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La crise climatique, la fonte des calottes polaires et des glaciers, la montée des eaux, les espèces menacées ou en voie de disparition… ces tristes réalités font maintenant partie de notre quotidien. Et rien n’indique que tout cela changera bientôt. Mais que se passerait-il si un parti vert prenait le pouvoir dans un pays européen comme la France? Avec un programme audacieux, contraignant pour tout le monde? C’est précisément ce que raconte Collapsus de Thomas Brennec.
Michel Bélair
La Terre, ou plutôt, le vivant, la biodiversité, s’essouffle de plus en plus. On sait déjà que la planète se débrouillera fort bien toute seule, quoi qu’il arrive, mais il devient chaque jour plus clair que tout ce qui vit ici, et surtout l’humanité, approche d’un point tournant. Tous les signaux l’indiquent de façon alarmante et pourtant, dans cet environnement qui se fait de plus en plus hostile et menaçant, le dérèglement s’accélère chaque année un peu plus. Même depuis les accords de Paris. Partout, sous prétexte de «réalisme politique», on veut tout conjuguer à tout prix en ne lâchant rien: écologie, oui, mais «développement», progrès et confort aussi… Alors qu’il faudrait plutôt avoir le courage d’agir rapidement, bien sûr. Et d’y aller à fond. Ensemble.
C’est dans un futur tout à fait prévisible et dans un contexte analogue que Pierre Savidan, un écologiste devenu Socialiste Vert, prend le pouvoir à l’Élysée. Et s’attaque directement au problème en imposant une série de mesures concrètes et radicales.
Une mesure-phare
L’élection d’un candidat écolo n’est finalement pas si étonnante — des Verts ont participé à plusieurs cabinets en Europe — puisque, de plus en plus, on exige un peu partout que les gouvernements posent des gestes concrets pour enrayer la menace. À Montréal, par exemple, à l’ouverture de la COP15, début décembre, des manifestants clamaient déjà que «l’eau, l’air et les rivières ont besoin de révolutionnaires». Il y a surtout que, même dans le scénario le plus optimiste, les conditions climatiques vont s’exacerber, on le sait aussi, et rendre la vie chaque jour plus difficile à vivre pour nos enfants et encore plus pour nos petits enfants.
C’est donc une fois que ces sombres prévisions se seront matérialisées, quelque part entre aujourd’hui et la fin de la prochaine décennie probablement, que se situe l’action de ce thriller de politique fiction fort dérangeant, disons-le. L’air est lourd sur la capitale française; la moindre journée est devenue insupportablement humide et collante. Partout la tension est palpable depuis que le Mouvement vital de Pierre Savidan a pris le pouvoir — de justesse devant l’extrême droite — et concrétisé peu à peu ses promesses électorales. Le temps des compromis est bien fini.
Durant les quatre premières années de son quinquennat, cet ex-gourou écologique a résolument engagé le combat en investissant massivement dans les transports en commun et la conservation de l’énergie, en favorisant le végétarisme, en imposant la bouffe 100% bio dans les cantines scolaires et en taxant davantage la richesse, les banques et les grandes sociétés par un impôt punitif sur les profits. Un peu partout, chaque jour ou presque, des militants manifestent contre les multinationales et leurs procédés souvent douteux ou traquent les jets privés qui tentent encore de décoller… C’est un peu raide, mais étant donné l’enjeu, c’est encore plutôt acceptable.
Mais les choses prennent un drôle de tournant quand le lecteur constate que le «socialisme vert» de Savidan et de son équipe tient d’abord et avant tout à une mesure-phare: le SEI, pour Scoring Écologique Individuel. La mesure est radicale… «En fonction de ses modes de transport, de son régime alimentaire, de ses revenus, de la composition de son foyer, de l’ensemble de ses actions au quotidien, chacun dispose d’une note qui évolue selon un algorithme [public et connu de tous]. (…) Le crédit écologique est compris entre 50 et 950. Au-delà de 500, les impôts commencent à baisser». Le SEI est devenu la norme et tout le pays s’y est mis peu à peu. Déjà, on se demande s’il est possible d’aller aussi loin. Mais il y a plus encore car le temps presse…
Jusqu’où …
Dans ce «monde nouveau», on suggère fortement aux plus endurcis — les riches ou les hauts fonctionnaires de l’État, par exemple, dont le SEI est le plus bas — de s’inscrire dans un centre PAIRE pour Programme d’accueil individualisé de Réaffirmation écologique… sous peine de voir leur compte en banque fondre au soleil sous le coup d’amendes de toutes sortes. C’est à partir du moment où le PAIRE devient obligatoire pour les SEI trop bas que les plus convaincus se mettent à douter: le bien de tous prime-t-il sur les libertés individuelles?
Les protestations se font de plus en plus fortes: la grogne éclate à tout propos. Et lorsque le gouvernement Savidan annonce vouloir légiférer rapidement sur une série de sujet tabou en France — comme la limitation des naissances et la consommation de viande —, le climat devient de plus en plus tendu. À un point tel que le président décide d’appliquer un article de la Constitution française (l’Article 16) lui permettant de suspendre les libertés civiles.
Rapidement, les choses se dégradent. Il y avait bien des heurts continuels avant la promulgation de l’état d’urgence, mais là, les deux camps sont campés sur leurs positions. Qu’est-ce qui arrive ensuite? On vous laisse bien sûr le découvrir vous même…
N’empêche que le sujet est prenant et, oui, brûlant d’actualité. Bien sûr la démonstration serait plus frappante si elle était portée par un style flamboyant à la Orwell et des personnages forts, ce qui n’est pas vraiment le cas ici: à part Savidan et Fanny Roussel la passionaria qui se charge de ses basses œuvres, c’est d’abord l’action qui prime. Et les enjeux, bien sûr. Car Thomas Bronnec réussit à faire saisir l’urgence qui nous menace tous. Au bout du compte, c’est la survie de l’humanité et de la vie comme on la connaît qui est en jeu. À l’échelle du monde. Et qu’on le veuille ou non, cette question se posera bien un jour: jusqu’où peut-on aller pour sauver l’humanité?
Collapsus
Thomas Bronnec
Gallimard — Série noire, 2022, Paris, 462 pages