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Autrefois, les fléaux s’apparentaient aux invasions de sauterelles que décrit la Bible : « Elles couvrirent la surface de toute la terre, et la terre fut dans l’obscurité » (Exode 10:13-14,19). Ou à la Grande Peste en Europe (1347-1352) qui fit environ 25 millions de victimes. Aujourd’hui, le fléau des temps modernes a pour nom plastique, un matériau qui a envahi le sol, l’air et l’eau. Existe-t-il un antidote à ce poison qui ne connaît pas de frontière ?
Pierre Deschamps
Le plastique est partout. Il n’y a pas un lac, une rivière, un océan, un organisme aquatique ou terrestre qui n’en contiennent, sous une forme ou une autre. Pourquoi en est-il ainsi, sinon en raison des quantités considérables de cette matière produites depuis la fin du 19e siècle.
À ce sujet Science Advances explique que : « En 2015, l’humanité avait [jusqu’alors] fabriqué 8,3 milliards de tonnes de ce produit et généré 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques. Sur ce total, 9 % ont été recyclés et 12 % incinérés. La grande majorité, 79 %, a été rejetée [dans l’environnement]. » [1]
Pour se convaincre – s’il le fallait encore – de l’omniprésence du plastique dans nos vies, contemplons avec épouvante, tellement les chiffres sont hors de portée de notre entendement, la donnée suivante : « 89 milliards de bouteilles d’eau en plastique sont vendues chaque année dans le monde, soit 2 822 litres d’eau mis en bouteille chaque seconde. » [2]
La pêche aux polymères
Poursuivons dans l’horreur avec ce que dit le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) : « Chaque jour, l’équivalent de 2 000 camions poubelles remplis de plastique sont déversés dans les océans, les rivières et les lacs du monde ». [3] Et ajoutons à l’horreur l’abominable que nous annonce la Ellen MacArthur Foundation qui prévoit qu’« il y aura plus de plastique dans l’océan que de poisson (en poids) d’ici 2050 ». [4]
Et on pourrait continuer ainsi ad infinitum tant le plastique est partout, à l’image de ce mal qui répand la terreur / Mal que le Ciel en sa fureur /Inventa pour punir les crimes de la terre, pour citer le moraliste Jean de Lafontaine. Un mal dont on ne saurait guérir ?
Haro sur le recyclage
Dans Le plastique est mort, vive le bioplastique ! Paul Lavallée, docteur en biophysique et professeur retraité du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM, affirme qu’après 75 ans d’expérimentation le recyclage des pétroplastiques « ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais » [5], tout simplement parce que trier les pétroplastiques et « rassembler ceux de même nature pour les fondre ensemble », relève de l’exploit. Surtout que cette activité est loin d’être rentable.
Quand des bouteilles, des gobelets, des boîtes ou des sacs passent à vitesse élevée sur un convoyeur, comment savoir s’il s’agit de polyéthylène haute densité, de polyéthylène basse densité ou bien de polyéthylène téréphtalate ?
Quoi d’étonnant alors que de voir des ballots de pétroplastiques peu ou pas triés encombrés les cours des usines de recyclage et les quais des ports.
Une baisse à compenser
Autre conséquence liée aux limites du recyclage des pétroplastiques usagés pour en produire du neuf : « le faible coût du pétrole par rapport au coût élevé du recyclage ».
On ne peut par ailleurs ignorer que « les compagnies pétrolières comptent d’ailleurs fortement sur le plastique pour compenser la baisse de la demande de pétrole due à l’arrivée de la voiture électrique ».
Si aujourd’hui on estime que « 10,7 % de la production de pétrole » [6] est destinée à la fabrication de pétroplastiques de toutes sortes, qu’en sera-t-il dans dix, vingt, trente ans, si rien ne change ?
Pour éviter que davantage d’amoncellements gigantesques, sur terre comme en mer, ne surgissent – et ne subsistent – ici et là, Il existe bien « une solution concrète au problème posé par les plastiques actuels, à base de pétrole », elle a pour nom bioplastique. Si celui-ci partage beaucoup de caractéristiques avec le pétroplastique, leur cohabitation est impossible : « À terme, il nous faudra choisir : ce sera soit l’un soit l’autre, mais pas les deux », proclame Paul Lavallée.
Un produit de proximité
Le bioplastique est un produit d’origine biologique qui a la capacité de se dégrader complètement, le compostage et la dégradation des matières organiques en usine (méthanisation) offrant des solutions simples pour s’en débarrasser.
De surcroît, il est possible « de planifier la récolte des matières premières [renouvelables] servant à fabriquer le [bioplastique] à proximité des lieux de transformation et de consommation […] chaque région [pouvant] adapter sa production de [bioplastique] aux conditions agricoles, climatiques et sociales qui la caractérisent ».
Autre avantage non négligeable, « tout bioplastique nouvellement produit sera réellement neuf et vierge, contrairement à la situation actuelle où le [pétroplastique] devient plus toxique à chaque cycle de recyclage, posant une menace pour la santé et l’environnement ».
Un exemple à suivre
Évidemment, l’abandon des pétroplastiques et l’adoption des bioplastiques ne se feront pas sans heurts. Principalement en raison du poids et de la puissance de l’industrie pétrolière dans l’économie mondiale. Et aussi en raison de politiques aveugles comme celle qui aboutirait à bannir les plastiques à usage unique, pétroplastiques et bioplastiques confondus, comme le propose l’Union européenne.
Pour réussir la transition vers l’adoption des bioplastiques, explique Paul Lavallée, il est primordial de convaincre les gens des qualités des bioplastiques. « C’est à l’heure actuelle loin d’être gagné ». Puis engager l’État et faire appel à la collaboration internationale.
Ce qui n’est pas tout à fait irréalisable, l’exemple venant de l’Italie qui a récemment « effectué sa conversion aux sacs de bioplastiques, [a] développé une expertise de fabrication et, bien sûr, une industrie de fabrication » des bioplastiques.
Demain, maintenant
Saurons-nous seulement entendre le propos de Paul Lavallée, que certains pourraient qualifier d’utopiste ? Or Le plastique est mort, vive le bioplastique ! n’est pas un opus de plus à mettre au compte des rêveurs, mais une démonstration tout ce qu’il y a de plus rationnel.
Comme le fait lui-même l’auteur, « rappelons ce que disait Victor Hugo : “Les utopies d’aujourd’hui sont les réalisations de demain.”».
«Nous sommes déjà demain », conclut-il.
Une lecture qui trace la voie pour que l’espoir puisse être cette espérance en un avenir où il sera encore possible de mettre fin au lent empoisonnement par les pétroplastiques des écosystèmes et des organismes vivants, tout ordre d’espèces confondues.
[1] https://www.science.org/journal/sciadv
[2] https://www.planetoscope.com/
[4] https://www.ellenmacarthurfoundation.org/
[5] Sauf indication contraire, les citations de ce texte sont extraites de “Le plastique est mort, vive le bioplastique !”, Paul Lavallée, Les Éditions Écosociété, Montréal, 2023, 126 pages.