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Rudy Le Cours
Qu’il soit de gauche ou droite, le populisme économique se permet de manger à tous les râteliers. Il sera tantôt libre-échangiste ou protectionniste, optera pour une privatisation ou une nationalisation, pour une hausse ou une baisse des impôts ou des taxes.
Il n’existe pas à proprement parler de théorie économique populiste, comme on peut parler d’une doctrine conservatrice qui s’appuie avant tout sur le libre marché; libérale, qui y ajoute un filet social; ou social-démocrate, qui préconise une économie mixte où l’État intervient et détient même quelques moyens de production, comme Hydro-Québec, ou de distribution (SAQ et SQDC) jugés stratégiques, tout en laissant à l’entreprise privée beaucoup d’espace pour se déployer.
Le populisme économique se veut avant tout opportuniste. Il emprunte des voies souvent opposées, selon l’air du temps ou la population à qui la classe politique s’adresse. « Il s’agit d’un terme au caractère extrêmement extensible », résume en entrevue Jean-Guy Prévost, professeur titulaire de science politique à l’UQAM.
Il souligne que le populisme se distingue d’autres formes de démagogie en ce qu’il vise en principe la population en général, quitte à en attaquer les élites parfois. Il se distingue ainsi du clientélisme. Autrement dit, l’engagement caquiste pour un troisième lien routier en bi-tunnel entre Québec et Lévis sans étude justificative n’est pas une promesse populiste, mais dogmatique et démagogique afin de plaire à un électorat précis.
Des exemples de populisme
En revanche, suspendre l’application de la taxe provinciale de vente sur plusieurs biens et services était bel et bien un engagement populiste pris par Québec solidaire. Il s’agissait d’une réponse simple, voire simpliste, à un problème complexe : l’érosion du pouvoir d’achat par une inflation galopante.
En plus, cette proposition était mal circonscrite.
Ainsi, quelques happy few auraient pu jouir de la mesure, en allant fêter au Toqué ! l’achat de leur Alfa Roméo Giulia qui n’émet que 205 g de CO2 par kilomètre, selon Ressources naturelles Canada (1), soit cinq de moins que le seuil fixé par le parti de gauche pour que s’applique sa surtaxe sur les véhicules énergivores.
Le menu de ce resto gastronomique offre le midi une table d’hôte qui varie de 40$ à 60$ avant TPS et service. Le soir, c’est plus cher, comme de raison. Quant au bolide italien, il se détaille à au moins 60 000$ avant TPS et options (2).
QS annonçait une mesure qui visait à alléger la classe moyenne ! Le parti ne semble pas avoir compris non plus que les aliments achetés au supermarché ou au dépanneur ne sont pas taxés, même si c’est à l’épicerie que l’inflation mord le plus férocement dans le portefeuille des gagne-petit et de la vraie classe moyenne depuis un an.
On comprend néanmoins la démarche qui a présidé à pareil engagement, si mal formulé soit-il. Selon l’Observatoire québécois des inégalités, c’est au Québec que le poids de la classe moyenne est le plus élevé au Canada: 52,2 %, contre 42,8 % seulement en Ontario, en 1998. (3)
Des baisses d’impôt régressives
La CAQ et le Parti libéral n’étaient pas en reste lorsqu’ils ont proposé des baisses de taux sur les deux premiers paliers de la table d’imposition. Pareilles mesures profitent pourtant avant tout à ceux et celles dont le revenu excède les deux premiers taux puisqu’ils en profitent au maximum.
En prenant les tables d’imposition pour l’année 2022, tout contribuable dont le revenu imposable s’établit tout juste en bas du deuxième échelon du taux d’imposition de 46 245 $ épargne 463 $ avec la proposition caquiste et 634 $ avec la libérale. Si le revenu imposable est tout juste en bas du troisième échelon, l’économie d’impôt grimpe à 925 $ avec la première et à 1389 $ avec la seconde (4).
Comme le revenu imposable est calculé après déductions et contributions au Régime des rentes et aux assurances parentale et chômage, seuls les contribuables gagnant plus de 100 000 $ pourraient profiter pleinement de telles propositions.
La proposition du Parti conservateur aurait remis encore davantage d’argent dans les poches des plus riches. Ils auraient sans doute ainsi pu se faire soigner plus vite encore dans le secteur privé.
Ces mesures, à première vue alléchantes et typiquement populistes, sont en fait régressives puisqu’elles redistribuent davantage aux plus nantis.
Face à l’inflation présente, elles ne répondent pas non plus au défi à court terme des ménages posé par l’inflation puisque leur entrée en vigueur était prévue pour l’année d’imposition 2023. Enfin, ce type de proposition crée un manque à gagner récurrent pour l’État, au moment où bien des économistes prévoyaient déjà durant la campagne et prévoient encore une récession imminente.
