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Daniel Raunet
Le 11 juin dernier, soit quatre mois après son retrait du poste de première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon a été arrêtée, puis relâchée, dans le cadre d’une enquête qui n’en finit plus sur les finances de son parti. Alors qu’il y a un an, le SNP frisait les 50 % dans les intentions de vote, il a perdu une douzaine de points depuis dans les sondages et son successeur, Humza Yousaf, n’a bénéficié d’aucune lune de miel.
Le mystérieux trésor de guerre référendaire
Calendrier des événements — Le 14 septembre 2014, les Écossais rejettent à 55 % un premier référendum sur l’indépendance de leur pays. Trois ans plus tard et après le rejet du Brexit par les Écossais, la Première ministre Nicola Sturgeon promet la tenue d’un deuxième référendum. En décembre 2019, elle remporte les élections avec 45 % des suffrages.
Tout semblait bien aller jusqu’à ce que des indépendantistes commencent à poser des questions quelques mois plus tard sur le trésor de guerre accumulé par le SNP en vue de ce deuxième référendum[1]. En mars 2021 trois responsables se disent incapables d’avoir accès aux données comptables et démissionnent avec fracas du comité des finances du parti.
Tout cela n’empêche pas Nicola Sturgeon d’obtenir un quatrième mandat électoral le 6 mai 2021 avec 47,7 % des voix. Il ne lui manque qu’un siège pour obtenir la majorité absolue au Parlement d’Édimbourg, elle forme donc une coalition avec le Parti vert d’Écosse, une petite formation indépendantiste. Quinze jours plus tard, le trésorier du SNP, Douglas Chapman, démissionne de son poste pour manque d’information sur les fonds du parti.
Le scandale se rapproche de Nicola Sturgeon. En juillet, la police écossaise annonce l’ouverture d’une enquête officielle sur les finances du SNP, l’Opération Branchform. On apprend alors que le mois précédent, le directeur fédéral du SNP, Peter Murrell, qui n’est nul autre que le conjoint de la première ministre, avait octroyé à son parti un prêt personnel de 107 000 £ pour « faciliter les flux de trésorerie ». Septembre 2022, c’est au tour de la firme d’audit traditionnelle du SNP, Johnston Carmichael, de claquer la porte.
Le scandale éclate
Le 15 février 2023, Nicola Sturgeon annonce qu’elle va se retirer de son poste de Première ministre. « Je sais, au tréfonds de mon cœur, que le moment est venu », dit-elle, sans aucunement mentionner l’enquête de police. Un mois plus tard, son conjoint Peter Murrell démissionne de la direction du SNP. Le 27 mars, c’est un des fidèles de Mme Sturgeon, Humza Yousaf, le fils d’un immigrant pakistanais, qui lui succède.
Le 5 avril dernier, nouveau coup de tonnerre, le conjoint de Mme Sturgeon, Peter Murrell est arrêté puis relâché sans accusation, sous réserve d’enquêtes ultérieures. La police perquisitionne l’appartement du couple à Glasgow ainsi que le siège du SNP. Elle saisit également une caravane de luxe stationnée depuis trois mois chez la mère de M. Murrell, un véhicule flambant neuf apparemment en réserve pour la prochaine campagne référendaire. Le 18 du même mois, c’est au tour du nouveau trésorier du parti, Colin Beattie, de passer 24 heures en état d’arrestation. Il démissionne.
Enfin, le 11 juin, la police écossaise débarque à nouveau chez les Murrell-Sturgeon et arrête l’ancienne première ministre pour la relâcher quelques heures plus tard sans accusation, toujours sous réserve d’enquêtes ultérieures. Nicola Sturgeon proteste de son innocence, mais le mal est fait.
Un gouvernement à la dérive
Depuis 2017, le SNP est censé avoir collecté 666 000 £, mais on ne retrouve pas ces sommes dans les bilans annuels ni dans les déclarations à la Commission électorale. Où est passé l’argent des dons pour le deuxième référendum ? Tel est le nœud de toute l’affaire.
Ce n’est pas tout. Le « bon gouvernement » a des hoquets. Répondant à une des conditions de son alliance avec le Parti vert, le gouvernement indépendantiste écossais a fait adopter en décembre dernier une loi réduisant de 18 à 16 ans l’âge pour pouvoir changer légalement de sexe à l’état civil. Une loi mort-née, le gouvernement britannique l’ayant désavouée.
