À propos de l'auteur : Daniel Raunet

Catégories : International

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Christian Tiffet

Daniel Raunet

Comme jadis les communistes orphelins de leur patrie du socialisme, le Parti québécois va devoir faire son deuil des modèles européens de voie à l’indépendance. En mars 2023, le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon se rangeait encore derrière la démarche des indépendantistes écossais. « On s’inspire beaucoup de Scotland’s Future, des documents produits en 2014 et renouvelés par la suite en 2022 avec Building a new Scotland. Ce sont des cahiers accessibles à la population qui répondent en termes simples sur l’intérêt du projet d’indépendance et sur l’après-indépendance » [1]. Ces phrases, PSPP n’oserait probablement plus les prononcer un an plus tard alors que le nouveau premier ministre indépendantiste de l’Écosse, John Swinney, ne parle plus, contrairement à ses prédécesseurs Nicola Sturgeon et Humza Yousaf, de transformer le prochain scrutin national en élection référendaire.

La dégringolade des indépendantistes écossais

Dès son accession au poste de premier ministre, le 8 mai dernier, John Swinney a aboli le ministère de l’Indépendance et mis un terme à la publication des documents qui plaisaient tant à PSPP. [2] Le chef du Scottish National Party préfère parler de thèmes plus populaires comme la lutte à la pauvreté des enfants et l’action économique.

Au pouvoir sans interruption depuis 2007, le Scottish National Party dérape. Les prochaines élections écossaises n’auront lieu qu’en 2026, mais pour les élections britanniques du mois prochain, c’est tout un renversement de situation. Comme les autres Britanniques, les Écossais sont impatients de se débarrasser du très impopulaire gouvernement conservateur et de porter au pouvoir le Labour de Keir Starmer. Le Parti travailliste écossais n’a pour l’instant que deux députés au Parlement de Westminster contre 43 au SNP, mais selon un sondage YouGov du 3 juin [3], un raz-de-marée travailliste attend l’Écosse le 4 juillet prochain. Le Labour raflerait 34 des 57 sièges écossais de Westminster, et le SNP tomberait à 17 députés. Même si, selon un autre sondage du 10 mai [4], le soutien à l’indépendance reste fort, 48 % contre 52 % en faveur de l’union avec l’Angleterre, il est évident que ce n’est plus le principal sujet de préoccupation des Écossais.

Un autre sondage du 20 mai [5] constate une même dégringolade au niveau purement écossais. Si des élections régionales avaient lieu maintenant, le SNP perdrait probablement le pouvoir à Édimbourg et céderait la place au Parti travailliste, 47 sièges contre 42.

Le SNP et l’usure du pouvoir

Depuis la démission de Nicola Sturgeon en février 2022, le SNP traîne un scandale de financement, la disparition de 600 000 £ de dons électoraux lors du référendum de 2016. Une partie des fonds aurait servi à l’achat d’un véhicule récréatif retrouvé chez sa belle-mère. Son époux, Peter Murrell, qui était à l’époque directeur général du parti, vient d’être formellement accusé de détournement de fonds [6]. L’ancienne Première ministre est encore visée par l’enquête [7].

Son successeur, Humza Yousaf, n’est resté au pouvoir qu’un peu moins de 14 mois. Il est tombé à cause de la rupture du pacte qui le liait au petit Parti vert d’Écosse, une formation indépendantiste qui lui donnait le siège qui lui manquait pour une majorité parlementaire. Face à son abandon des cibles de réduction des gaz à effet de serre et à la possibilité d’une reprise de l’exploration pétrolière en mer du Nord, une menace de motion de censure l’a acculé à la démission fin avril.

L’indépendance écossaise dans l’impasse [8]

Lors du référendum de 2014, autorisé par Londres, les Écossais avaient rejeté l’indépendance par 55 % des voix. C’était avant de savoir que les conservateurs britanniques allaient imposer la rupture des liens avec l’Europe. Le Brexit a fait remonter le sentiment indépendantiste chez les Écossais, massivement pro-européens, et Nicola Sturgeon a annoncé sa volonté de tenir un deuxième référendum en 2023. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a alors opposé son veto et la Cour suprême du Royaume-Uni a statué que l’Écosse ne pouvait pas se passer de l’accord de Londres. L’actuel chef du gouvernement britannique, Rishi Sunak a la même position que Boris Johnson et son successeur probable, le travailliste Keir Starmer, s’oppose également à la tenue d’un deuxième référendum.

