À propos de l'auteur : Daniel Raunet

Catégories : International

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Christian Tiffet

Daniel Raunet

La droite chrétienne jubile [1]. Avec la victoire de Donald Trump à la présidence et son contrôle de la Cour suprême et du Congrès, son projet de faire des États-Unis un pays fondamentalement chrétien lui semble à portée de main. Pourtant, la percée des républicains auprès de certaines minorités non blanches ou non chrétiennes ne rendra pas son succès inéluctable. En effet, selon une étude de 2023 auprès de 22 000 personnes [2], il n’y a que trois Américains sur dix qui soutiennent les objectifs du nationalisme chrétien. Pour achever sa victoire, la droite chrétienne a donc besoin de sortir des milieux qui l’ont vu naître, avant tout des milieux suprémacistes blancs. Alors que les États-Unis se métissent inexorablement, les tenants de l’imposition de valeurs religieuses conservatrices à l’ensemble de la société vont devoir tenir compte davantage des minorités, noires, hispaniques et autres.

Le reflux du christianisme dans la population

En 1990, 90 % des adultes américains s’identifiaient à la religion chrétienne. Depuis, le déclin est spectaculaire. En 2022, selon le Pew Research Center, ils n’étaient plus que 63 %. « Depuis 30 ans, un flot constant de jeunes adultes qui avaient été élevés en tant que chrétiens abandonnent leur identité religieuse. En même temps, ne pas avoir de religion a pris racine. Il y a de moins en moins de gens élevés sans religion qui se convertissent ou adoptent une religion plus tard dans la vie .» [3]

La droite chrétienne à contre-courant

Selon les résultats d’une enquête effectuée par le Pew Research Center en 2024, les adversaires du droit à l’avortement sont loin d’avoir le vent dans les voiles, 63 % des Américains considèrent que cette procédure doit être légale. Dix ans plus tôt, 62 % d’entre eux estimaient que l’homosexualité devrait être acceptée, 53 % que le mariage entre conjoints de même sexe devrait être approuvé. Au sein même des dénominations chrétiennes, la tolérance de l’homosexualité progresse de façon remarquable. De 2007 à 2014, son taux d’acceptation est passé de 44 % à 54 % de tous les chrétiens, dont 68 % à 70 % chez les catholiques, 56 % à 66 % chez les protestants libéraux et 39 % à 51 % chez les protestants historiques noirs. On ne sera pas étonné toutefois qu’en 2014 l’homosexualité soit encore condamnée par 36 % des évangéliques et des mormons et 16 % des témoins de Jéhovah.

La charité n’a pas la cote chez les chrétiens. 60 % des croyants pensent que l’aide du gouvernement aux pauvres fait plus de mal que de bien. Par contre, dans la population générale, 50 % des gens approuvent le principe d’une telle aide gouvernementale. Il y a toutefois un sujet sur lequel croyants et non-croyants se rejoignent, 51 % des Américains pensent que la taille du gouvernement est trop grande et que l’État devrait réduire ses services offerts. Seuls 44 % aimeraient voir une augmentation de cette taille et davantage de services.[4] Quant à la peine capitale, 53 % des Américains étaient en sa faveur en 2013, contre 70 % dix ans plus tôt (sondages Gallup).

La tentation de la tyrannie

Bien avant Donald Trump, les États-Unis ont flirté avec les entorses à la démocratie. En 1798, une fois devenu président, un des pères fondateurs du pays, John Adams, s’était fait octroyer autorité absolue par le Congrès pour déporter des non-citoyens jugés dangereux et limiter le droit d’expression et la liberté de la presse, le tout au nom d’une urgence nationale. Les chercheurs Samuel Perry et Joshua B. Grubbs estiment que « la tension entre, d’un côté, le maintien d’un gouvernement central avec des pouvoirs exécutifs forts et suffisamment souples pour affronter des crises et, de l’autre, une distribution des pouvoirs pour contrecarrer la tyrannie se situe dans les fondations mêmes de la démocratie américaine. En fait, cette tension n’a jamais été totalement résolue .[5]

L’opinion publique américaine a largement désapprouvé les tentatives de Donald Trump de s’accrocher au pouvoir malgré sa défaite électorale de 2020, mais elles ont reçu un certain écho favorable au sein de la droite chrétienne. Lors de l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, les croix, les messages chrétiens sur les t-shirts et les banderoles arborés par les émeutiers étaient légion. L’occupation du Sénat avait même donné lieu à une séance de prière. Une enquête de Public Wise, une organisation en faveur de l’accès au droit de vote, illustre l’ambivalence des chrétiens de droite face à l’émeute. « De février à août 2021, le pourcentage de chrétiens nationalistes qui estimaient que les émeutiers devraient être poursuivis est tombé de trois quarts à 54 %. Le pourcentage de ceux qui se déclaraient solidaires de leurs actions a doublé de 13 % à 27 %. »[6]

Selon Samuel Perry et Joshua Grubbs, l’analyse des données montre que « le nationalisme chrétien est la variable explicative la plus forte pour identifier les Américains qui croient que des “urgences nationales” de nature non spécifiée obligeraient les dirigeants à suspendre les élections, réprimer les opposants politiques et ignorer les contrepoids institutionnels ».

