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Capture d’écran
Javier Milei se décrit comme un « anarcho-capitaliste » et promet de couper dans les dépenses de l’État à la tronçonneuse.
Un an après l’euphorisante victoire de l’Albiceleste à la Coupe du Monde de soccer (football) au Qatar, les Argentins déchantent. Les élections de novembre dernier ont sacré l’économiste Javier Milei, autoproclamé anarcho-capitaliste, président de l’Argentine, fonction qu’il occupe désormais officiellement. Une victoire électorale à la fois étonnante, pour ce nouveau venu en politique, assortie d’une cuisante défaite pour le parti péroniste au pouvoir depuis quatre ans. Tentons une explication de cette victoire de l’ultra-droite et essayons de dégager quelques perspectives d’avenir pour ce pays meurtri.
Richard Massicotte
Vu de l’étranger il semble tout à fait normal et conséquent qu’un pays aux prises avec une inflation galopante de plus de 140 % par année et par un taux de pauvreté inégalé congédie un candidat de l’Union por la patria, actuelle incarnation péroniste dominante et qui était de plus ministre sortant de l’Économie. À peu près n’importe quel peuple le moindrement sensé l’aurait fait, n’est-ce pas?
Mais les choses étant ce qu’elles sont en Argentine, Milei n’allait pas s’en tirer aussi aisément. Du moins, c’est ce qu’on croyait. Et de fait, l’économiste libertarien antikeynésien par excellence n’a pas mené une très bonne campagne. Piètre débatteur, il a montré de nombreuses faiblesses et a réussi à escamoter de nombreux pans jugés extrémistes de son programme politique, surtout dans l’entre-deux-tours. Notamment, la fermeture de la banque centrale argentine et la dollarisation de l’économie.
En revanche, son adversaire le ministre de l’Économie sortant, Sergio Massa, en homme politique expérimenté a su montrer les faibles et les incertitudes du programme d’extrême-droite de Milei, démontrant à chaque occasion que l’économiste ne disait pas toute la vérité sur ses intentions. Fort d’une convaincante première place au premier tour, Massa pouvait miser sur une crainte de l’ultra-droite, dans le pays du Nunca Más (Jamais plus), référence au passé dictatorial récent de l’Argentine (1976-1983).
Mais c’était sans compter l’appui de l’ancien président Mauricio Macri et de sa candidate présidente Patricia Bullrich, ex-membre des Montoneros de son état, et ci-devant héraut de la droite conservatrice traditionnelle. Même si cet appui non équivoque au second tour a divisé la droite et son parti Juntos por el cambio (ensemble pour le changement), ses appuis du premier tour sont apparemment tous allés à Milei, qui l’emporte avec 55 % des voix contre 44 % pour Massa.
Un tel score pour les péronistes qui ont hérité d’une économie en crise et qui n’ont pas répondu aux attentes, même des péronistes, n’est en soi pas catastrophique, mais résultat des courses, Milei l’emporte largement. Massa ne s’y est pas trompé en reconnaissant d’emblée la victoire de cet hurluberlu novice en politique mais fort en gueule.
Le soir de sa défaite, le perdant avait d’ailleurs davantage des airs présidentiels que son opposant vainqueur qui a continué à marteler des propos typiques d’un candidat anti-état et scandant de nouveau « Viva la libertad, carajo ! », (vive la liberté, merde !).
Une défaite essentiellement causée par le piètre état de l’économie
Cela dit, ce vote en est surtout un de sanction, voire de révolte contre le pouvoir en place, davantage peut-être qu’un vote en faveur de Milei, dont le parti, La libertad avanza, est tout nouveau et ne forme que la troisième force politique du pays, loin derrière les péronistes. Les électeurs de Milei seraient plutôt des jeunes sans voix et sans droits, exclus de l’économie formelle, ainsi que des petits commerçants, d’une part, tandis que d’autre part la droite économique argentine et de vieux militaires ont aussi donné leur soutien à Milei.
Dans un pays où tout va mal, se venger des responsables va de soi. Mais jusqu’à la dernière minute les péronistes, les centristes et la plupart des intellectuels, ont cru possible d’éviter ce « danger pour la démocratie », comme le titrait Le Monde diplomatique, édition Cône sud.
À droite, mais aussi à gauche, on a longtemps reproché aux diverses incarnations du péronisme, que ça soit Nestor Kirchner, son épouse Cristina et leurs suivants de se croire les propriétaires du pays. Et de fait, l’Argentine moderne est en quelque sorte née de Juan Peron lui-même dans les années quarante. Mais miné par toutes sortes de scandales financiers et accablés par une dette astronomique à ses créanciers, il était facile de montrer du doigt le responsable : le péronisme et plus précisément de kirchnérisme.
