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Omer Beaudoin -– Fonds du ministère de la Culture et des Communications.
Au tournant du 20e siècle, dans les classes des villes et des campagnes, l’apprentissage de l’orthographe impose aux élèves la récitation de l’alphabet dont la représentation graphique des majuscules et des minuscules est installée au-dessus de grands tableaux noirs. Dans la région de Disraeli, quand Marie-Paule se fait demander d’énumérer les lettres de l’alphabet, elle n’oublie pas la leçon apprise : m – n – o – p – la lettre infâme – r – s – t – u – v …
Pierre Deschamps
Si aucun des contributeurs du magnifique ouvrage de la collection Atlas historique du Québec consacré à L’École au Québec (sous la direction de Brigitte Caulier, Andrée Dufour et Thérèse Hamel, Presses de l’Université Laval, Québec, 2023, 490 pages) ne relate une telle anecdote, c’est qu’ils n’ont pas eu une grand-mère pour leur raconter ce souvenir qui témoigne à sa façon des valeurs que l’école véhiculait à un moment précis de son histoire. Une histoire que balaie cette somme incomparable, des premiers temps de la colonie française en terre d’Amérique jusqu’à la veille de la réforme Parent au milieu des années 1960.
Habilement servi par une mise en page de haute tenue, L’École au Québec est un ouvrage grand format (23 cm par 31 cm) d’une densité de sujets élevée et d’une qualité générale remarquable où les illustrations abondent. Dessins, portraits de personnages clés, plans d’école, encadrés, reproductions d’ouvrages anciens côtoient quantité de photos, de graphiques, de tableaux, de cartes, de lignes de temps.
Visée colonialiste
À l’orée de cet ensemble qui compte plus d’une soixante d’articles signés par vingt-sept collaborateurs et collaboratrices, le regard s’étonne de lire dès la table des matières le titre d’une contribution d’Andrée Dufour : Le rétablissement des structures scolaires au lendemain des insurrections de 1837-1838. Les troubles politiques auraient donc eu des répercussions jusque dans le monde scolaire ! Oui, et pas qu’un peu.
À la suite du climat insurrectionnel de 1836-1838, lord Durham confie à Arthur Buller, membre du Conseil spécial du Bas-Canada, la responsabilité d’une enquête sur l’éducation « en vue de rétablir un système scolaire public dans la nouvelle Province du Canada (Canada-Uni) ».
« Buller propose un système d’écoles nationales communes dans lequel les deux communautés linguistiques […] seraient instruites ensemble afin de permettre […] à plus long terme, l’anglicisation des Canadiens français . »
Heureusement, l’activisme des députés canadiens-français fera en sorte que le Québec obtiendra « son propre système scolaire, et l’abandon du dessein d’anglicisation ».
Catholiques et anglicans
Dans Les grands enjeux de l’éducation protestante au Québec, Roderick MacLeod et Mary Anne Poutanen soulignent que : « Une méfiance réciproque, jumelée à une compréhension très différente de ce que devrait être l’éducation publique, a conduit à l’établissement officiel de structures parallèles – protestante et catholique – dans les années 1870, de même qu’à la mise sur pied d’un système distinct de perception de taxes scolaires en vue de financer l’éducation. »
En outre les auteurs font valoir que : « La notion de séparation de l’Église et de l’État était aussi étrangère aux pratiquants de l’anglicanisme (“L’église d’Angleterre ”) qu’elle l’était aux catholiques (…) Les catholiques et les anglicans voyaient néanmoins la scolarisation comme un moyen de préserver leur culture religieuse – les uns comme les autres se considérant menacés par l’hégémonie grandissant du libéralisme en Amérique du Nord ». Comme quoi, « on ne peut comprendre l’éducation catholique au Québec, même dans sa plus stricte acceptation philosophique, sans tenir compte de l’éducation protestante », dont toute la complexité lui vaut d’avoir une réelle « importance dans l’histoire de l’éducation au Québec ».
Frères et inspecteurs
Une étude de Marie-Josée Larocque sur Les Frères des écoles chrétiennes à Québec illustre le fait que cette communauté voudra répondre dans le domaine éducatif à « l’idée qu’une éducation en lien avec l’industrialisation serait une façon d’améliorer à la fois le sort des citadins et la productivité économique de la ville, sans passer par une remise en question de l’ordre social ».
Jocelyne Murray rappelle dans Bonjour, Monsieur l’Inspecteur ! que ce rôle contribua largement « à une uniformisation de l’enseignement et du fonctionnement du système scolaire public ». Cette figure d’autorité a longtemps fait craindre le pire aux élèves qui allaient devoir répondre à ses questions lors de visites empreintes d’une profonde raideur.