Le cas de la taxe sur les produits et services
Il faut en général bien du courage à la classe politique pour proposer des solutions bénéfiques à long terme, mais avec des inconvénients à court terme. En pareils cas, des dérives populistes paraissent incontournables.
Au début des années 1990, le gouvernement réélu de Brian Mulroney désire que le Canada profite au maximum du nouvel Accord de libre échange avec les États-Unis, entré en vigueur le 1er janvier 1989. La taxe de 13,5 % sur les ventes des fabricants, en vigueur depuis 1924, pose problème. Elle s’applique même sur les marchandises exportées, ce qui gonfle leur prix, mais les gens ne la voient pas puisqu’elle est incorporée aux prix de vente des fabricants à leurs grossistes et détaillants.
Sur les conseils d’experts, Ottawa propose donc de la remplacer par une taxe sur les produits et services (TPS), qui fonctionnerait grosso modo comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en vigueur en Europe.
Sauf que, comme pareille taxe n’existe pas aux États-Unis, les oppositions se déchaînent, en particulier dans l’ouest du pays.
Le gouvernement refuse de reculer. En guise de compromis, il emprunte une avenue populiste. « Par volonté de transparence », la nouvelle taxe, alors fixée à 7 %, sera ajoutée au prix de vente affiché au lieu d’y être intégrée, comme c’est le cas avec la TVA. D’où une autre dérive populiste, celle des commerçants qui multiplient les publicités annonçant qu’ils payent les taxes, ce qui est rigoureusement faux. La « volonté de transparence » alimente en plus les velléités de régler des transactions au noir dans le but « de sauver les taxes » (qu’on me pardonne l’anglicisme).
Perçu comme plus à gauche, le milieu du livre québécois a lui aussi cédé à un courant populiste avec son slogan à la fois élégant et démagogique : taxer le livre, c’est imposer l’inculture. Comme si l’achat d’un livre de recettes ou d’un guide de l’auto était plus culturel que celui d’un CD des Colocs ou de l’Orchestre métropolitain, qu’un DVD de Denys Arcand ou de Jean-Claude Lauzon, que des billets pour une pièce du Théâtre du Nouveau Monde ou du Rideau Vert.
« Il est bien difficile de définir une politique publique sans effet pervers », note M. Prévost. Pour y remédier, la tentation populiste est bien forte.
L’irresponsabilité populiste
Promettre la Lune, à coups de baisses d’impôts à droite ou de nationalisations à gauche (pensons à Québec Rail), conduit souvent à mettre en péril les finances de l’État et, ultimement, celles du gros de la population puisque ça crée de l’instabilité et du mécontentement.
On n’a qu’à voir ces jours-ci l’accueil glacial réservé par la population britannique et les marchés financiers à l’annonce des baisses d’impôt pour les plus riches, soi-disant pour combattre l’inflation. La nouvelle première ministre Liz Truss est aux prises avec un des taux d’inflation parmi les plus élevés d’Europe et la facture de chauffage vient de quadrupler. En voulant couper dans les recettes de l’État, elle a affaibli la livre sterling, avec pour effet de nourrir l’inflation. Le Royaume-Uni accuse un déficit de sa balance commerciale avec l’étranger. Importer va coûter plus cher.
S’agit-il d’un programme populiste pour autant ? Ou plutôt du réemploi de la théorie néolibérale éculée du ruissellement : plus les riches s’enrichissent et plus ils peuvent faire profiter les autres de leurs largesses ? Ça se discute, mais le simplisme de ses propositions range sans doute doute Mme Truss parmi les populistes même si, dans son cas, les dogmes thatchériens teintent aussi son approche. Chose certaine, elle a tout faux face à la crise actuelle dont la résolution va exiger courage et doigté.
À l’autre bout du spectre politique, le parti-pris gauchiste du président vénézuélien Nicolás Maduro conduit son pays à la ruine : la dette publique du Venezuela atteint plus du double de son produit intérieur brut nominal. Résultat, même ceux que le régime prétend soutenir s’appauvrissent. Et pour se maintenir en place, il accentue la répression, selon la bonne vieille recette fasciste.
Heureusement, les courants et mesures populistes présents au Canada n’atteignent pas de tels extrêmes … À moins qu’un jour un premier ministre aille de l’avant avec l’adoption d’une crypto-monnaie comme devise.
On est pour l’instant encore bien loin de là.
1- https://www.rncan.gc.ca/sites/nrcan/files/oee/pdf/transportation/fuel-efficient-technologies/Guide%20de%20consommation%20de%20carburant%202022.pdf
2- https://www.restaurant-toque.com/fr/menu et https://www.scottialfaromeo.com/fr.
3- https://www.observatoiredesinegalites.com/fr/blogue/comment-la-classe-moyenne-canadienne-se-porte-t-elle-evolution-et-donnees-recentes
4-https://www.revenuquebec.ca/fr/entreprises/retenues-et-cotisations/trousse-employeur/principaux-changements-pour-lannee-2022/