la violence pour de légitimes revendications fait partie dans ce pays, de la mystique républicaine. Elle se fonde sur l’Histoire et s’est trouvée renforcée par l’idéologie marxiste et son idéal révolutionnaire. Des partis de gauche, les communistes et le plus important des syndicats la CGT, ont appelé au « Grand Soir » pendant une bonne partie du XXe siècle.

Aujourd’hui le vocabulaire de lutte et de combat continue de caractériser des discours d’une gauche volontiers populistes.  Jean-Luc Mélanchon, acteur incontournable de l’union de la gauche à la tête d’un parti au nom rebelle : Les Insoumis, en est l’exemple le plus spectaculaire avec son goût du lyrisme révolutionnaire et de l’exaltation d’une sainte colère.

« Rassemblez-vous avec moi, Ceux qui sont fâchés mais pas fachos, venez vous mettre en colère avec moi ! Envoyez moi à l’assemblée nationale porter votre colère »(2)

« Une fois de plus il va nous falloir être ce cratère brûlant d’où va jaillir de nouveau la flamme des révolutions qui par contagion deviennent la cause commune de toutes les nations d’Europe .» (3)

La gauche plus modérée explique elle aussi la particularité de la poudrière française par les inégalités sociales.

La France est inégalitaire certes, mais quel pays ne l’est pas ? Là encore, les chiffres sont loin de fournir des éléments probants. Avec son exceptionnel filet social, la France ne semble pas plus inégalitaire que ses voisins. (4)

Les fâchés fachos

Ce ne sont d’ailleurs pas les excès de langage que la droite pure et dure reproche à la gauche ; elle qui est bien loin d’être la dernière à les pratiquer. Éric Zemmour a surgi à son extrême avec un mouvement au nom belliqueux : Reconquête. Il se déclare entre autres favorable aux contrôles policiers au faciès et au droit des employeurs à la discrimination raciale à l’embauche. Pour lui, l’islam n’est pas soluble dans la République et il prétend reconquérir la France tombée déjà en partie aux mains de hordes sarrasines.

Il fait partie de ce que le tribun Insoumis semble appeler les « fâchés fachos » évoquant la colère de la droite contre une immigration qu’elle ne cesse de dénoncer depuis la naissance du Front National devenu aujourd’hui Rassemblement National. Pour le RN, la cause directe des violences ce sont les cités aux mains des religieux et des bandits issus de l’immigration. À la suite des émeutes, ce parti émet des tweets triomphants :

« Marine Le Pen avait alerté les Français sur cette contagion de la violence. Mettez fin à des décennies d’aveuglement du pouvoir et de folle politique migratoire !  » suit un formulaire d’adhésion au parti.

Un autre Tweet fait état d’un sondage assurant que les Français font le lien à 71 % entre les émeutes et l’immigration. (Ironie de l’histoire : Le père était pour l’Algérie française, la fille trouve la France trop algérienne)

C’est le quotidien Le Figaro qui a commandé ce sondage qui révèle également que 59 % des Français, à la suite des récents événements, pensent qu’il faudrait durcir les politiques migratoires.(5)

Bien que Mélenchon ait déclaré qu’il n’y avait pas de problème d’intégration en France puisque « tous les Français mangent du couscous », c’est une rebuffade que semblent lui infliger la population des cités comme celle du reste du pays. Mais c’est aussi une rebuffade pour la République.

Nier que l’immigration et l’islam puissent représenter un problème à été la doxa de la gauche depuis la fin de la guerre. Elle allait dans le sens de l’idéal républicain égalitariste et faisait écho au traumatisme engendré par l’horreur des persécutions raciales de la Deuxième guerre mondiale.

La république daltonienne

La République se voulait donc daltonienne en ce qui concerne les couleurs de peau. Elle se voulait aussi indifférente aux religions dans la mesure où elles étaient cantonnées dans la sphère privée. Par exemple, pour éviter les risques de discrimination, on interdit toute mention d’appartenance ethnique ou religieuse dans les questionnaires des sondages de la France républicaine. (6)

En conséquence, on a très peu de chiffres fiables caractérisant la situation des émigrés musulmans d’origine magrébine. Ce que l’on sait cependant c’est qu’en France les immigrants d’origine autre que ceux de la communauté européenne sont moins éduqués que ceux acceptés par les pays voisins ; ils ont également plus de difficultés à intégrer le marché du travail. Seuls les Pays-Bas sont dans la même situation.

Les fâchés des cités

Les cités françaises au fil des vagues migratoires qui ont marqué les années d’après-guerre se sont progressivement transformées en ghetto, petit à petit désertées par les Européens de souche. Elles ont des problèmes de logement, d’échec scolaire, de délinquance souvent armée qui leur sont propres. Aucun gouvernement n’a su trouver de solution, même si des sommes colossales y ont été consacrées.

Il s’y est développé une culture spécifique, une jeunesse marquée par sentiment d’exclusion, un discours victimaire et vindicatif, elle déteste souvent la France et ce qui est étranger à la cité .

Les jeunes ont également inventé une langue qui leur est propre­­­­­­­. (7) Ils sont influencés par la culture des ghettos américains et sa musique, la mythologie djihadiste (8) ou les discours sectaires de certains imams, ils sont aussi animés par les ressentiments issus de l’histoire coloniale. Il naît donc dans les cités une colère et une agressivité que malgré tous ses efforts, la gauche mélenchoniste n’arrive pas à récupérer.

En 1999 Jean Pierre Chevènement ministre socialiste parlait de « sauvageons » et scandalisait ses amis de gauche. En 2005 Le président de droite Sarkozy parlait de « racaille » et incommodait le centre. En 2023, le président Macron parle de « séparatisme »  et de  « décivilisation » . On n’ose présumer de ce que dira la droite nationaliste française si un jour elle accède au pouvoir.

Alors nul ne peut nier, il y a là un vrai problème et il est d’une grande complexité. On est en droit de douter que le simplisme populiste ou que la culture belliqueuse des politiciens français les rende capables de le résoudre pacifiquement.

(1) Le Temps 4/7/23 En graphique dans quel pays la police tue-t-elle le plus ?

En France le nombre de morts a augmenté pour devenir un des plus hauts d’E­­­urope depuis              que les règles d’utilisation des armes par la police ont été assouplies en 2017 (par un        gouvernement de gauche)

(2) Radio France politique, mai 2012

(3) 5 avril 2012 Toulouse

(4) Indice Gini des inégalités :  Canada: 33,3, France : 32,4 ,USA : 41,5, GB : 35,1, Allemagne : 31,7, moyenne Union européenne 35,3

(5) Sondage ODOXA 7/23

(6) Sont proscrits : la réalisation de traitements de données à caractère personnel faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques des personnes. L’introduction de variables de race ou de religion dans les fichiers administratifs. Cela vaut pour le répertoire d’identification des personnes physiques. Le Conseil constitutionnel précise dans son commentaire que serait contraire à la Constitution la définition a priori d’un « référentiel ethno-racial ».

(7) La langue des cités en France Zouhour Messili et Hmaid Ben Aziza 2004, Cahier de la Méditerranée

(8) Plusieurs estimations évaluent à près de 50 % la participation des Français au contingent des djihadistes européens qui ont rejoint le  « Califat »

Un commentaire

  1. Benoît Pépin 31 juillet 2023 à 4:00 pm-Répondre

    Texte intéressant et nuancé. On ne se surprend pas de constater que, ces dernières années, un contingent significatif de Français a pris la route du Québec. C’est passablement plus paisible ici!

Laisser un commentaire