L’idée d’une élection référendaire en 2026, émise par Nicola Sturgeon et Humza Yousaf, mais passée sous silence par l’actuel premier ministre John Swinney, n’aurait pas débouché sur une déclaration unilatérale d’indépendance, car les Écossais sont très respectueux de la légalité britannique. Dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agissait plutôt de forcer Londres à lever son veto lors d’un grand marchandage, avec l’espoir tacite que les travaillistes seraient dans une situation de gouvernement minoritaire après les prochaines élections. Cela supposait que le SNP continue de remporter la plupart des sièges écossais aux Communes. Un rêve désormais parti en fumée.

En Catalogne, les socialistes détrônent les indépendantistes

Depuis l’éviscération par les tribunaux espagnols du statut d’autonomie de la Catalogne en 2006, puis l’élection à partir de 2010 de présidents régionaux indépendantistes, la question de l’indépendance était au centre de la politique catalane. Les élections du 12 mai dernier viennent de clore cette période historique. Les indépendantistes ont perdu leur majorité au Parlement régional et le gouvernement sortant, la Gauche républicaine (ERC en catalan), plus du tiers de ses députés. Un virage confirmé avec les résultats des élections européennes du 9 juin, 900 000 électeurs indépendantistes de moins depuis 2019. [9]

Le Parti socialiste de Catalogne (PSC) est désormais le premier parti de la région tant au niveau européen que régional. Au Parlement catalan, il compte désormais 42 sièges sur 135. Junts per Catalunya de l’ancien président en exil Carles Puigdemont arrive en deuxième place avec 35 députés. La débandade d’ERC, tombé de 33 à 20 sièges, et le reflux de la CUP, formation anticapitaliste qui est passée de neuf à quatre sièges, rendent peu probable l’élection d’un président indépendantiste à la tête de la Generalitat. À moins que …

Carles Puigdemont s’accroche

Depuis son refuge au nord de la frontière, l’ancien président du gouvernement catalan pense pouvoir reprendre son ancien poste [10]. Son argument de base, il a davantage de soutien parmi les élus, 59 indépendantistes, alors que pour le chef du PSC Salvador Illa, la gauche pro-Madrid n’en compte que 48. La majorité absolue se situe toutefois à 68 voix. On ne voit pas trop où Puigdemont pourrait trouver sa nouvelle majorité « pro-Catalogne » auprès des tiers partis. Certainement pas auprès de ses ennemis jurés, les 15 députés du Parti populaire, acteur de la répression du référendum de 2017, ni auprès des 11 néofascistes du parti Vox.

Salvador Illa, lui, croit tenir une bonne formule, une coalition de gauche qui regrouperait son parti socialiste, les six députés de la gauche radicale espagnoliste (Sumar-Comuns) et … les grands perdants de ces élections, ERC, la Gauche républicaine. 42 + 6 + 20 = 68, le chiffre magique ! Ce qui donnerait un gouvernement catalan de gauche axé sur les problèmes sociaux de l’heure, inflation, pauvreté, logement, gestion de l’eau, transports en commun, et non plus sur le statut national. Une telle coalition était d’ailleurs en germe depuis la sortie de Junts per Catalunya du gouvernement présidé par l’ERC en 2022, puisque depuis, il ne devait sa survie qu’à l’appui des socialistes lors des votes cruciaux.

Les perdants, faiseurs de roi

La décision d’ERC est donc essentielle pour déterminer l’identité du prochain gouvernement catalan. Ce parti est décapité. Le président défait, Pere Aragonès, se retire, le président de l’organisation, Oriol Junqueras, a démissionné au lendemain des élections européennes du 9 juin et la secrétaire générale Marta Rovira rend son tablier [11]. Salvador Illa ou Carles Puigdemont ? ERC fait monter les enchères. Le 31 mai, Marta Rovira a déclaré qu’il n’était pas question, « pour le moment », de soutenir une candidature socialiste à la présidence et qu’ERC n’avait pas peur de replonger la Catalogne dans de nouvelles élections [12]. Sauf si … les socialistes de Madrid faisaient de nouvelles concessions, comme de nouveaux pouvoirs fiscaux et l’octroi d’un référendum légal.

