À propos de l'auteur : Daniel Raunet

Catégories : International

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Christian Tiffet

Daniel Raunet

Dans le climat manichéen actuel, peu de médias ont rappelé que, jusqu’à l’éclatement de la guerre le 7 octobre dernier, le gouvernement israélien soutenait indirectement le régime du Hamas à Gaza via l’émirat du Qatar.

Depuis son premier mandat il y a treize ans, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a toujours parié qu’en permettant un minimum d’approvisionnement et de financement en sous-main, les islamistes ne compromettraient jamais cette manne et s’abstiendraient d’initiatives qui bloqueraient l’amélioration des conditions économiques des Gazaouis.

Le Qatar, poumon financier du Hamas

Jusqu’à ce mois-ci, Israël acceptait discrètement que le Qatar verse au Hamas 30 millions de dollars américains chaque mois pour payer les fonctionnaires de Gaza et les militants de son organisation. Y compris ses milices armées. Le tout livré … dans des valises ! Ces sommes servaient aussi à verser mensuellement 100 $ aux familles les plus démunies de l’enclave et à payer la facture du carburant que les Israéliens laissaient franchir la frontière pour alimenter l’unique centrale électrique du territoire [1].

Nétanyahou s’est expliqué de cette politique lors d’une réunion interne du Likoud en 2019. Plusieurs médias israéliens ont rapporté qu’il aurait déclaré que « ceux qui s’opposent à un État palestinien devraient appuyer le transfert de fonds vers Gaza parce que maintenir la séparation entre l’Autorité palestinienne sur la Rive Ouest (du Jourdain) et le Hamas à Gaza empêcherait la constitution d’un État palestinien » [2].

L’origine des milices armées — Gaza sous Nasser

Après la « Nakba » (catastrophe en arabe), la défaite des armées arabes en 1948 lors de la création de l’État d’Israël, l’État palestinien voulu par les Nations Unies n’a jamais pris forme et ce qui en restait a été coupé en deux : la Cisjordanie et Jérusalem-Est sous administration jordanienne et la bande de Gaza sous tutelle de l’Égypte de Gamal Abdel Nasser (sauf pendant quelques semaines d’occupation israélienne lors de la guerre de Suez en 1956).

Nasser n’a jamais voulu d’un embryon d’État palestinien. Il réprimait tous les mouvements qui s’opposaient à sa vision laïque d’une union de tous les Arabes en un seul État, le sien : les fedayin palestiniens du Fatah de Yasser Arafat, qui cherchaient par leurs premiers attentats en Israël à entraîner les pays arabes dans un nouveau conflit, et les Frères musulmans qui, par leur idéal d’une théocratie islamique, menaçaient le régime nassérien. Seuls étaient tolérés des groupes armés inféodés aux Égyptiens, dont une Armée de libération de la Palestine, branche armée de l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine, créée en 1964 par un Palestinien nassérien Ahmed Choukairy.

1967 — Première ouverture des Israéliens aux islamistes

La guerre des Six Jours de 1967 voit une nouvelle déroute des pays arabes ligués contre Israël, qui s’empare pour de bon de la bande de Gaza. Jérusalem abolit immédiatement les mesures de Nasser contre les Frères musulmans, désormais autorisés à proliférer à Gaza et à implanter une multitude d’organisations charitables, écoles, dispensaires et, en 1976, une Université islamique.

Même si les wahhabites d’Arabie saoudite n’aiment pas la concurrence des « Frères » dans la sphère islamiste, ce sont les pétrodollars de Ryad qui sont leur principale source de financement à l’époque. Avec l’appui de la CIA qui voit en eux un rempart contre le communisme.

Tandis que les Frères musulmans se tiennent loin de la lutte armée, d’autres groupes commencent à organiser des attentats contre les Israéliens, dont le Fatah de Yasser Arafat, une des composantes de l’OLP.

Dès 1969, c’est ce parti qui prend le contrôle des instances de l’OLP. Le cycle des attentats palestiniens et des vagues de répression israélienne se met en place pour ne plus jamais s’interrompre.

L’écrasement des fedayin en Jordanie lors de la reprise en main de son royaume par le roi Hussein (Septembre Noir, 1970) se traduit à Gaza par des défaites en série de combattants de l’OLP.

