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Jill Biden enseigne, non pas dans les universités de prestige, mais dans les collègues communautaires, et ce depuis plus de ving-cinq ans.
Elle n’est pas simplement l’épouse du président américain Joe Biden. Elle a tracé sa propre voie, distincte de ses prédécesseures premières dames, tout en demeurant très proche de son mari. Portrait de Jill Tracy Jacobs Biden.
Marie-Josée Boucher
Jill Biden a d’abord tenu à continuer à travailler comme enseignante en dépit des fonctions de son mari à la Maison-Blanche. Elle devient donc la première épouse de président à agir ainsi.
Indépendante
Dans son autobiographie intitulée Là d’où jaillit la lumière, version française de Where the light enters, publiée en 2019, soit avant la campagne électorale de 2020, Jill Biden affirme sa volonté de demeurer autonome et indépendante. « Un autre que Joe m’aurait poussée à renoncer à ma carrière, mais je ne pouvais me résoudre à être uniquement sa femme…J’avais des rêves et des ambitions, et loin de m’aimer en dépit de ce trait de caractère, Joe m’aimait précisément pour cette raison », écrit-elle.1
Elle ajoute, un peu plus loin dans ses mémoires, « Le métier d’enseignante est ma boussole personnelle, il m’entraîne invariablement dans la bonne direction.»2
Jill Biden raconte qu’elle a horrifié sa cheffe de cabinet, Cathy Russell, devenue une amie proche, quand, une fois Joe Biden élu président, elle a tenu à continuer à enseigner. « Lorsque je lui ai répondu que je ne serais jamais heureuse si je devais cesser d’enseigner, elle a voulu me convaincre de changer d’avis avant de comprendre que c’était inutile. »3
Malgré sa vie de famille et les fonctions de son mari qui a été successivement sénateur et vice-président avant de diriger le pays, Jill Biden, qui avait obtenu son baccalauréat en éducation peu de temps après l’avoir rencontré, a travaillé dur en étudiant le soir.
Elle a mis quinze ans à obtenir successivement une première maîtrise en éducation, une seconde en anglais, puis son doctorat en éducation. 4
« Le fait qu’elle soit professeur lui donne un côté didactique vraiment intéressant. Aux États-Unis, on l’appelle Dr Biden », précise Guy Lachapelle, professeur titulaire de sciences politiques à l’Université Concordia.
Il dit avoir été impressionné par l’engagement de Mme Biden pendant la campagne de 2020. « Elle a fait un travail important que les médias relatent un peu moins en général. Elle était énormément sur le terrain, en faisant le tour des écoles. »
« Elle ne cherche pas la lumière », souligne pour sa part Martine St-Victor, directrice générale du bureau de Montréal de la société de communications Edelman Canada, et férue de politique américaine.
Les deux spécialistes notent que l’enseignement ne constitue pas une potentielle source de conflits d’intérêts pour un conjoint ou une conjointe de personnalité politique comme la profession d’avocate. À ce titre, l’épouse de l’ancien président Barack Obama, Michelle, avocate de formation, a été contrainte d’arrêter de travailler pour cette raison.
« De voir Jill Biden qui continue de travailler, ça permet aux Américains de se dire : Voilà, ils sont comme nous. L’épouse veut travailler; elle travaille », relève Martine St-Victor.
« L’égalité, ce n’est pas une réalité aux États-Unis. Jill Biden montre que vous pouvez quand même continuer de travailler même si votre mari est vice-président ou président », enchaîne Guy Lachapelle.
L’éducation et la communauté
L’éducation constitue un facteur capital aux États-Unis « L’accès à l’éducation, c’est un droit fondamental et on l’applique dans tous les domaines. Ça fait l’affaire de Joe Biden que sa femme soit enseignante. C’est une relation d’égal à égal. Ce sont deux personnes intéressées par l’éducation et la vie publique », rapporte Guy Lachapelle.
« C’est un outil politique pour Joe Biden. Il parle souvent de l’importance de l’éducation. Il a l’appui des syndicats de professeurs et va citer souvent son épouse en exemple », observe Martine St-Victor .
Jill Biden enseigne, non pas dans les universités de prestige, mais dans les collègues communautaires, et ce, depuis plus de vingt-cinq ans. « Quand vous parlez de collège aux États-Unis, c’est toujours lié à une communauté locale, aux gens. Les Biden ont toujours voulu rester près de leur communauté. Joe Biden est un gars de terrain. Il a toujours été très proche des gens, et cela, les gens l’apprécient », explique Guy Lachapelle
Famille et famille reconstituée
Notons que Jill Biden est la seconde épouse du président. Il a d’abord épousé Neilia Hunter, qui lui a donné une fille, Naomi, et deux garçons, Beau et Hunter.
Le 18 décembre 1972, au Delaware, l’épouse de Joe Biden allait acheter le sapin de Noël avec ses trois enfants lorsque sa voiture a été percutée par un camion.