Le 13 juin, les partis indépendantistes ont refait un instant l’unité pour élire un député de Junts, Josep Rull, à la présidence du Parlement catalan, battant un candidat socialiste par 59 voix contre 42. Ce président a le pouvoir de choisir celui qui tentera le premier d’obtenir une majorité parlementaire pour devenir président de la Catalogne. Puigdemont sera donc le premier prétendant au poste, mais on prévoit des semaines de tractations de coulisses pour déterminer qui, de Puigdemont ou d’Illa, l’emportera.

Les indépendantistes catalans font chanter les socialistes espagnols

En fait, cette lutte se joue davantage à Madrid qu’à Barcelone. Comme les Écossais, les Catalans profitent de la présence de leurs partis au Parlement de l’État central pour faire avancer leur cause. Le maintien au pouvoir de Pedro Sánchez à Madrid dépend du soutien des sept députés de Junts et des sept autres d’ERC. Les indépendantistes ont joué cette carte à fond pour obtenir la loi d’amnistie qui permettra aux personnalités comme Carles Puigdemont de rentrer au pays après plus de six ans d’exil. Puigdemont la joue à nouveau pour devenir président de la Catalogne. Si Madrid tente de s’y opposer, par socialistes catalans interposés, il menace ouvertement de faire tomber le gouvernement Sánchez, par ailleurs très affaibli au lendemain des élections européennes.

L’étape suivante de ce marchandage est d’obtenir des socialistes espagnols la reconnaissance du droit des Catalans à l’autodétermination et la tenue d’un nouveau référendum, légal cette fois-ci aux yeux de l’Espagne. Pedro Sánchez s’y est toujours opposé, la plupart des Espagnols également. Les indépendantistes catalans poussent-ils le bouchon un peu trop loin ?

Confusion stratégique

Tout comme les indépendantistes écossais, Carles Puigdemont mise sur une sorte de chantage au référendum au sein de l’État central. Que de sinuosités depuis octobre 2017 quand ce même Puigdemont avait proclamé la république indépendante de Catalogne puis « suspendu » sa déclaration quelques heures plus tard ! Une fois en exil, il avait persisté à maintenir la fiction d’une république catalane en dirigeant, de Waterloo, un « Conseil de la république » censé promouvoir des actes de rupture d’avec le système espagnol. Puis l’action militante s’était déplacée vers les demandes de libération des prisonniers politiques et d’amnistie des personnalités poursuivies par Madrid. Entretemps, ses troupes jouaient tout de même le jeu de la légalité espagnole et entraient dans le gouvernement de Pere Aragonès à Barcelone, pour en claquer la porte en 2022 en prétextant le piétinement de sa politique de dialogue avec Madrid. Aujourd’hui, Puigdemont n’offre toujours pas d’analyse de ses propres échecs et n’a plus, pour stratégie, que le recours à des manœuvres parlementaires.

L’examen de conscience des indépendantistes reste à faire

La déroute des indépendantistes est spectaculaire. Alors que 2,1 millions d’électeurs appuyaient la démarche indépendantiste lors du référendum avorté de 2017, les partis porteurs de l’option n’en ont gardé que 1,2 million lors des élections du 12 mai. Deux tendances ont contribué à la victoire du PSC, la démobilisation depuis quelques années d’un électorat indépendantiste déboussolé par les querelles intestines, mais aussi le transfert massif d’électeurs de gauche d’ERC vers le parti socialiste.

Les parlementaires catalans ont jusqu’au 26 août pour désigner un nouveau président de la Généralité, faute de quoi des élections générales seront automatiquement déclenchées. Des élections qui, nul doute, ne feraient qu’aggraver la déroute du camp indépendantiste.

Québec, Écosse, Catalogne, des destins différents

En 2017, plusieurs personnalités indépendantistes québécoises étaient allées en Catalogne pour observer le référendum sur l’indépendance, Stéphane Bergeron, Daniel Turp, Maxime Laporte, Manon Massé … En 2020, PSPP prévoyait, dans son plan des 100 premiers jours d’indépendance, ouvrir des représentations diplomatiques en Écosse et en Catalogne. En mars 2023, il s’était rendu à Édimbourg saluer les indépendantistes écossais, puis il avait rencontré Puigdemont à Bruxelles. Parions que ce genre de pèlerinage européen passera de mode pendant un certain temps.