Les Frères musulmans de Gaza se rattachent à la branche jordanienne de leur organisation et renforcent ainsi leur réputation de respectabilité auprès des autorités d’occupation du territoire. Et quand cheikh Ahmed Yassine, le chef spirituel local des « Frères », inaugure une nouvelle mosquée islamiste dans son quartier en 1973, c’est avec le gouverneur israélien de Gaza à ses côtés !

« Le Hamas, à mon grand regret, est une création d’Israël », déclarera en 2009 au Wall Street Journal un observateur privilégié de cette période de tolérance mutuelle. Avner Cohen, un juif d’origine tunisienne, a été pendant plus de vingt ans responsable des questions religieuses pour l’administration israélienne à Gaza, des fonctions qui l’amenaient à rencontrer régulièrement cheikh Yassine. [3]

La rupture du front commun des pays arabes contre Israël

Jusqu’à son assassinat par les Israéliens en 2004, cheikh Yassine s’est toujours opposé à la participation de son mouvement à la politique palestinienne. Les Frères musulmans restent donc sur leurs positions quiétistes lors de la Guerre du Kippour de 1973, puis lors des bouleversements de 1979.

Le 26 mars 1979, la signature d’un traité de paix à Camp David entre le président égyptien Anouar Sadate et le premier ministre israélien Menahem Begin ramène les Égyptiens à la frontière sud de la bande de Gaza.

Le Caire a lâché les Palestiniens en échange de sa récupération du Sinaï. À Gaza, le gouverneur israélien joue encore la carte des Frères musulmans pour tenter de contrecarrer les manifestations de colère des Palestiniens contre les accords de Camp David.

En 1983, Israël envahit le Liban jusqu’à Beyrouth et les fedayin de Yasser Arafat prennent le chemin de l’exil vers la Tunisie. À Gaza, les Frères musulmans restent prudemment sur la touche.

Un de leurs anciens membres, Fathi Chikaki, inspiré par la révolution islamique en Iran, forme alors une organisation rivale, le Jihad islamique, pour mettre la question nationale palestinienne et la lutte armée contre Israël au centre du mouvement islamique.

Le virage du Cheikh Yassine et la fondation du Hamas (1987) 

Début décembre 1987 un soulèvement général éclate à Gaza, puis se propage en Cisjordanie. Il va durer six ans. C’est la guerre des pierres, la première Intifada. Le 14 décembre, à la demande expresse de cheikh Yassine, les Frères musulmans de Gaza acceptent de faire un virage nationaliste et lancent un appel au jihad contre Israël. Les Frères fondent le Mouvement de résistance islamique, acronyme Hamas en arabe.

Commence alors un processus d’érosion de la légitimité de l’OLP en matière de nationalisme. Le 13 décembre 1988, Yasser Arafat reconnaît à la tribune de l’ONU le droit à l’existence d’Israël et réduit le territoire d’un éventuel État palestinien à la Cisjordanie et à Gaza.

Le Hamas rejoint le « front du refus », le camp de ceux qui réclament la destruction de l’État hébreu. Ces événements amènent le Hamas à se doter d’une branche armée, les Brigades Izz al-Din al-Kassam, et à s’engager lui aussi dans la spirale des attentats et des représailles.

Les deux Palestine rivales, Gaza et la Cisjordanie

En septembre 1993, lors de la conclusion des accords d’Oslo, Israël reconnaît officiellement l’OLP et permet à Yasser Arafat de retourner dans son pays natal en tant que chef de ce qui va devenir deux ans plus tard l’Autorité palestinienne.

En échange, Israël démantèle ses colonies dans la bande de Gaza et se retire totalement du territoire. Arafat est accueilli en héros à Gaza, où il s’installe, avant de déménager à Jéricho, puis à Ramallah où il finira, en 2004, virtuellement prisonnier des Israéliens.

À Gaza, Arafat gouverne en chef de clan. Il installe ses fidèles dans tous les rouages de l’administration et des forces de sécurité qui collaborent avec les Israéliens dans la traque aux militants du Hamas et du Jihad islamique.