L’accident a tué sur le coup Mme Hunter et la petite Naomi, âgée d’un an. Il a blessé gravement les deux garçons, alors âgés de deux et trois ans. En plus de ses nouvelles fonctions de sénateur, Joe Biden se retrouvait subitement veuf avec deux bambins.
En 1975, Joe Biden a rencontré Jill Jacobs, qui se remettait d’un divorce douloureux. En le fréquentant puis en épousant le sénateur en 1977, elle est entrée dans ce qu’on appelle une famille reconstituée.
Dès lors, comme Jill Biden le précise dans ses mémoires, Beau et Hunter n’accepteront jamais qu’on appelle Jill leur belle-mère. Pour eux, elle est leur mère. « Elle a eu un travail de réconciliation à faire. C’est une rassembleuse », remarque Martine St-Victor.
Jill Biden a aussi décidé aussi d’avoir un enfant de Joe. Leur fille Ashley est née en 1981.
Mme St-Victor indique que chez les Biden, la famille prime. Les décisions importantes se prennent en famille. Elle signale que pour faire valoir son ou ses points dans ses discours, Joe Biden cite souvent une anecdote familiale.
En mai 2015, le fils aîné de Joe Biden, Beau, 46 ans, qui avait joint l’armée américaine dans la Garde nationale, et qui était de retour d’Irak, a succombé à un cancer du cerveau. Jill Biden avoue sans détour dans son autobiographie que la mort de son fils l’a brisée 5.
Beaucoup de deuils pour une même famille.
« Son mari et elle ont ce lien commun tissé de beaucoup d’empathie et de beaucoup d’authenticité », fait valoir Martine St-Victor. « Ils sont également très affectueux l’un envers l’autre. En public, ils se promènent souvent main dans la main. »
Un courant qui tranche radicalement, selon elle, avec l’ancien président Donald Trump et sa femme. « Je pense que Jill Biden rassure plusieurs Américains; Melania Trump ne rassurait pas. »
Septuagénaire active
Jill Biden est âgée de 72 ans et ne manque pas de dynamisme. « Très active, elle est au courant du contemporain, et près des générations de jeunes. Voilà un reflet des personnes de cet âge-là aujourd’hui. Pour moi, avoir 70 ans aujourd’hui, ce n’est pas comme avoir 70 ans il y a 20 ans », soutient Martine St-Victor.
Quatre engagements clés
Jill Biden s’est engagée dans la communauté dans quatre causes importantes à ses yeux.
De par son travail d’enseignante, elle insiste sur l’importance de l’éducation pour tous les Américains. Elle multiplie les discours sur ce thème et les visites dans les écoles.
De plus, la première dame a fondé et dirigé la Biden Breast Health Initiative dans les années 1990, après avoir vu plusieurs de ses amies et connaissances être affligées d’un cancer du sein. L’organisme vise la prévention en sensibilisant les adolescentes à reconnaître les premiers signes de problèmes mammaires.
En troisième lieu, à l’instar de Michelle Obama, Jill Biden a voulu venir en aide aux militaires et à leur famille. « Les Biden se sont considérés comme une famille militaire à cause de leur fils Beau. Il y avait beaucoup de travail à faire dans la gestion des familles militaires », révèle Martine St-Victor.
« Quand on s’engage dans l’armée américaine, on s’engage pour son pays et pour défendre la démocratie », résume Guy Lachapelle.
Jill Biden a d’abord été active au sein de la section du Delaware de Boots on the Ground, une association qui venait en aide aux familles de soldats partis au front, en leur offrant des services de soutien.6
Au printemps 2021, elle a mis de l’avant Joining Forces, un programme qui veut aller plus loin dans son aide à ces familles, et accroître leur accès à l’éducation, à l’emploi, aux services de santé, de même que pour aider les familles endeuillées.
Enfin, après la mort de leur fils aîné, Beau, Joe et Jill Biden se sont aussi engagés pour la recherche contre le cancer. En 2022, lors de la journée internationale contre le cancer, le couple présidentiel a relancé le programme de lutte contre cette maladie avec Cancer Moonshot, qui vise notamment un meilleur accès aux soins de santé pour les personnes atteintes.
Les prochaines élections
Les élections américaines de 2024 approchent à grands pas.
Selon Guy Lachapelle et Martine St-Victor, l’engagement de Jill Biden sera plus prononcé. « Il restera dans la continuité. Cela dépendra de la santé du président et de ses choix personnels », croit Guy Lachapelle. « Elle est présente, mais elle est discrète, car elle n’est pas une élue, et à mon avis, c’est une qualité », ajoute-t-il.
« Je pense que son rôle en coulisses sera d’autant plus important, et peut-être qu’on la verra davantage. Je crois que sa priorité consiste à être là pour son mari et à le protéger », affirme Martine St-Victor.
1-p. 127 Là d’où jaillit la lumière
2-idem, p. 135
3 idem, p. 135
4-idem, p. 39
5-idem, p. 151
6-idem, p. 175