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Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem. Au 1er mars 2022, soit quelques jours avant que la banque centrale annonce la première de huit hausses d’affilée de son taux directeur, il était possible d’obtenir un prêt hypothécaire à taux variable à 0,90 %, selon le site Ratehub.ca
Une correction des prix sur le marché immobilier canadien (et québécois) bat son plein. Le plafonnement probable des taux d’intérêt hypothécaire mettra bientôt fin à l’incertitude sur les marchés de la maison neuve et de la revente. Le recul des prix observé ne suffira pas à ranimer l’espoir d’acheter son toit pour celles et ceux qui ne le possèdent pas encore, voire d’en louer un sans se ruiner puisqu’on n’en bâtit pas assez.
Rudy Le Cours
Au deuxième semestre de l’an dernier, les prêteurs hypothécaires ont dû signaler plus souvent à leurs emprunteurs qu’ils étaient en défaut de paiement.
Durant l’été et l’automne, « le nombre de préavis d’exercice a augmenté de 8,6 % par rapport à l’année précédente », écrit Katherine Torres dans son Rapport sur le marché hypothécaire du Québec en 2022. L’économiste de JLR, filiale d’Equifax, analyse les données du Registre foncier du Québec (1).
Cette observation semestrielle masque une situation plus préoccupante. Selon les données trimestrielles colligées par Mme Torres et transmises à En Retrait, le nombre de préavis pouvant mener à la saisie était en hausse pour un troisième trimestre d’affilée, sans pour autant atteindre les niveaux observés à la veille de la pandémie.
À l’époque, le taux d’épargne des ménages frôlait à peine 2 %. Depuis le Grand Confinement, il a augmenté jusqu’à 6 %, puisqu’il y avait peu d’offre pour combler l’envie de restos, de voyages et activités culturelles tandis qu’Ottawa prodiguait ses largesses.
Cela aura stimulé les emprunts pour se loger plus grand, en achetant ou rénovant. Les prix des maisons et condos ont ballonné, ceux des matériaux aussi, jusqu’aux niveaux insoutenables d’il y a un an.
La poussée des taux d’intérêt, amorcée depuis, a fait bondir le service de la dette des ménages, à son tour. Selon les données de Statistique Canada, les paiements d’intérêts se sont accrus de 45% au quatrième trimestre de 2022, par rapport à l’automne 2021, un record (2).
Une résistance défaillante
Au 1er mars 2022, soit quelques jours avant que la Banque du Canada annonce la première de huit hausses d’affilée de son taux directeur, il était possible d’obtenir un prêt hypothécaire à taux variable à 0,90 %, selon le site Ratehub.ca. Un emprunt à taux fixe d’une durée de cinq ans portait un taux de 2,59 %. Ces jours-ci, les deux taux ont beaucoup augmenté, mais le fixe est devenu plus avantageux: 5,55 % contre 4,39 % (3).
Bref, les taux variables ont bondi de 4,65 points de pourcentage, contre 1,80 point pour le taux fixe de cinq ans. Cela a plongé beaucoup d’emprunteurs dans l’embarras. En 2021, un nouveau prêt sur deux avait été à taux variable, portant la part totale de ce type de prêt de 23 % à 32 %, selon Robert Both de Valeurs mobilières TD. (4)
Depuis 2018, les emprunteurs doivent réussir un test de résistance pour se qualifier auprès d’une institution financière reconnue. Ce test présume que l’emprunteur soit à même de soutenir une majoration de taux de deux points, ce qui porte le seuil d’admissibilité ces jours-ci à 6,39% pour un prêt de cinq ans, dans l’hypothèse où il peut avancer une mise de fonds initiale équivalant à 20% du montant de son prêt.
Cela écarte du marché beaucoup de premiers acheteurs qui n’ont pas accumulé cette somme ou ne peuvent compter sur papa-maman. Cela pousse d’autres acquéreurs potentiels à se tourner vers des prêteurs moins sourcilleux, mais plus gourmands. Cette option augmente d’autant les risques de défaut de paiement pour les mois à venir.
À cela, il faut ajouter que, du côté des renouvellements des prêts à taux fixes, quelque 275 milliards devront être réempruntés cette année, selon M. Both. Heureusement, ces taux, surtout pour l’échéance de cinq ans, ont moins grimpé depuis 2018 que les taux pour les emprunts à taux variable. Le premier janvier 2018, le taux fixe pour cinq ans s’élevait à 2,79 % avant de grimper jusqu’à 3,19 % en fin d’année.
L’hyperinflation des prix du logement
Celles et ceux qui ont connu les fortes poussées des taux hypothécaires de 1990 ou de 1981 et qui, depuis, sont parvenus à rembourser leur prêt souriront peut-être en voyant des taux de «seulement» 7,55 %, ces jours-ci. Après tout, cela représente un taux réel de seulement de 2,35 % puisque le taux d’inflation était de 5,2 % ,en février.
En mai 90, le taux fixe de cinq ans a atteint 14,5 % (alors que l’inflation gravitait autour de 5 %); en octobre 1981, le taux fixe a plané à 21,75 % !, mais l’inflation gravitait autour de 12,5% (5 et 6). Bref, le loyer de l’argent a supplanté largement le taux d’inflation au point de geler le crédit.
Pour ranimer le bâtiment, le gouvernement de René Lévesque a lancé en 1982 le programme Corvée-Habitation, qui garantissant pendant trois ans un taux hypothécaire de seulement 9,9 % aux acheteurs de logement neuf. Ce fut un franc succès.
À l’époque, le prix des maisons était beaucoup plus faible qu’aujourd’hui. L’escalade des prix s’est amorcée au tournant du millénaire seulement. Elle s’est accélérée au lendemain de la crise financière de 2009 jusqu’au printemps dernier.