Les Gazaouis, qui ne voient aucune amélioration réelle de leur sort matériel et que le copinage et la corruption irritent au plus haut point, finissent en quelques années par se détacher de l’administration palestinienne. Lors des premières élections législatives palestiniennes du 25 janvier 2006, saluées comme relativement libres par la communauté internationale, le Hamas obtient 74 des 132 sièges.

Du côté israélien et américain, c’est la consternation. Les Israéliens ne permettent pas aux élus de Gaza de se rendre en Cisjordanie et ils en jettent plusieurs en prison. À Gaza, le Fatah et le Hamas se livrent à une véritable guerre civile. En juin 2007, les islamistes remportent les combats et mettent en déroute les forces du Fatah.

Il y a désormais deux Palestine, Gaza et les territoires occupés de Cisjordanie. Une situation qui n’est pas pour déplaire au gouvernement israélien, qui n’a jamais voulu d’un véritable leadership palestinien incontestable.

Le chemin de Damas du Hamas

Aujourd’hui le Hamas est loin d’être isolé sur l’échiquier mondial. Bien qu’il soit d’idéologie salafiste sunnite alors que le Hezbollah libanais est d’obédience chi’ite duodécimaine, comme l’Iran, les deux groupes armés sont alliés dans le conflit actuel. Le Hamas est ainsi connecté à un axe géostratégique qui va de Téhéran au Sud-Liban en passant par Damas.

Pour sa part le pouvoir syrien a une longue tradition de liens avec les divers mouvements de résistance palestiniens, des relations en dents de scie selon la conjoncture.

Lors de la vague des Printemps arabes, les représentants du Hamas en Syrie avaient pris parti pour les révoltés. En 2012, les troupes du dictateur syrien Bachar el-Assad et les militants du Hamas s’étaient battus farouchement pour le contrôle de l’immense camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk. Le régime avait gagné la bataille. Les leaders exilés en Syrie avaient alors quitté Damas pour Doha, au Qatar.

Ce déménagement était conforme aux positions internationales des Frères musulmans qui n’ont jamais oublié que le régime syrien avait massacré ses membres dans la ville de Hama en 1982.

À Gaza toutefois, les Brigades Ezz al-Din al-Qassam n’ont pas apprécié ce départ qui les privait d’une bonne partie du soutien financier et militaire de l’Iran. En 2017 les relations entre Téhéran, Damas, le Hezbollah et Gaza sont retournées au beau fixe à la suite d’une victoire du point de vue des Brigades au sein du Hamas.

Les leaders exilés du Hamas ne sont pas restés longtemps à Doha, ils ont dû se replier sur Beyrouth en 2020, le Qatar voulant, en plein conflit avec ses voisins d’Arabie saoudite et des émirats du Golfe, se dédouaner d’accusations de complicité avec des « terroristes ». Le Qatar demeure toutefois un appui important du Hamas, qu’il n’a jamais cessé de financer.

[1] Pascal Brunel,  » Pour Nétanyahou, la carte économique n’a pas suffi à amadouer le Hamas », Les Échos, Paris, 14 octobre 2023.

[2] Tal Schneider,  » For years, Netanyahu propped up Hamas. Now it’s blown up in our faces », The Times of Israel, 8 octobre 2023, Jérusalem.  https://www.timesofisrael.com/for-years-netanyahu-propped-up-hamas-now-its-blown-up-in-our-faces/

[3] Andrew Higgins, « How Israel helped spawn Hamas », Wall Street Journal, 26 septembre 2009, New York.

Vivian Silver, martyre de la paix (1949-2023)

Nous avons appris avec une grande tristesse la mort de Vivian Silver, une activiste humanitaire et pacifiste, victime du massacre commis par des terroristes affiliés au groupe islamiste Hamas le 7 octobre dernier.

Mme Silver, une native de Winnipeg, a émigré en Israël en 1974. Dès cette époque, elle s’est impliquée dans des groupes progressistes. En déménageant dans le kibboutz de Be’eri, tout près de la bande de Gaza, en 1990, elle s’est particulièrement intéressée au sort des Bédouins vivant en Israël et des habitants du territoire palestinien. En Retrait s’est entretenu avec Mme Silver par zoom en mars dernier. 

Son décès a été confirmé le 13 novembre. Pendant plusieurs semaines, on avait cru qu’elle faisait partie des otages retenus dans la bande de Gaza.

Claude Lévesque

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