À propos de l'auteur : Marie-Josée Boucher

Catégories : Québec

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Catherine Saouter

Le sujet des victimes du virus de la COVID-19 a fait couler beaucoup d’encre depuis 18 mois. Certaines ont été emportées en quelques jours, d’autres ont survécu, souvent avec de lourdes séquelles. Mais qu’en est-il des victimes dites collatérales ? Quelles sont les solutions à ce problème pour le réseau de la santé ? 

Marie-Josée Boucher

Les victimes collatérales de la COVID-19 sont les personnes en attente d’une chirurgie non urgente, dont le dossier est retardé à cause de la priorité de traitement du virus dans les établissements hospitaliers. 

Selon les données les plus récentes du ministère de la Santé et des services sociaux du Québec, soit en date du 9 octobre dernier, le total des dossiers de personnes en attente d’une chirurgie depuis plus de six mois dans toute la province s’élevait à 151 352. Ces affections touchent la cataracte, la hanche, le genou, tous types de chirurgie d’un jour, une chirurgie avec hospitalisation ainsi qu’une chirurgie bariatrique.

La Fédération des médecins spécialistes du Québec a répondu à notre demande d’entrevue par courriel : «Outre les personnes en attente de chirurgies, les médecins spécialistes sont aussi préoccupés par l’attente dans toutes les spécialités médicales.

La coopération de toutes les équipes soignantes est importante pour réduire ces délais. La Fédération ajoute qu’elle collabore étroitement avec le ministère de la Santé et des Services sociaux pour trouver des solutions en vue d’accélérer le rythme des activités de dépistage et d’investigation.»

Le président de l’Association d’Orthopédie du Québec, Jean-François Joncas, signale qu’en février 2020, soit avant la pandémie, 280 patients au Québec étaient en attente d’une chirurgie depuis plus d’un an. En septembre-octobre dernier, il révèle que leur nombre avait bondi à 5 000, soit 18 fois plus qu’au début de 2020.

«En fait, actuellement, en orthopédie, nous avons probablement 40 000 patients en attente de chirurgie, tous délais confondus », estime le président, un orthopédiste rattaché au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) et qui cumule plus de 30 ans de pratique.

Plan de rattrapage

Devant cette situation difficile pour nombre de citoyens, Québec a annoncé, en juin dernier, un plan de rattrapage axé sur quatre grands objectifs. Il vise d’abord à retrouver le rythme de 100 % des chirurgies pratiquées. Il souhaitait ensuite les porter à 115 % dès octobre dernier. Enfin, d’ici mars 2023, le plan veut ramener la liste d’attente à ce qu’elle était avant la pandémie, et diminuer de façon importante la liste des patients en attente d’une chirurgie depuis plus d’un an.

Tous ces patients écopent bien sûr de ce malheureux retard. « Dans un monde idéal, il ne devrait pas y avoir une attente de plus de six mois dans la plupart des cas, soutient Jean-François Joncas. Il trouve difficile de composer avec la réaction émotive d’un patient à qui on annonce qu’il devra attendre une chirurgie plus longtemps que prévu, comme pour l’usure d’un genou, par exemple. Mais il salue la résilience de beaucoup d’entre eux, conscients des défis de la COVID-19 et prêts à attendre leur tour.

Jean-François Joncas affirme qu’il aurait été possible de réduire la liste d’attente, mais il précise que les salles d’opération de certains hôpitaux ne fonctionnaient pas au maximum, même avant la COVID-19, en raison d’un manque de personnel qualifié.

Il fait remarquer que lors des deux premières vagues du virus, certains membres du personnel des salles d’opération ont été envoyés vers d’autres services pour juguler la pandémie. Ils ont par la suite choisi de ne pas revenir en chirurgie ou aux soins intensifs. Toujours selon Joncas, le ministère a mieux géré les troisième et quatrième vagues, mais la pénurie de personnel se fait encore sentir dans les salles d’opération.

Cette attente plus longue que prévue a aussi pour résultante de créer un sentiment d’inconfort et de perte de confiance dans le système de santé, estime Benoit Barbeau, virologue et professeur au département des sciences biologiques à l’UQAM. 