D’aucuns diront que les péronistes ont créé l’extrême pauvreté actuelle, qui a elle-même engendré ce monstre-bouffon qu’est Milei. L’observateur Carlos Pagni estime dans le quotidien La Nación que Milei « apparaît comme un machiavéliste intelligent »
Que fera le nouveau président ?
Un peu partout dans le monde occidental, on a comparé Milei à Trump ou encore à Bolsonaro. Certes, les styles sont comparables, à peu de choses près que Milei paraît plutôt nerd et intello par rapport aux deux autres. Mais en Argentine on a aussi beaucoup comparé Milei à Carlos Menem, président péroniste de droite au pouvoir de 1989 à 1999. En privatisant à tout va et en créant une dollarisation qui ne disait pas son nom, c’est Menem qui a mené le pays à cette catastrophe qu’a été le corralito.
Lors de son assermentation comme président, le 10 décembre dernier, devant le Congrès mais non à l’intérieur, Milei a maintenu son discours vengeur et anti-caste – lire tout le mouvement péroniste et ses élu.e.s les plus illustres – et a promis ce pourquoi il dit avoir été élu, « mettre fin à la décadence » de l’Argentine. Il n’y aura pas de demi-mesures, et les compressions budgétaires seront au rendez-vous, assure-t-il.
Dans une vidéo qui a fait le tour du monde, Milei promettait d’éliminer plusieurs ministères : éducation, culture, environnement et santé. Mais l’Argentine n’est pas les États-Unis ni le Brésil. En effet, environ 51% des Argentins bénéficient d’aides diverses de l’État, pour les retraites et autres subsides. Car si les péronistes ont toujours maintenu un certain clientélisme, favorisant de nos jours une classe moyenne confortable, l’aide gouvernementale était bien présente.
Que pourra donc faire Milei ? Certes le quotidien Clarín titrait « la colère du présent a vaincu la peur de l’avenir ». Mais au-delà des « beaux » discours de « liberté » et de libre marché salvateur, il semble exclu à court et moyen terme qu’il puisse fermer la banque centrale argentine ni mener le pays à la dollarisation. Le FMI auquel l’Argentine doit plus de 40 milliards de dollars américains a averti Milei que son plan doit avoir de forts appuis et qu’une banque centrale forte est nécessaire pour mater l’inflation.
De plus, contrairement aux pays dirigés par Trump ou Bolsonaro – mais plus proche culturellement de l’Italie – Milei devra affronter les mouvements sociaux et syndicaux très puissants en Argentine. Durant ces différents séjours au pouvoir, le péronisme a en effet favorisé un haut taux de syndicalisation. Et déjà on entend les leaders de la CGT, notamment, appeler à la rue, une semaine après l’arrivée au pouvoir du nouveau président. Une confrontation à moyen terme semble inévitable, surtout que Milei a promis de punir les « coupables » de barrages routiers, mode de contestation typique de l’Argentine.
Milei devra tenir ses promesses, mais comment ? Il a réitéré « il n’y a plus d’argent … les compressions et le choc (économique) est inévitable ». Il parle de compressions ordonnées, mais dans un pays aussi bordélique, comment fera-t-il ?
« La fin du populisme », dixit Milei
On aurait pu dire que la victoire de Milei est celle d’un certain populisme d’extrême-droite. Mais c’est surtout la défaite d’un populisme de centre-gauche, celui des péronistes sous les Kirchner, mari et femme. Mais du balcon de la Casa rosada, siège du gouvernement, Milei a « annoncé » le jour de son assermentation avoir décrété rien de moins que la fin du populisme, entendre le péronisme.
Mais c’est sans doute mal connaître ce mouvement tentaculaire de l’histoire argentine, qui n’en finit pas de rebondir. Car jusqu’ici, dans l’histoire récente, les gouvernements passent et le péronisme et ses nombreuses incarnations demeure. Quant au populisme né de la cuisse de Milei, il n’arrive pour l’instant pas à la cheville du péronisme, qui soufflera bientôt ses quatre-vingts bougies et qui ne manque pas de ressources.
Premiers résultats sans équivoques pour Javier Milei, tel qu’annoncé
par la TVPublica que Milei veut fermer ! (photo prise d’écran, TV Publica argentina)