Les Afro-Américains et la droite chrétienne

Selon CNN, le 5 novembre, 13 % des Afro-Américains ont voté pour Trump.[7]  Les Noirs représentent 13,6 % de la population américaine. Les deux tiers d’entre eux sont protestants. Par ailleurs, 41 % de ces protestants noirs appartiennent à des églises évangéliques.[8] C’est dans cette mouvance que se recrute essentiellement une minorité de Noirs qui adhèrent aux mêmes valeurs que les chrétiens nationalistes blancs. 28 % des Noirs protestants pensent que le gouvernement américain devrait décréter que les États-Unis sont un pays chrétien et que Dieu a voulu que les chrétiens exercent leur domination sur tous les aspects de la société (64 % chez les blancs évangéliques).[9]

La politologue Brooklyn Walker pose la question : « Si le nationalisme chrétien est étroitement lié au racisme, pourquoi tant de Noirs américains le soutiennent-ils ? (…) Ce soutien est une réponse au nationalisme ethnique blanc. Alors que les noirs américains se voient nier un statut égal en tant qu’Américains, ils affirment de façon croissante leur caractère prototypique en tant qu’Américains en soulignant leur identité chrétienne. »[10] L’adhésion de Noirs américains à des valeurs partagées par les suprémacistes blancs correspondrait donc à un désir d’effacer l’aspect racial de ce nationalisme et de s’intégrer aux élites chrétiennes.

Les Hispaniques et la droite chrétienne

En 2021, les Hispaniques représentaient 19,1 % de la population américaine et en 2060, ils seront 26,9 % (Statista Research Department). Comme en Amérique latine, les sectes évangéliques défient de plus en plus le monopole historique de l’Église catholique. De 2010 à 2022, la part des catholiques dans cette communauté est tombée de 67 % à 43 %. Selon le Public Religion Research Institute, les évangéliques représentent désormais 15 % des latinos des USA. 55 % des Hispaniques protestants adhèrent ou sympathisent avec les thèses du nationalisme chrétien et également 23 % des catholiques hispaniques. Le 5 novembre, 46 % des hommes latinos ont voté pour Trump, 38 % des femmes.[11]

Le chercheur brésilien Gabriel Carvalho Fogaça, du Latino Observatory, tente une explication : « Les Hispaniques protestants sont le seul groupe religieux dont le soutien au nationalisme chrétien a cru entre les enquêtes de 2022 et de 2023, 12 %. Nous avons décelé que, malgré les politiques d’immigration restrictives et la montée du patriotisme et de l’identité nativiste, de plus en plus de membres de ce groupe sont attirés par le projet de faire des États-Unis une nation chrétienne. » [12]

Pourtant, là aussi, les valeurs traditionnelles du nationalisme chrétien s’effritent. Selon le Pew Research Center, 71 % des Hispaniques approuvent le mariage entre conjoints de même sexe, contre 31 % en 2006. 59 % sont en faveur du droit à l’avortement. Comme la plupart de leurs compatriotes, l’immense majorité des Hispaniques estiment que les politiques du gouvernement fédéral en matière d’immigration sont mauvaises, mais ils sont 57 % à demander que les demandeurs d’asile puissent travailler légalement au pays, contre 44 % pour le reste des Américains. De même, ils ne sont qu’à 33 % en faveur de la déportation des illégaux, contre 55 % de leurs compatriotes. Quant à la construction d’un mur entre le Mexique et les USA, ils ne sont que 26 % à l’approuver, contre 45 % des non-Hispaniques.[13]

Les Juifs et la droite chrétienne

Les Juifs, religieux ou non, représentent 2,4 % de la population américaine. On ne s’étonnera pas du fait qu’il n’y ait que 8 % d’entre eux qui adhèrent ou sympathisent avec les idées du nationalisme chrétien. 63 % les rejettent catégoriquement (étude du Public Religion Reseach Institute). Un sondage du Jewish Democratic Council of America estimait toutefois en septembre que 25 % d’entre eux allaient voter pour Donald Trump. Score confirmé en novembre, les Juifs américains ont accordé 26 % de leurs bulletins de vote au candidat républicain. Sa plus grande proximité de vues avec Benyamin Netanyahou que Joe Biden et son opposition à toute forme d’État palestinien n’auront pas suffi à ébranler le libéralisme de cette communauté.

Les musulmans et la droite chrétienne

Les musulmans représentent 1,1 % de la population américaine, dont deux tiers d’immigrants de la première génération. Ils sont très religieux, 96 % d’entre eux croient en Allah, mais ils ne sont pas alignés sur le conservatisme social des nationalistes chrétiens. Ils sont favorables à la légalisation de l’avortement à 55 % et partagés moitié-moitié sur l’homosexualité. 52 % d’entre eux sont opposés au mariage entre conjoints de même sexe. Parmi les Américains, les musulmans sont les plus généreux face à l’aide de l’État aux plus pauvres, 63 % d’entre eux l’approuvent, contre 50 % dans la population générale (60 % chez les Juifs).

