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Quand les femmes étaient un peu plus libres grâce à l’intervention de l’OTAN, le port de la burqa était… facultatif.
Claude Lévesque
Les talibans n’ont pas que des amis. Au contraire, ils semblent avoir fait l’unanimité contre eux-mêmes.
En tuant le 31 juillet Ayman al-Zawahiri, le chef d’al-Qaïda, les États-Unis de Joe Biden ont montré, si besoin était, qu’ils ne sont pas devenus leurs amis, surtout si ces derniers hébergent des chefs terroristes. Néanmoins, ce n’est pas à Washington qu’on est le plus pressé de voir la fin de ce régime.
L’Afghanistan des talibans est en conflit – larvé direz-vous, mais en conflit tout de même – avec le Pakistan voisin, qui était pourtant leur « co-concepteur » avec l’Arabie saoudite et qui les avait vu naître sur son territoire dans les années 1990.
Par ailleurs, le pays qu’ils ont reconquis il y a un an continue de subir les attentats revendiqués par Daech, un « variant » et un concurrent du groupe terroriste al-Qaïda. L’État islamique dans la province de Khorasan – c’est le nom de la branche locale de Daech – se montre encore plus fanatique que les talibans actuels, qui sont eux mêmes au moins aussi fanatiques que leurs prédécesseurs de 1996, malgré les démentis auxquels plus personne ne croit.
La moitié du monde …
Quand on évoque l’Afghanistan, il y a un enjeu dont on parle comme d’une situation scandaleuse qu’on voudrait changer, mais sans vraiment y croire, ou sans vouloir y mettre les efforts. C’est l’oppression des femmes. S’est-on jamais posé la question suivante : un régime peut-il tenir longtemps en contrariant la moitié de sa population ? Surtout s’il ne dispose pas de pétrodollars par centaines de milliards comme les princes saoudiens.
Ayant goûté à vingt ans d’une liberté limitée mais réelle après le premier régime taliban (1996-2001) et se trouvant à l’aube d’un deuxième qui s’annonce aussi dur pour elles, les Afghanes sont nombreuses à manifester ouvertement contre le nouveau pouvoir (En Retrait, mars 2022). Et elles jouissent d’appuis partout dans le monde. Beaucoup plus qu’en 1996.
Elles sont descendues dans les rues dès que les « anciens-nouveaux » maîtres ont repris le pouvoir à Kaboul en août 2021. Elles ont pu exprimer leurs doléances et leurs rêves pendant un certain temps devant des miliciens qui semblaient pris de court.
Il est vrai que les manifestations féminines se sont faites plus rares à mesure que la répression a gagné en férocité. Malgré cette violence, des Afghanes sont quand même redescendues sur la place publique quand il s’est agi de protester contre des mesures liberticides qui les visaient: interdiction de circuler sans être accompagnées par un proche parent masculin, obligation de porter la burqa, fermeture des écoles secondaires pour filles, etc.
À Oslo en janvier 2022, profitant d’une conférence sur l’aide humanitaire destinée à leur pays, un groupe de militantes féministes ont réclamé la libération de leurs consoeurs arrêtées ou « disparues » lors de ces manifestations.[1]
Un mois et demi après cette conférence, le régime a renoncé à sa promesse de rouvrir les écoles secondaires pour filles, déclenchant de nouvelles manifestations. Au moins 33 femmes ont été arrêtées ou soumises à des « disparitions forcées » dans la foulée de ces évènements-là.
Avant le retour des talibans, les femmes comptaient pour 28 % des parlementaires et 36 % du personnel des médias, tandis que 88 000 étaient inscrites dans les universités du pays [2][source : Il existe une fenêtre de tir pour négocier en faveur des droits des femmes afghanes mais elle est courte, un rapport d’Amnistie internationale, mars 2022]. Presque toutes ces avancées ont été annulées à partir du mois d’août 2021.
Les talibans ont été condamnés pour le traitement qu’ils réservent aux femmes par plusieurs instances de l’ONU, dont le Conseil de sécurité (le 24 mai 2022), et par une bonne partie de ce que la planète compte d’ONG internationales.
