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La grandiloquence sécurisée des Jeux d’hiver de Pékin illustre tous les chemins parcourus par la République populaire de Chine depuis son entrée au sein de l’Organisation mondiale du commerce, le 11 décembre 2001. Plutôt passé sous silence si on le compare aux commémorations du 11 septembre, cet événement, avalisé par Washington et Bruxelles, marque pourtant jusqu’ici le XXIe siècle davantage que les attentats terroristes qui ont traumatisé les États-Unis, tant sur les plans économique que politique.
Rudy Le Cours
C’est sous l’impulsion de Deng Xiaoping que la Chine amorce sa libéralisation économique, à la fin des années 1970. L’accueil occidental est si chaleureux que l’Empire du Milieu obtient de Londres et de Lisbonne la rétrocession de Hong Kong et de Macao, une vingtaine d’années plus tard.
Le pari de l’Occident est à la fois intéressé et naïf. D’une part, parmi les détenteurs de capitaux, on salive devant les perspectives d’accès à un bassin de plus d’un milliard de consommateurs et de bas salariés. D’autre part, on ose croire ou faire croire que les bienfaits de l’économie capitaliste stimuleront l’appétit pour de plus grandes libertés démocratiques. La brutale répression des manifestants de la Place Tian’Anmen en 1989 n’aura pas ébranlé la foi du charbonnier des décideurs économiques et politiques occidentaux.
Tout au long des années 1990, la Chine multiplie les appels de capitaux. On se bouscule au portillon. C’est la période où les dirigeants politiques organisent des missions économiques aux côtés de centaines de gens d’affaires. Rappelons-nous de Team Canada, en 1994, ou de Mission Québec, en 1997.
En pleine expansion
Tout ça va culminer avec l’entrée de la Chine à l’OMC, en 2001. S’ensuivent d’innombrables délocalisations et de contrats d’impartition. Les grandes entreprises n’ont alors qu’une commande à leurs fournisseurs: Give us the China price (Faites-nous le prix des Chinois).
Les fermetures d’usines et de manufactures se multiplient, nombre de sous-traitants disparaissent en Occident. La Chine, elle, est en pleine expansion, mais encore loin de la superpuissance économique et militaire qu’elle incarne désormais.
Durant la première décennie du millénaire, la croissance annuelle de son économie dépasse souvent les 10 %. On assiste à la naissance d’une caste de milliardaires, mais surtout à un gonflement de la classe moyenne chinoise. Cette cohorte enfle d’environ 35 millions de personnes par année, soit en gros l’équivalent de la population entière du Canada.
En 2001, la valeur des biens et services produits (le produit intérieur brut ou PIB) en Chine est estimé à 1339 milliards (tous les chiffres sont exprimés en dollars américains), celle des États-Unis, première économie du monde, à 10 580 milliards et celle du Japon, deuxième économie mondiale, à 4304 milliards, selon les données de la Banque mondiale.
En 2020, dernière année de données disponibles, la valeur de ces trois économies est passée respectivement à 14 720 , 21 400 et 5075 milliards. Autrement dit, tandis que la taille de l’économie américaine doublait, celle de la Chine est devenue 11 fois plus grande alors que celle du Japon a augmenté de 20 % seulement.
Vingt ans après son entrée dans l’OMC, la Chine est désormais le premier exportateur mondial, devant l’Allemagne, et le premier fournisseur des États-Unis, éclipsant le Canada.
La Chine est devenue l’usine du monde. On lui confie la fabrication de textiles, d’outils, d’articles en tout en genre, mais aussi des produits à haute valeur ajoutée, tels des ordinateurs, des machines-outils et autres systèmes de télécommunications. Elle est aussi le deuxième marchand d’armes au monde, selon le SIPRI.
Paupérisation
La montée de la Chine en puissance a été avant tout perçue en Occident comme un moyen de faire baisser les prix des biens pour la classe moyenne et d’enrichir les entreprises qui font affaire avec elle. Cela a d’abord entraîné une augmentation du pouvoir d’achat, certes, mais progressivement aussi, la paupérisation de pans de la classe moyenne.
Des cols bleus se sont par exemple retrouvés gardiens de sécurité. Dirigeants et intellectuels sont pour la plupart restés sourds à leurs récriminations. D’où le ras-le-bol, le scepticisme actuel envers les partis politiques traditionnels et la montée de courants d’extrême droite, au grand plaisir des États qui méprisent la démocratie libérale, la Chine au premier plan.
Aujourd’hui, toute velléité démocratique est impitoyablement réprimée en Chine tandis que le terrorisme devient de plus en plus une menace à la vie démocratique américaine (et canadienne). Ce ne sont plus les penseurs des attentats du 11 décembre, ni les courants terroristes engendrés par la désastreuse invasion de l’Irak comme Daech qui incarnent le plus grand risque. Ce sont les Proud Boys et autres Oath Keepers qui recrutent parmi les laissés pour compte de la mondialisation néolibérale qui renforce la Chine et gave le grand capital.
La Chine défie de plus en plus l’Occident sur l’échiquier mondial. En 2020, elle a conquis le premier rang au chapitre des investissements directs à l’étranger (IDE). À hauteur de 133 milliards de dollars, elle a coiffé le Japon (116 milliards) et les États-Unis à 93 milliards, selon les chiffres de la la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Les IDE du Canada s’élèvent à 49 milliards.
Elle bénéficie aussi toujours d’un afflux de capitaux étrangers, à hauteur de 149 milliards, en 2020.
Sur tous les fronts
La Chine représente déjà 13 % du commerce mondial. Elle prend pied un peu partout en multipliant les accords commerciaux. Fin 2020, en pleine pandémie, la Chine est parvenue à conclure avec 14 autres pays de la zone Asie-Pacifique, le plus vaste traité de libre-échange.
La zone commerciale du Partenariat économique régional et global équivaut à 30% du PIB mondial. Ce marché fait contrepoids à l’Accord de partenariat trans-Pacifique global et progressiste dont fait partie le Canada. Si le Japon, l’Australie et le Viêt-Nam sont signataires des deux traités, les États-Unis y brillent par leur absence.
La Chine achète des terres et des infrastructures stratégiques en Asie, en Afrique et même en Europe, comme le port du Pirée que la Grèce a été forcée de privatiser par ses partenaires de la zone euro pour alléger sa dette.
Le chantier de la nouvelle route de la soie, cher au président à vie Xi Jingping, avance rondement. Pour le faire progresser, les Chinois ont leurs apôtres dans les grands pays occidentaux, comme les anciens premiers français Jean-Pierre Raffarin, britannique David Cameron ou canadien Jean Chrétien. Ces jours-ci, ils peuvent aussi compter sur la complicité du président du CIO, l’Allemand Thomas Bach.
Leur mission officieuse consiste à engourdir les élites politiques, tandis que la Chine déploie sa puissance économique et sa zone d’influence.
Célébrer les médaillés olympiques et tous les participants aux Jeux, c’est, hélas, aussi cautionner un régime qui n’a de cesse de mépriser et de miner notre vie démocratique fragilisée.