Selon un sondage auprès de 1575 électeurs à la sortie des urnes le 5 novembre, la plupart des musulmans américains n’ont pas voté pour Donald Trump (21 %) ou pour Kamala Harris (20 %), mais pour la candidate du Parti vert, Jill Stein, qui a dénoncé la guerre de Gaza et qui aurait reçu 59 % des suffrages de cette communauté.[14]

Pour terminer, les objectifs du nationalisme chrétien ne sont partagés que par 55 % des républicains, 25 % des indépendants et 16 % des démocrates. Au fil des décennies, le Parti républicain est devenu le bras politique des tenants d’une Amérique chrétienne. La victoire de Donald Trump ne doit pas faire illusion. Si la nouvelle administration lui fait la part trop belle, le peuple américain pourrait finir, un jour ou l’autre, par vomir cette idéologie.

 

 

[1] Alice Hermann, « US Christian right celebrates after prophecy of Trump win comes to pass », The Guardian, Londres, 7 novembre 2024. https://www.theguardian.com/us-news/2024/nov/07/christian-right-trump-victory

[2] Public Religion Research Institute, « Support for Christian Nationalism in all 50 States, findings form the PPRI’s 2023 » American Values Atlas, Washington, 28 février 2024. https://www.prri.org/wp-content/uploads/2024/02/PRRI-Feb-2024-Christian-Nationalism.pdf

[3] Pew Research Center, « How U.S. Religion composition has changed in recent decades »,  Washington, 13 septembre 2022. https://www.pewresearch.org/religion/2022/09/13/how-u-s-religious-composition-has-changed-in-recent-decades/

[4] Pew Research Center, « Religious Landscape Study »,Washington,  juin-septembre 2014. https://www.pewresearch.org/religious-landscape-study/database/

[5] Samuel Perry et Joshua B. Grubbs, « Christian nationalism and support for leaders violating democratic norms during national emergencies », Politics and Religion, Cambridge University Press, Cambridge, 19 septembre 2024. https://www.cambridge.org/core/journals/politics-and-religion/article/christian-nationalism-and-support-for-leaders-violating-democratic-norms-during-national-emergencies/16357CDBE9A790DEF0E385E0149DF2BE

[6] Ella Wind, « U.S. Public Opinion on Accountability for January 6 Insurrectionists Ideological Influences on Accountability Among the American Public », Public Wise, New York, 19 août 2022.  https://publicwise.org/wp-content/uploads/2022/10/V1-Public-Opinion-on-Accountability-for-January-6-Insurrectionists.pdf

[7] Phillip M. Bailey et Michael Collins,  « Trump’s gains among Black men leave many asking: What went wrong ? », USA Today, New York, 7 novembre 2024. https://www.usatoday.com/story/news/politics/elections/2024/11/07/kamala-harris-loss-black-voters/76088194007/

[8] Pew Research Center, « Faith among Black Americans », Washington, 16 février 2021. https://www.pewresearch.org/religion/2021/02/16/faith-among-black-americans/

[9] Public Religion Research Institute, « A Christian Nation ? Understanding the Threat of Christian Nationalism to American Democracy and Culture », Washington, 8 février 2023. https://www.prri.org/research/a-christian-nation-understanding-the-threat-of-christian-nationalism-to-american-democracy-and-culture/

[10] Brooklyn Walker, « Holy Nations: How White Racism Boosts Black Support for Christian Nationalism », Political Behavior, Springer Link, Heidelberg, 11 juillet 2024.

[11] Rachel Uranga et Brittny Mejia, « Why Latino men voted for Trump: ‘It’s the economy, stupid’” », Los Angeles Times, Los Angeles, 8 novembre 2024. https://www.latimes.com/california/story/2024-11-08/why-latino-men-voted-for-trump-its-the-eco

[12] Gabriel Carvalho Fogaça, « The growing impact of Christian nationalism on Latin American politics in the US », Marília, São Paulo, 20 mai 2024. https://latinoobservatory.org/noticia.php?lang=en&ID=828

[13] Luis Noe-Bustamante, « Latinos’ Views on the Migrant Situation at the U.S.-Mexico Border », Pew Research Center, Washington, 4 mars 2024. https://www.pewresearch.org/race-and-ethnicity/2024/03/04/latinos-views-on-the-migrant-situation-at-the-us-mexico-border/

[14] Ismail Allison, « CAIR Exit Poll of Muslim Voters Reveals Surge in Support for Jill Stein and Donald Trump, Steep Decline for Harris », Council on American-Islamic Relations, Washington, 8 novembre 2024.  https://www.cair.com/press_releases/cair-exit-poll-of-muslim-voters-reveals-surge-in-support-for-jill-stein-and-donald-trump-steep-decline-for-harris/

 

 

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