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Capture d’écran
Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien.
Beaucoup d’observateurs craignaient qu’une fois élue, Giorgia Meloni n’adopte une ligne dure dans sa gestion du pays. Après un peu plus d’an au pouvoir, la première femme à diriger l’Italie, à la tête du gouvernement le plus à droite depuis la Seconde guerre mondiale, a plutôt opté pour la modération, dans un contexte difficile.
Marie-Josée Boucher
Depuis son élection, le 25 septembre 2022, la dirigeante italienne a déjoué les pronostics, autant par stratégie politique que pour polir son image à l’international.
« Il y a beaucoup de consensus envers la Meloni. Il faut dire que la gauche a beaucoup déçu dans le passé, car elle a été un peu vue comme un système qui ne change jamais », affirme Giovanni Princigalli, cinéaste et historien montréalais. Détenteur d’une maîtrise en science politique de l’université Bari Aldo Moro à Rome et d’une maîtrise en études cinématographiques de l’Université de Montréal, il avoue être de gauche.
« Ça a été un gouvernement qui a pris, sur à peu près tous les sujets, des positions plus modérées que ce que à quoi on s’attendait ou ce que lui-même annonçait », soutient pour sa part Jean-Guy Prévost, professeur au département de science politique à l’UQAM.
Âgée de 46 ans, Giorgia Meloni est à la tête d’une coalition formée d’abord de son propre parti, Fratelli d’Italia. Elle compte également la Ligue, dirigée par le bouillant Matteo Salvini, et Forza Italia, la formation de l’ex-dirigeant Silvio Berlusconi, remplacé à son décès, en juin dernier, par l’actuel ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani.
Forte de 30 ans d’expérience politique, Giorgia Meloni a su mater, du moins jusqu’à présent, les positions parfois contradictoires, surtout du leader de la Ligue, qui est aussi vice-président du conseil des ministres.
« Il y a trois ou quatre ans, la Ligue était le premier parti en Italie aux élections européennes. Il a été très raciste envers les Italiens du sud. Matteo Salvini a arrêté cela et a fait un discours nationaliste. Par contre, il est très fanfaron et n’a pas vraiment le sens de l’État et du gouvernement », estime Giovanni Princigalli.
Rappelons que lors des élections de septembre 2022, Giorgia Meloni et sa formation, Fratelli d’Italia, ont recueilli 26 % des suffrages, loin devant La Ligue qui a amassé un mince 8,77 % et Forza Italia, qui a affiché 8,11 % des suffrages.
Politique étrangère
En matière de politique étrangère, Giorgia Meloni a voulu tirer son épingle du jeu. « Elle est nationaliste de culture parce que l’Italie n’est pas toujours considérée, à l’international, comme un pays de première classe. Du point de vue officiel, elle essaie de donner une image de gouvernement fiable pour rassurer les États-Unis et la France », explique Giovanni Princigalli.
Par exemple, elle s’est montrée en faveur de l’Ukraine, en dépit des positions de ses alliés de la coalition. « Elle a pris tout de suite une position pro-atlantiste, alignée sur les États-Unis. Je pense qu’elle avait besoin de légitimité externe. Cette légitimité vient des États-Unis. En ce qui a trait à l’Europe, elle est en continuation de la position du gouvernement précédent, celui qui était dirigé par Mario Draghi, très pro-européen », considère Jean-Guy Prévost.
Elle a donc fait fi des positions de Silvio Berlusconi, qui appelait, dit-il, Vladimir Poutine son ami, et de Matteo Salvini, un des partis le plus pro-Poutine en Europe.
Sur la question Israël-Hamas, M. Prévost signale que Giorgia Meloni a également pris une position plus tranchée, pro-américaine. « Je pense que toute ambiguïté qu’elle aurait sur le soutien à Israël, on lui imputerait de l’antisémitisme. Elle a un langage autonomiste, mais sur le fond, il n’y a pas de rupture du tout avec les gouvernements précédents. »
L’immigration
L’immigration constitue un dossier pour le moins épineux, dans un contexte mondial tumultueux. « Le thème de l’immigration, du patriotisme et du nationalisme, jouent beaucoup en faveur de la Meloni », juge Giovanni Princigalli.
« L’immigration, c’est un dossier très complexe. Tout ce qu’on essaie de mettre en place pour la limiter n’arrive pas à la contenir. L’immigration irrégulière est un problème mondial. Aucun gouvernement n’arrive à maîtriser cela », argue Jean-Guy Prévost.
Selon Euronews, le nombre de migrants qui ont débarqué sur les côtes italiennes a doublé de 2022 à 2023, passant de 70 000 à plus de 140 000.