Pendant vingt ans, à Kaboul et dans d’autres villes, plusieurs femmes ont troqué la burqa pour un foulard léger. Simple mirage ? Difficile à dire. Les progrès réalisés pendant cette embellie n’auront peut-être pas été en pure perte. Les idées ne meurent pas facilement et les autorités rétrogrades arrivent rarement à contrôler tous les moyens de communication, dont les téléphones portables et les réseaux sociaux, qui servent à les propager.
Sous le feu de Daech
Les talibans n’ont pas le monopole de l’extrémisme religieux. Ils doivent composer avec les attentats perpétrés par Daech.
Ce mouvement, dont les premières cellules sont apparues en Iraq en 2006 avant de s’étendre à la Syrie en 2012, a commencé à prendre racine en Afghanistan et en Asie centrale quelques années plus tard. Contrairement aux talibans qui défendent un certain nationalisme (afghan ou pachtoune), Daech propose une « vision géostratégique » axée sur l’expansion, partout sur Terre, d’un islam sunnite fanatique.
Entré en conflit avec les talibans, il perd vite les bases qu’il s’était données dans certaines provinces et se tourne vers le terrorisme urbain, la plupart du temps dirigé contre la minorité chiite.
Dès le retour des talibans au pouvoir en août 2021, Daech revendique deux attentats à la bombe près de l’aéroport de Kaboul, interrompant l’évacuation de militaires américains, de leurs employés afghans et de nombreux expatriés.
Les 21 et 22 avril 2022, une série d’attentats frappe l’Afghanistan, à Mazar-e-Charif et à Kunduz .Les cibles : des mosquées et un minibus. Le bilan : des dizaines de morts et de nombreux blessés. Un mois plus tard, le même scénario est observé, de nouveau à Mazar-e-Charif, et cette fois à Kaboul, où une autre mosquée chiite est visée.
Le nouveau grand jeu et la ligne Durand
Avant sa chute en 2001, le premier régime taliban était reconnu par trois pays : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Pakistan. Le premier pays semble actuellement plus préoccupé par son intervention au Yémen et par son désir d’avoir l’air moderne. Le second est essentiellement une place financière. Qu’en est-il du Pakistan ?
Voyons le contexte. En 2007, les tribus pachtounes de l’Ouest du Pakistan ont perdu l’autonomie dont elles jouissaient depuis des lustres. Les militants qu’on appelle les « talibans pakistanais » ont alors trouvé refuge en Afghanistan, de l’autre côté de la frontière. Ils se sont servi de cette base pour mener des attaques contre les militaires pakistanais. Ils exigent que ces derniers se retirent des territoires frontaliers, ce qui leur permettrait d’imposer la charia comme ils le faisaient avant 2007.
La victoire des talibans à Kaboul en août 2021 avait pourtant été célébrée par le président pakistanais. Les relations se sont vite détériorées. Pendant les mois qui ont suivi cette victoire, Islamabad a enjoint aux nouvelles autorités afghanes d’empêcher les talibans pakistanais de mener des opérations à partir de l’Afghanistan.
En avril, l’aviation pakistanaise a bombardé des insurgés présumés dans les provinces afghanes de Khost et Kunar, tuant au moins 47 personnes, dont plusieurs femmes et enfants. Kaboul a porté l’affaire à l’attention des Nations unies.
En mai et en juin, des pourparlers directs ont eu lieu à Kaboul, sous le patronage des talibans afghans, entre des responsables militaires pakistanais et des représentants des talibans pakistanais. Une trêve fragile a été conclue. Ce qui ne simplifie pas les choses, c’est le fait que la frontière, tracée par les Britanniques en 1893, n’a jamais été reconnue par Kaboul.
Dans le nouveau « grand jeu » où l’Inde, le Pakistan, l’Iran, la Chine et la Russie s’opposent, et qui porte au moins autant sur les métaux stratégiques que sur les droits des femmes, les talibans représentent un pion, certes assez important, mais guère plus qu’un pion.
[1] « Afghanistan’s women’s activists test taliban in Oslo but expect few advancements », Somayeh Malekian, ABC News, 3 février 2022.
[2] « Il existe une fenêtre de tir pour négocier en faveur des droits des femmes afghanes mais elle est courte », un rapport d’Amnistie internationale , mars 2022.
Entre autres, les sites Internet de Voice of America, de Foreign Affairs, du quotidien pakistanais Dawn et du Council of Foreign Relations ont aussi été consultés pour la préparation de cet article