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Rudy Le Cours
Une rame du REM quitte l’île de Montréal.
Durant le dernier week-end de juillet, les gens de Montréal et de sa banlieue sud se sont précipités pour une balade gratuite sur le premier tronçon du Réseau express métropolitain (REM), tout juste inauguré. Quelques-uns pour une première et dernière fois, d’autres, plus nombreux, afin d’apprivoiser le nouveau moyen de transport sur lequel ils devront compter pour enjamber le fleuve. À moins qu’ils ne privilégient l’auto, comme avant ou désormais, au grand dam des tenants des transports collectifs.
Rudy Le Cours
Malgré ses pépins de rodage qui ont fait jaser ou pleurer les habitués de la traversée du Saint-Laurent en bus sur une voie réservée, le nouveau métro de surface vient atténuer un problème de trafic en pointe sur le pont le plus achalandé du Québec. Avant la pandémie, plus de 350 autobus partaient de la rive sud jusqu’à la Gare centrale, les matins. Et vice-versa, en fin de journée. Cela engorgeait un centre-ville déjà saturé et encombré de cônes orange.
« Dès 2003, il fallait trouver une solution de rechange aux bus », rappelle en entrevue Florence Junca-Adenot, alors p.d.-g de l’Agence métropolitaine de transports.
Aujourd’hui professeure en études urbaines à l’UQAM, elle souligne que c’est Ottawa qui a forcé la main à Québec lorsqu’est venu le temps de remplacer d’urgence le vieux pont Champlain. Jusque-là, on avait jonglé avec divers scénarios de systèmes de transport léger sur rail, sans se fixer.
Obsédé par la rigueur budgétaire, le gouvernement de Philippe Couillard ne voulait surtout pas grossir la dette publique pour une infrastructure devant desservir seulement la banlieue sud de Montréal.
La Caisse de dépôt et placement du Québec (la Caisse) est alors entrée en scène. Forte de sa participation au financement du Skytrain de Vancouver, un métro aérien sur rails, elle cherchait à construire une vitrine pour un type d’infrastructure à la fois exportable et susceptible de lui assurer une rente supérieure aux rendements des obligations.
Ni PPPr, ni PPPu
Les libéraux de Jean Charest avaient déjà donné le feu vert à plusieurs partenariats publics privés (PPPr): CHUM, CUSUM, Maison symphonique, Pont A-25, etc.
Selon cette formule née au Royaume-Uni, un consortium privé finance, bâtit et exploite une infrastructure durant une période de 20 ou 25 ans, après quoi l’État se l’approprie. Ainsi, l’État n’a pas à emprunter pour construire, mais, au bout du compte, les contribuables payent plus cher parce qu’il faut garantir du profit aux promoteurs et couvrir leurs coûts de financement, en général plus élevés que si l’État empruntait lui- même. Bref, c’est avant tout pour l’État un exercice de comptabilité créative.
La proposition faite par la Caisse à Québec est tout autre. Michael Sabia, alors à la tête de la Caisse, a présenté sa proposition comme un partenariat public public (PPPu). La Caisse investit dans le REM, est maître d’oeuvre de sa construction par l’entremise d’une filiale et l’exploite pour une durée de 99 ans, renouvelable de surcroît. Même si Québec est partie au capital à hauteur de 30 %, jamais il ne deviendra propriétaire du REM, à moins que la Caisse choisisse de s’en départir, au bout de cinq ans. Auquel cas, il pourra faire une offre d’achat que la Caisse aura le loisir de décliner si elle trouve preneur à meilleur prix.
Un véritable PPPu, c’est plutôt quand une société d’État s’associe à un ou des niveaux de gouvernement pour aménager un bien déjà public ou qui le deviendra. Ainsi, Hydro-Québec investit de concert avec Ottawa et la Ville de Montréal pour aménager la rive sud de la rivière des Prairies en amont du barrage Simon-Sicard (1).
Selon M. Sabia, «chaque fois que vous monterez à bord d’un système de transport géré par la Caisse, vous serez en train de consolider votre retraite» (2).
Il s’agit d’une demi-vérité. Dans le Rapport annuel 2022 de la Caisse, on précise que la valeur des dépôts de Retraite Québec s’élève à 106,8 milliards, ce qui représente 26,6 % de l’actif de l’investisseur institutionnel. En revanche, les dépôts faits pour les régimes de retraite des fonctionnaires provinciaux représentent 50,2 % de son actif (3). Autrement dit, la rentabilité du REM profitera avant tout aux retraités de l’État.
Le REM, une entreprise privée
N’étant ni un PPPr, ni un PPPu, le REM n’est pas non plus une coopérative, ça va de soi. En fait, CDPQ Infra, la filiale de la Caisse qui le détient, est une société par actions, comme l’a bien expliqué Bertrand Schepper, chercheur à l’IRIS, dès 2017 (4). Les actions privilégiées de CDPQ infra sont détenues par la Caisse et par Québec. Ces actions garantissent un rendement de 8 % à la Caisse. Québec aura droit à un retour sur son investissement seulement après que la Caisse se sera servie.
Fait à souligner, 100 % des actions à droit de vote sont détenues par la Caisse, ce qui lui assure carte blanche.
Ce type de propriété pose problème quand on considère que les réseaux de transports de Montréal, de Laval et des rives sud et nord doivent modifier leurs circuits afin de rabattre leur clientèle vers le REM pour lui assurer clientèle et rentabilité.