De nombreuses promesses électorales se transforment en boulets politiques. Comme l’interminable construction de deux nouveaux traversiers dans un climat de favoritisme, le scandale de la Ferguson Marine. Les îliens de l’archipel des Hébrides ont dû passer la majeure partie de l’hiver coupés du reste du pays. Et les élus de l’archipel des Orcades, en manque de fonds publics, parlent de rejoindre leur ancien maître d’avant 1472… la Norvège [2]!
Le recyclage des verres et des plastiques promis par le SNP sombre dans un cafouillage qui va probablement déboucher sur une faillite de la société embauchée. Autre cafouillage, le gouvernement Yousaf vient d’annuler son plan de création de nouveaux parcs de préservation marine, l’industrie de la pêche lui ayant prédit sa propre ruine.
Un récent sondage Ipsos [3] témoigne de la grogne généralisée, 50 % d’opinions négatives de l’action gouvernementale contre seulement 25 % d’appui. Tous les indicateurs sont au rouge dans les principaux dossiers : la gestion du système de santé public ; la réforme de l’éducation, l’amélioration promise du niveau de vie, la lutte à la pauvreté, la gestion de l’économie, etc.
Le désarroi stratégique du SNP
On est loin des prochaines élections écossaises, 2026 au plus tard, mais la démission de Mme Sturgeon et l’usure du pouvoir ont entraîné un recul marqué du SNP et une montée des travaillistes. L’avance du parti gouvernemental oscille désormais autour de sept points de pourcentage.
La prochaine échéance demeure toutefois les élections britanniques où les sondages donnent une avance de 20 points aux travaillistes sur les conservateurs. Ils prévoient également que la députation indépendantiste écossaise à Westminster pourrait perdre jusqu’à la moitié de ses 48 sièges actuels, ce qui rendrait illusoire l’espoir de faire lever par Londres son veto sur la tenue d’un deuxième référendum[4].
En novembre 2022 ce veto britannique avait entraîné une montée de l’opinion publique en faveur de l’indépendance, le camp du Oui passant brièvement la barre des 50 %. Depuis toutefois, la situation est redevenue à la situation antérieure, la plupart des sondeurs donnent les indépendantistes perdants par une marge de quelques points. Il y a donc un paradoxe. Alors que le SNP perd des plumes en tant que parti, l’opinion des Écossais sur leur avenir national demeure très stable, divisés en deux camps pratiquement à égalité.
Lors d’une conférence extraordinaire de son parti à Dundee le 24 juin, le premier ministre Humza Yousaf a repris la stratégie de l’élection référendaire de sa prédécesseure Nicola Sturgeon [5]: si les indépendantistes gagnent une majorité de sièges en Écosse lors des prochaines élections britanniques (avant janvier 2025), le SNP équivaudra ce vote à un Oui lors d’un référendum. Il ajoute du même souffle qu’il respectera la légalité britannique, donc qu’il ne proclamera pas d’indépendance unilatérale, mais reprendra les négociations avec Londres pour la tenue d’un référendum, le bon celui-ci, sur l’indépendance.
Le discours du premier ministre écossais a reçu un accueil mitigé de la part des participants à la conférence de Dundee. Plusieurs partagent l’opinion de l’ancien chef du SNP, Alex Salmond, fondateur d’un petit parti dissident, Alba, qui trouve que ses anciens collègues tournent en rond. Il faut une autre stratégie, réclament de nombreux militants, mais laquelle ?
[1] Calum Watson, « Time line: the SNP finance controversy », BBC Scotland, 11 juin 2023. https://www.bbc.com/news/uk-scotland-scotland-politics-65310664
[2] Tom Ambrose «Orkney could leave UK for Norway as it explores ‘alternative governance’ », the Guardian, Londres, 2 juillet 2023 https://www.theguardian.com/uk-news/2023/jul/02/orkney-could-leave-uk-for-norway-as-it-explores-alternative-governance
[3] Jody Harrison « Poll Scotland: Half of Scots think country ‘headed in wrong direction », The Herald, Glasgow, 28 mars 2023.
https://www.heraldscotland.com/politics/23416508.poll-scotland-half-scots-think-country-headed-wrong-direction/
[4] Andrew Macdonald, » Scottish National Party on course to lose half its seats to Labour in 2024, poll finds », Politico, 24 mai 2023. https://www.politico.eu/article/scottish-national-party-lose-half-seats-labour-2024-poll/
[5] BBC News, « Route to Scottish independence must be lawful – SNP leader Humza Yousaf », 25 juin 2023. https://www.bbc.com/news/uk-scotland-scotland-politics-65998210