Sauf pour les partisans de la rupture unilatérale, la Catalogne n’a jamais été un modèle pour le Québec. Et l’Écosse ne l’est plus. Aujourd’hui, seul le Canada reconnaît dans sa jurisprudence [13] le droit pour une province de faire sécession. Ces trois nations partagent toutefois un même problème : leurs opinions publiques ont d’autres préoccupations.

 

 

[1] Charles Lecavalier, « St-Pierre Plamondon s’inspire de l’Écosse pour vendre l’indépendance », La Presse, Montréal, 10 mars 2023. https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-03-10/st-pierre-plamondon-s-inspire-de-l-ecosse-pour-vendre-l-independance.php

[2] Libby Brooks et Severin Carrell, « Johns Swinney scraps post of minister for independence to focus on economy », The Guardian, Londres, 9 mai 2024. https://www.theguardian.com/politics/article/2024/may/09/john-swinney-scraps-scottish-minister-for-independence-focus-economyhttps://www.theguardian.com/politics/article/2024/may/09/john-swinney-scraps-scottish-minister-for-independence-focus-economy

[3] Patrick English, « First YouGov MRP of 2024 general election shows Labour on track to beat 1997 landslide », YouGov UK, Londres, 3 juin 2024. https://yougov.co.uk/politics/articles/49606-first-yougov-mrp-of-2024-general-election-shows-labour-on-track-to-beat-1997-landslide

[4] Alistair Grant,  » New poll shows Labour returning as dominant force in Scottish politics as SNP and John Swinney facing major uphill battle », The Scotsman, Édimbourg, 10 mai 2024. https://www.scotsman.com/news/politics/new-poll-shows-labour-returning-as-dominant-force-in-scottish-politics-as-snp-and-john-swinney-facing-major-uphill-battle-4622865

[5] Alistair Grant, « SNP hit by fresh YouGov poll slides under John Swinney amid Labour surge », The Scotsman, Édimbourg, 20 mai 2024. https://www.scotsman.com/news/politics/snp-hit-by-fresh-yougov-poll-slide-under-john-swinney-amid-labour-surge-4635920

[6] Paul Hutcheon et Chris McCall, « Murrell charged. Former SNP chief executive is accused of embezzling party fund », Daily Record, Glasgow, 19 avril 2024.

[7] Oliver Price,  » Police Scotland detectives pass report to prosecutors over alleged embezzlement of SNP funds by Nicola Sturgeon’s husband Peter Murrell on day party launches election campaign »,

Daily Mail, Londres, 23 mai 2024, https://www.dailymail.co.uk/news/article-13452817/Police-Scotland-prosecutors-embezzlement-SNP-Nicola-Sturgeons-husband-Peter-Murrell.html

[8] Courrier international, « En Écosse les nationalistes mettent l’indépendance sur pause », Paris, 10 mai 2024.

[9] Oriol March, “Per què l’independentisme continua en plena caiguda ?”, Nacio digital, Barcelone, 10 juin 2024, https://naciodigital.cat/politica/independentisme-continua-en-plena-caiguda_1941434_102.html

[10] Oriol Mach, « Puigdemont guanya temps », Nació digital, Barcelone, 13 mai 2024. https://naciodigital.cat/politica/puigdemont-guanya-temps_1932161_102.html

[11] Ferran Espada, « La crisi d’ERC impacta de ple al procés negociador per evitar la repetició electoral », Públic, Barcelone, 16 mai 2024. https://www.publico.es/public/crisi-d-erc-impacta-ple-proces-negociador-per-evitar-repeticio-electoral.html

[12] El Punt Avui, « ERC descarta fer president Illa « en aquest moment » », Barcelone, 31 mai 2024, https://www.elpuntavui.cat/politica/article/17-politica/2423759-erc-descarta-fer-president-illa-en-aquest-moment.html

[13] Cour suprême du Canada, « Renvoi relatif à la sécession du Québec », Ottawa, 20 juillet 1998. https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/1643/index.do

 

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