Fréquentation scolaire
Sous le titre L’occupation des enfants de la ville de Québec au tournant du XXe siècle, Mélanie Julien et André Turmel se demandent, en utilisant les données de recensement de l’époque, si, en raison de l’entrée de la Vieille Capitale dans l’ère industrielle, les Canadiens français fréquentaient moins l’école que les Irlandais, les Écossais et les Anglais qui s’étaient établis à Québec.
Intitulée Complexe et fragile : la fréquentation scolaire à Montréal au tournant du XXe siècle, la contribution de Danielle Gauvreau et Kathy Provost porte pour sa part sur la fréquentation scolaire à Montréal à la même époque. Les auteures observent que le besoin de main d’œuvre qualifiée et le développement des infrastructures scolaires s’opposent aux nombreuses possibilités d’emplois salariés qui « ont pour effet d’écourter pour plusieurs le temps passé sur les bancs d’école ».
Écoles de réforme et d’industrie
On ne peut passer sous silence les lois de 1869, permettant l’implantation d’un réseau d’écoles de réforme et d’écoles d’industrie « visant à répondre aux problèmes des enfants (considérés ici comme toute personne de moins de 18 ans) orphelins, négligés, abandonnés, vagabonds et délinquants ». Des lois visant à résoudre les problèmes provoqués et nourris par l’urbanisation et l’industrialisation.
Comme le note Dale Gilbert dans Une trajectoire particulière : les écoles de réforme et les écoles d’industrie du Québec, 1869-1950 , ces structures « sont mises sur pied dans le but de ramener certains enfants vers la “vertu” ou, mieux, de les retirer de la glissante “pente du vice” ».
Apprentissage de la féminité
« À l’heure où se développe l’instruction publique et où l’accent est mis sur une éducation féminine spécifique, ainsi que le raconte Marilyne Dubois dans L’apprentissage de la féminité à l’école, des écoles sont mises en place pour y enseigner diverses matières comme l’établissement d’un emploi du temps logique et rationnel, la puériculture, l’art culinaire ou encore la couture. Paradoxalement, ajoute-t-elle, alors que la vocation ménagère des femmes est considérée comme naturelle et innée, celles-ci doivent s’en remettre à des experts et être formées pour remplir leur rôle social ».
Comme en conclut Marilyne Dubois, l’enseignement ménager, après avoir constitué au XIXe siècle « une réponse aux enjeux sociaux liés au manque de connaissances sur l’hygiène, l’alimentation ou encore la puériculture [, est devenu au cours du XXe siècle] le cœur de la conception de l’éducation des filles ».
Manuels scolaires, hygiène …
Le manuel scolaire : principal outil pédagogique, de Paul Aubin, en retrace l’évolution, l’uniformisation et la gratuité, laquelle « prend réellement forme avec la loi de 1944 assurant aux administrations locales le remboursement, par le gouvernement, des trois quarts de la facture ».
À propos de la qualité du français de « ces ouvrages écrits par des francophones, souvent éducateurs de carrière, pour les francophones », l’auteur évoque un épisode particulièrement accablant : « Une longue série d’articles publiés dans L’Enseignement au milieu des années 1950 dénonce […] la piètre qualité du français [. Ainsi dans une] série de manuels d’arithmétique […] on relève des anglicismes et des incorrections grammaticales ; on y déplore la pauvreté du style et du vocabulaire et on dénonce ce qu’on qualifie de style de traduction ».
L’école au cœur des campagnes d’hygiène à Montréal, de Roderick MacLeod et Mary Anne Poutanen porte sur ce moment où la métropole est devenue au tournant du XXe siècle « la première ville à instituer des examens médicaux périodiques pour les enfants d’âge scolaire » afin de combattre toutes sortes de maux causés par des quartiers insalubres, des immeubles surpeuplés, l’eau non traitée, le lait non pasteurisé ainsi que le piètre état de bien des écoles. Des facteurs qui « ont contribué à porter le taux de mortalité infantile à des niveaux exorbitants, tout comme les épidémies de tuberculose et d’autres maladies contagieuses, telles que la rougeole, la diphtérie, la grippe et même la variole ».
Outre les articles sur les commissions scolaires, la formation des instituteurs, les collèges classiques pour garçons et pour filles, l’enseignement professionnel, commercial et technique, l’architecture des écoles, la préparation de futurs soldats, la nécessité de former la relève au travail de la terre et à celui de bureau, l’ouvrage présente de fort pertinentes études sur la scolarisation des enfants des minorités juives, irlandaises, autochtones ainsi que sur les écoles catholiques anglaises et les pensionnats autochtones, dont on peut se demander s’ils servaient à « sédentariser, civiliser et instruire ».
Enfin, la conclusion rédigée par Brigitte Caulier est d’une telle qualité qu’on s’imagine déjà lire sous sa plume l’introduction à un second ouvrage sur l’école au Québec, depuis la réforme Parent jusqu’à nos jours cette fois.