« En partie, il y en a beaucoup qui restent. Les migrants montent vers le nord, car la demande du marché du travail est dans la moitié nord du pays », souligne Jean-Guy Prévost. »
Il faut compter également les organisations non gouvernementales (ONG) qui aident des migrants à débarquer en Italie. « S’il y a un bateau en mer en difficulté, le pays le plus proche qui reçoit un S.O.S. a le devoir d’intervenir. Les passagers de ce bateau ont aussi le droit de demander le statut de réfugié. Il y a des lois italiennes, des normes européennes et le droit international », rappelle Giovanni Princigalli
Le soutien aux familles
En campagne électorale, Giorgia Meloni défendait la famille traditionnelle et voulait augmenter le taux de natalité. La première ministre, pourtant elle-même mère d’un seul enfant, une fille, visait à favoriser deux enfants par famille.
« Elle a voulu faire plaisir à la frange plus conservatrice au pays. Ce n’est pas une frange fasciste, c’est l’électorat catholique conservateur qui est visé par ce genre de mesures-là, mais remonter le taux de natalité est un objectif utopique », observe Jean-Guy Prévost.
« Ça fait partie de la culture économique de la droite : on aide la famille traditionnelle à faire plus d’enfants pour éviter d’avoir besoin d’immigrants », avance Giovanni Princigalli.
Giorgia Meloni a aussi soutenu financièrement les familles et les entreprises, un équilibre inégal selon le cinéaste. « Les artisans et les entrepreneurs ont plus reçu que les familles. Selon les syndicats, les familles sont en train de perdre de l’argent », rapporte-t-il.
Projet de réforme constitutionnelle
En octobre dernier, Giorgia Meloni a annoncé vouloir réformer la constitution afin que le premier ministre soit élu au suffrage universel plutôt que nommé par le président de la République, poste occupé actuellement par Sergio Mattarella.
« Je ne suis pas certain que cette réforme va donner plus de stabilité à l’Italie », croit Giovanni Princigalli.
Jean-Guy Prévost relève la volonté politique derrière cette demande de la première ministre italienne. « Ça fait longtemps qu’on parle de renforcer la position de président du conseil. On rend plus difficile un changement de gouvernement qui ne résulte pas d’une élection, mais d’un réalignement des forces au parlement, ce qui est survenu très régulièrement. On souhaite que ce soient les électeurs qui désignent éventuellement qui est au pouvoir, et non pas des états-majors de partis qui font des compromis entre eux », expose le professeur. « À l’élection de 2022, c’est l’électorat qui a désigné Mme Meloni parce que sa coalition était plus forte que les autres coalitions. »
Selon lui, la dirigeante italienne ne recueillera pas les deux tiers de la majorité avec ce projet de réforme. « Dans ce cas-là, on demandera un référendum sur la question. Les opposants vont signer pour l’avoir. »
Une démarche qui peut être risquée, selon le professeur. « Le taux de participation va jouer. Une tactique des tenants du NON, c’est d’inciter les gens à ne pas aller voter, et ce que je crains, c’est qu’on agite le spectre de la dictature, ce qui scellera le sort du projet. On l’a fait dans le cas de Matteo Renzi. »
En effet, un projet semblable de réforme constitutionnelle avait été proposé par le chef du gouvernement, Matteo Renzi, au milieu des années 2000. Au pouvoir depuis 2014, l’ancien maire de Florence était à la tête du parti démocrate, un parti de centre-gauche. Sa proposition a été défaite, et Matteo Renzi a démissionné en décembre 2016.
L’avenir de Giorgia Meloni
Giovanni Princigalli et Jean-Guy Prévost prédisent tous deux que la coalition de droite, et Giorgia Meloni, resteront longtemps au pouvoir, pour des raisons qui sont favorables à cette dernière.
Selon Giovanni Princigalli, la déconfiture de la gauche constitue un atout dans son jeu. « Elle fait face à une opposition divisée. Le mouvement 5 Étoiles (Cinque Stelle), qui a un peu d’essor, ne fait partie d’aucune tradition ou famille politique. Et on ne sait pas ce que veulent les deux ou trois petits partis de centre et de centre-gauche.»
Du côté de la droite, la première ministre brille encore, selon lui. « Matteo Salvini a complètement échoué et Silvio Berlusconi est mort. Même dans le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, il n’y a pas d’autre personnalité qui mette son poste en péril. Elle est plus capable que Berlusconi et Salvini. Je ne vois pas sous quel enjeu la gauche pourrait s’imposer, à moins qu’il y ait un scandale touchant la Meloni. »
« Ce qu’on voit dans les sondages, c’est qu’à un an de distance, ni elle et la coalition n’ont perdu d’appuis. Sa position dans la coalition est sans doute un peu plus forte en raison du décès de Berlusconi », évalue Jean-Guy Prévost. « J’ai l’impression que la coalition de droite va tenir pour un assez long mandat », conclut-il.
Excellent texte sur Giorgia Meloni, un personnage dont on a peu entendu parler cette année, éclipsé par les grands conflits Ukraine/Russie et Israël/ Gaza. Sa nomination laissait prévoir un virage à droite radical mais il est fascinant de constater comment la réalité politique internationale peut influencer et changer l’orientation d’un programme électoral. C’est à suivre… Merci pour cet article !