Selon les données de la Banque des règlements internationaux, basée à Bâle en Suisse, le prix des maisons a bondi de 90 % en termes réels, entre 2010 et 2022 au Canada. Si on tient compte de l’inflation, les prix ont été catapultés de 148 %. Il s’agit de la plus forte appréciation au sein du G7. Aux États-Unis, les prix ont augmenté de 63 % et 118 % respectivement. En Italie et en Espagne, ils ont plutôt diminué (7).
Pas de dérive à l’américaine
La cherté et la rareté des logements à acheter ou à louer créent des conditions de crise sur le marché de l’habitation qui ne se comparent néanmoins aucunement à la situation à l’origine de la grave crise financière de 2008-2010, aux États-Unis.
Les cadres réglementaires et financiers qui régissent l’habitation diffèrent beaucoup dans les deux pays.
Chez nos voisins, le terme d’un prêt hypothécaire correspond à sa période d’amortissement, soit 30 ans. Toutefois, des prêteurs ont appâté plusieurs acheteurs avec des taux d’appel alléchants. Par exemple, zéro paiement d’intérêt pendant les trois premières années. Quand est arrivée la quatrième année, les emprunteurs, souvent sans revenu, ni emploi, ni actif (on les appelait NINJA, acronyme de No Income, No Job, no Asset), n’ont pu faire face à leurs mensualités: ils ont rendu les clefs.
Au Canada, les termes varient d’un à cinq ans alors que l’amortissement maximal est de 25 ans. Il n’y a pas de taux d’appel.
Aux États-Unis, les intérêts d’un prêt hypothécaire sont déductibles d’impôt, incitant bien des emprunteurs à avoir des yeux plus grands que la panse. Pas au Canada.
Autre différence fondamentale, le secteur bancaire de nos voisins était et reste beaucoup moins réglementé qu’au Canada. La titrisation créative, pour rester poli, de prêts à haut risque a nourri la spéculation avec les conséquences que l’on sait.
Rien de tel au Canada, à l’exception de la firme Coventree Capital qui a saucissonné sous forme de papier commercial adossés à des actifs (PCAA) des prêts hypothécaires américains à haut risque. Sa débâcle a d’ailleurs entraîné le pire rendement de l’histoire de la Caisse de dépôt et placement, en 2009 (8). Ç’aura été l’exception.
Les Canadiens font avant tout confiance à leurs institutions financières reconnues, quand vient le temps d’emprunter. Selon les données de la Banque mondiale, 81,01 % font d’abord affaire avec elles, contre 66,21 % seulement des Américains (9). Leur solide réputation, jumelée à un cadre réglementaire rigoureux, demeure garante de la résilience du secteur financier canadien.
Le mirage de l’accès à la propriété
Cela ne signifie pas que tout va bien pour autant.
Les économistes parlent d’abordabilité pour évaluer dans quelle mesure un ménage canadien qui gagne le revenu médian peut espérer acquérir son logement.
Évidemment, il y a beaucoup de variations, selon qu’on vive à Québec, Toronto ou Vancouver. Les économistes de la Banque Nationale suivent ces variations à la trace (10).
Ainsi, en février, le prix d’un condo représentatif à Montréal s’élevait à quelque 400 000 $. Pour se qualifier en vue d’un prêt, un ménage devait gagner 97 300 $ par année. Pour un autre type de propriété, le prix grimpe à 575 170 $ et le revenu nécessaire à 139 500 $
Or, le salaire médian à Montréal s’élève plutôt à 75 357 $.
Des lendemains de la crise financière de 2009 jusqu’à la pandémie, le prix moyen d’un loyer pour un appartement de deux chambres évoluait de pair avec le paiement hypothécaire moyen pour un condo, soit de 1200 à 1400 dollars par mois. Depuis, l’écart entre les deux atteint presque 1000 $.
Beaucoup n’ont donc d’autres choix que de s’exiler en banlieue ou de louer, ce qui stimule les hausses de loyer.
Mince consolation, l’abordabilité cesse de se détériorer depuis le début de l’année, mais le retour aux beaux jours d’avant la crise financière n’est ni pour demain, ni après-demain.
Cela suppose au préalable que l’offre de logements abordables augmente considérablement. On est loin du compte.
L’an dernier, les mises en chantier ont chuté de 16% dans l’ensemble du Québec par rapport à 2021. À Montréal, la saignée atteint 25 %, selon les données de la SCHL (11).
Dès lors, comment se surprendre que la mairesse Valérie Plante déplore que Québec allonge de quoi financer seulement 1500 logements abordables dans son dernier budget? Comment tolérer encore que des milliers d’appartements servent à enrichir d’avides propriétaires et à chasser des locataires, grâce à des plateformes comme Airbnb?
Chose certaine, d’ici à ce que l’offre augmente de façon conséquente, les loyers vont grimper et les prix des propriétés abordables vont se maintenir.
(2) https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230313/dq230313a-fra.htm
(3) https://www.ratehub.ca/meilleurs-taux-hypothecaires/5-ans/variable
(4) https://www.tdsecurities.com/ca/fr/household-headwinds-to-persist
(5) https://www.ratehub.ca/meilleurs-taux-hypothecaires/5-ans/variable
(6) https://www.banqueducanada.ca/2020/08/inflation-expliquee/
(7) https://www.visualcapitalist.com/cp/mapped-global-housing-prices-since-2010/
(9) https://www.visualcapitalist.com/cp/borrow-money-country-income-level/
(10) https://www.bnc.ca/content/dam/bnc/taux-analyses/analyse-eco/logement/abordabilite-logement.pdf