Au lieu d’une infrastructure conçue pour optimaliser les transports publics et la mobilité des usagers, on se retrouve plutôt devant l’assujettissement des réseaux de transport publics à la rentabilisation d’une entreprise privée. Et ce, sans doute pour 99 ans, voire le double si la Caisse exerce son option de renouvellement.
En outre, le REM échappe à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) dans ses efforts de planification, de financement et d’organisation des systèmes de transport collectif puisqu’il n’est pas considéré comme un tel système.
C’est donc dire que CDPQ Infra pourra prolonger son réseau si et seulement si elle juge l’affaire rentable, comme on le chuchote à Longueuil (5), selon le tracé optimal pour sa rentabilité et non pour les déplacements des usagers.
La Caisse a aussi pu décider à sa guise d’abandonner l’an dernier la phase nord-est du REM plutôt que de se conformer aux recommandations qui prônaient un changement de tracé et l’enfouissement d’un tronçon qui allait défigurer la trame urbaine.
S’y conformer aurait compromis la rentabilité recherchée qui n’est pourtant pas l’objectif d’un réseau de transport collectif.
Qui paye vraiment ?
Au départ, le REM devait coûter 5,5 milliards. Aujourd’hui, de l’aveu du président de la Caisse Charles Émond, on serait plus près de sept milliards (6), si on exclut tout ce que la Caisse ne compte pas.
Dans une étude très poussée de Michel Beaulé, chargé de projet à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREQ),
Il faudrait ajouter à cette somme au moins 2,7 milliards (7).
Ainsi, les deux voies réservées sur le pont Samuel-de-Champlain, valent à elles seules 800 millions (financées par Ottawa). L’infrastructure électrique fournie par Hydro-Québec est évaluée à 338 millions. La modification des infrastructures locales est estimée à 205 millions et est financée par Montréal. On ne sait pas encore combien pour les autres villes desservies.
Tout ceci, sans compter que la station à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, évaluée à quelque 600 millions, ne sera pas financée par CDPQ infra. Comble de l’ironie, c’est l’ARTM, qui n’a pas autorité sur la planification du REM, qui défraie les coûts des équipements de perception et des améliorations des accès aux stations.
Ce n’est pas tout. La Caisse a pu mettre la main sur des actifs existants à prix de faveur de la défunte Agence métropolitaine de transport, dont le tunnel du Mont-Royal et la ligne électrifiée Deux Montagnes, moyennant 585 millions. Or, l’AMT y avait investi 787 millions en 20 ans (8).
L’utilisation exclusive du tunnel du Mont-Royal complique en outre les déplacements des usagers du train de banlieue vers Mascouche, qui a coûté 700 millions aux contribuables, sans mentionner la réalisation d’un train à grande fréquence entre Québec et Windsor, toujours dans les cartons d’Ottawa.
À tout cela, selon l’IREQ, il faut ajouter une contribution annuelle d’environ 238 millions défrayée par l’ARTM qui les puisera à même le Fonds des réseaux de transport terrestre du gouvernement. Cette somme correspond grosso modo à ce que Québec aurait eu à débourser pendant 20 ans, s’il avait financé lui-même le REM. Sauf qu’il devra payer CDPQ Infra durant au moins 99 ans, sans jamais posséder le REM.
Bref, pour maquiller la dette publique, les contribuables payeront le REM au moins trois fois pendant son exploitation par CDPQ Infra.
Et l’avenir ?
Les évaluations préliminaires d’un métro ou d’un tramway pour le Nord-Est de l’île de Montréal font état d’une facture de 36 milliards. Elles font avaler le café de François Legault de travers, selon ses propres dires.
Rappelons-nous les besoins initiaux : désengorger le pont Champlain et le centre-ville et construire une liaison rapide entre le centre-ville et l’aérogare, à Dorval. Le lignes vers Deux-Montagnes et Sainte-Anne-de-Bellevue étaient déjà bien desservies par des trains régionaux. Mais la Caisse exigeait un rendement de 8 % que les deux besoins initiaux ne comblaient pas.
Comme la Caisse s’est retirée de la planification du transport pour l’Est et le Nord, il importe de ne pas répéter les mêmes erreurs de planification.
« Il est très rare qu’on réalise un projet de 34 kilomètres en un seul morceau, note Mme Junca-Adenot. Il ne faut pas choisir le mode de transport avant de déterminer les besoins de déplacement. »
Pour ce faire, une solution unique n’est sans doute pas la panacée, comme en fait foi le REM.
Cela dit, il s’agit d’un métro de surface magnifique, rapide et confortable, comme j’ai pu le constater.
Souhaitons-nous, malgré tout, qu’il ne devienne pas un deuxième éléphant blanc, comme le stade Olympique.
1- https://www.hydroquebec.com/projets/mur-barrage-simon-sicard/
2- Cité par Le Devoir, 29 juillet 2023.
3- Rapport annuel, page 26. Calculs de l’auteur
3- https://www.hydroquebec.com/projets/mur-barrage-simon-sicard/
4- https://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2021/03/Note_REM_WEB.pdf
7- https://irec.quebec/ressources/publications/Note-74.-Reseau-express-metropolitain.pdf
8- IRIS, op. cit.
****** Excellente analyse, fouillée, nécessaire qui devrait faire la une des TJ.. Merci.
Tres bien écrit et toutes mes félicitations. Toutefois, faudrait peut être prendre en compte dans votre comparaison des modes réalisation ( PPP vs CSP) la neutralité compétitive. En effet, votre analyse comparative est plus portée sur le volet pécuniaire sans prendre en compte l’impact financier des risques supportés par le gouvernement pour la réalisation d’une telle infrastructure.