Espoir et vigilance

Pourtant, de l’avis de Barbeau, la situation s’améliore. « Si l’on continue de bien contrôler la quatrième vague et de diminuer le nombre de cas, le rattrapage sera possible. »

Du même souffle, il prévient qu’il faudra faire preuve de vigilance en regard du nombre imprévisible de cas de COVID cumulés chaque jour. De même, l’incidence de la grippe saisonnière pourrait affecter de nouveau le système de santé en raison d’une hausse possible des hospitalisations.

Outre l’avènement du vaccin, contre lequel 88,3 % de la population est maintenant adéquatement vaccinée (données en date du 11 novembre 2021), Benoit Barbeau souligne que les solutions résident notamment dans les efforts des grandes entreprises pharmaceutiques comme Pfizer, Roche et Merck. Elles poursuivent notamment leurs recherches au chapitre des antiviraux, dont les immunomodulateurs.

Ceux-ci ont pour effet de contrer la surexcitation du système immunitaire en réponse à l’apparition d’un virus. À ce chapitre, Barbeau nous a fait parvenir des données du ministère albertain de la Santé du 30 septembre dernier. Celui-ci a entamé un projet de recherche de la thérapie dite immodulatrice destiné aux personnes de 18 ans et plus.

À cette trop longue attente pour les chirurgies non urgentes, l’orthopédiste Jean-François Joncas propose aussi ses solutions. La première a déjà été mise en place, selon lui : le ministère a conclu, dans la grande région de Montréal, des ententes de partenariat avec des salles d’opération du secteur privé dans le cadre desquelles le médecin est payé par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

En second lieu, il importe, selon le chirurgien spécialiste, de prendre des mesures telles sur viser une meilleure gestion des conditions de travail afin de retenir le personnel dans les hôpitaux.

Joncas propose en outre de recruter du personnel chirurgical et des chirurgiens actuellement à la retraite, qui deviendraient pigistes pour prêter main-forte au réseau de la santé, sans obligation de garde et de temps plein de leur part.

Enfin, il appelle à valoriser le domaine de la chirurgie dans l’enseignement aux étudiants en médecine.

De son côté, Benoit Barbeau cite l’action du gouvernement du Québec qui a donné son feu vert pour rénover des centres hospitaliers existants. Mais à la base, souligne-t-il, les autorités auraient dû prévoir la venue d’une pandémie, dont l’éventualité avait été annoncée il y a quelques années.

« La meilleure prévention, c’était certainement d’avoir été mieux préparés», dit-il. Toujours selon Barbeau, il aurait fallu instaurerune structure, une façon de mieux gérer, tout en tenant compte des aspects impondérables de tout type de virus qui pourrait sévir.Il inclut également dans cette préparation une meilleure formation des travailleurs de la santé qui aurait été nécessaire au préalable.

En conclusion, on peut comparer le coronavirus à un caillou lancé à l’eau. Le noyau central, le virus, a provoqué un choc, et l’effet domino est devenu inévitable. Les ondes concentriques qui se sont succédé sont intimement liées à ce premier choc.
C’est là que se situe le principe de victimes collatérales. 

Son étendue, soit les ondes concentriques successives, est en fait beaucoup plus large qu’on pourrait le croire.

Parmi celles-ci, citons les personnes décédées d’une maladie, d’un cancer ou d’un problème de santé mentale, faute de soins adéquats dans les délais requis à cause de la COVID-19. Il y a aussi les proches de ces victimes décédées, profondément affectés et animés d’un sentiment d’impuissance et de révolte justifiés face à la perte subite d’un proche. Ajoutons à ce nombre les proches des personnes qui ont été emportées rapidement par la COVID, sans que ces même proches n’aient pu être à leur chevet avant leur départ.

En somme, nous avons tous été touchés, de près ou de loin, par la pandémie et ses ravages. Nous avons appris que la vie est fragile, que rien n’est acquis et que nous devons apprécier ce que nous avons dans notre environnement immédiat, dans notre région, dans notre province et dans notre pays. 

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