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Claude Lévesque
Liz Truss a succédé à un premier ministre qui se prenait pour Churchill. Il s’est avéré que Boris Johnson n’était pas de la trempe de son idole. La nouvelle locataire du 10 Downing Street se prend, plus modestement, pour Margaret Thatcher. L’avenir dira si elle a l’étoffe de la Dame de fer.
Ses premières semaines à la tête du gouvernement britannique ont été rien de moins que catastrophiques. Récemment, des commentateurs – pas très favorables au Parti conservateur, faut-il préciser – avaient attribué les déboires de « BoJo » à l’incompétence et prédit que c’est le dogmatisme qui allait perdre Liz Truss.
À la lumière des évènements récents, il semble que ce soit encore pire : il est probable que la nouvelle première ministre et son équipe soient à la fois incompétentes et dogmatiques.
Il a suffi d’un mini-budget, annoncé le 23 septembre par le chancelier de l’échiquier (ministre des Finances), Kwasi Kwarteng, pour que la livre sterling plonge à un niveau rarement atteint et qu’à l’unisson, la Banque d’Angleterre et le Fonds monétaire international avertissent que le Royaume-Uni se dirige vers la catastrophe sous la gouverne de Mme Truss.
Des défis
Les raisonnements qui sous-tendent le pronostic de ces deux organisations sont assez simples. Leur principale critique consiste à dire que les baisses d’impôts annoncées, et certaines dépenses destinées à alléger l’effet de l’inflation, risquaient d’avoir des répercussions fâcheuses sur les marchés monétaires et financiers parce qu’elles devaient être financées par des emprunts.
Comme plusieurs autres pays, le Royaume-Uni doit composer avec une inflation galopante (notamment en matière d’énergie) qui affecte aussi bien les ménages que les entreprises, de même qu’avec une grave pénurie de main d’œuvre. Il doit en outre résoudre un certain nombre de problèmes causés par le Brexit. On parle évidemment des relations commerciales tendues avec l’Union européenne et du casse-tête représenté par la frontière avec la République d’Irlande.
Sondages dévastateurs
Les sondages menés fin septembre et début octobre ont été dévastateurs pour Liz Truss. Ainsi, les répondants à une étude YouGov publié le 30 septembre ont affirmé dans une proportion de 51 % que la première ministre devrait démissionner. Cinq jours plus tard, cette dernière obtient un maigre 14 % d’opinions favorables et pas moins de 73 % d’opinions défavorables, dont 60 % chez les électeurs qui se disent conservateurs. La cote des travaillistes, le principal parti d’opposition, remonte dans les mêmes proportions.
Le Congrès des conservateurs, du 2 au 5 octobre à Birmingham, n’a pas aidé la cause de la première ministre et de son ministre des Finances. Après avoir invoqué des problèmes de communication, Liz Truss a dû faire volte-face sur son projet d’annuler le dernier palier d’imposition, une mesure qui avait été annoncée le 23 septembre et qui aurait favorisé considérablement les mieux nantis.
Un parcours compliqué
Mary Elizabeth Truss est née à Oxford en 1975 de parents aux convictions travaillistes. Dans sa jeunesse, elle épouse des idées soit centristes, au sein du Parti libéral-démocrate, soit carrément gauchistes en fréquentant divers groupes de pression. Devenue conservatrice et admiratrice de Margaret Thatcher, elle met ses positions antérieures sur le compte de la naïveté et des inévitables « erreurs de jeunesse », comme d’autres s’excusent d’avoir abusé un temps « du sexe, de la drogue et du rock’n’roll ».
Depuis qu’elle est devenue « sérieuse », elle prône surtout la dérèglementation du monde des affaires et les allègements fiscaux qui favorisent surtout les riches parce que, selon elle, ce sont eux et eux seuls qui peuvent faire croître l’économie.
C’est ce qu’elle a fait valoir pendant la course à la succession de Boris Johnson. Le caucus conservateur lui a préféré l’ancien chancelier, Rishi Sunak, mais la majorité des membres du Parti lui ont accordé leur confiance lors d’un vote postal.
Le « ruissellement »
La théorie du ruissellement (trickle down economics) chère à Ronald Reagan et à la Dame de fer (et à Liz Truss) n’est plus considérée comme vérité d’évangile par les économistes, y compris par ceux de la Banque d’Angleterre et du FMI. L’idée que l’enrichissement des personnes richissimes puisse relancer l’économie est difficilement compatible avec le fait que ces dernières sont plus enclines à consommer des biens de luxe qu’à investir ou à dépenser dans des industries plus susceptibles de créer des emplois et des biens pour le grand nombre.
Ce n’est évidemment pas la théorie du trickle down qui a fait passer une partie de l’électorat travailliste vers le Parti conservateur ces dernières années, mais plutôt les positions protectionnistes de ce dernier, notamment celles qui avaient été prises pour faire passer le Brexit.
Les députés tories qui doivent leur poste aux électeurs pauvres risquent maintenant de mener une fronde contre la première ministre, comme Teresa May et Boris Johnson en avaient affronté dans d’autres circonstances, avec les résultats qu’on sait.
Inégalité
Le Royaume-Uni est une des sociétés les plus inégalitaires d’Europe, voire de tout le monde industrialisé. Il s’était doté de programmes sociaux généreux sous les travaillistes, d’abord au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis dans les années 1970, mais Margaret Thatcher y a passé la tronçonneuse au cours de ses trois mandats (mai 1979 à novembre 1990).
Les choses ne s’améliorent pas, selon l’Office national de la statistique. Pendant la première année de la pandémie, le revenu moyen du premier quintile de la population a chuté de 2 %, deux fois plus que le revenu moyen du quintile du haut.
Pendant les neuf années précédentes, ce quintile a vu ses revenus augmenter de 9 % pendant que ceux des moins fortunées ont stagné.
Les sources suivantes ont été consultées pour la rédaction du présent article : The Guardian, Bloomberg News, les agences Reuters et AFP et The Big Issue, un magazine vendu dans les rues du Royaume-Uni depuis 1991.